L’heure suprême (Seventh Heaven, Henry King, 1937)

A Montmartre, un égoutier cynique recueille une fille de la rue et en tombe amoureux.

Contrairement au remake d’A travers l’orage, qui présentait quelque intérêt, cette nouvelle adaptation de la pièce immortalisée par Frank Borzage dix ans plus tôt est un échec absolu. La raison en est simple: ce qui passait la rampe quand le cinéma était muet ne la passe plus en parlant. A la poésie visuelle et à la délicatesse érotique, Henry King a substitué le pittoresque prétendument réaliste (désolants accents des seconds rôles), ce qui ne fait que mettre en exergue le caractère poussiéreux puis abracadabrantesque de l’intrigue. Un exemple éloquent pourrait être la différence entre les deux montées à l’appartement* mais tout le reste est également nul et rien ne fonctionne, jamais, d’autant que James Stewart en mauvais garçon (!) et Simone Simone en fille candide (!!) ne sont, évidemment, pas crédibles pour un sou.

*grandiose travelling vertical chez Borzage qui abstrait l’environnement et concentre le regard sur l’ascension en tant que telle VS succession de rencontres avec les voisins de l’immeuble chez King qui ne fait qu’insuffler un folklore médiocre et dispensable.

French postcards (Willard Huyck, 1979)

De jeunes Américains passent une année d’études à Paris.

Une relative fraîcheur, le plaisir amusant de voir de sympathiques seconds rôles français (Christophe Bourseiller, Marie-Anne Chazel, Anémone, Jean Rochefort…) parler Anglais et quelques bonheurs de mise en scène qui tournent tous autour de Marie-France Pisier rendent agréable le visionnage de cette très conventionnelle bluette.

Le petit lieutenant (Xavier Beauvois, 2005)

Un lieutenant frais émoulu de l’école de police intègre un commissariat parisien, sous la responsabilité d’une ancienne alcoolique.

Dans sa façon altière de mêler le mélo intime, l’étude quasi-documentaire du métier de flic et le suspense policier, Le petit lieutenant est une magistrale réussite. Excellence de l’interprétation (c’est un des meilleurs rôles de Nathalie Baye), finesse audacieuse de l’écriture, justesse de la caractérisation de chaque personnage, subtilité chargée de sens de la mise en scène (malgré deux évidentes citations cinéphiliques qui altèrent un peu l’effet de transparence: Le samouraï et Les 400 coups). Une réserve: la méfiance envers l’artifice a parfois l’effet inverse de celui recherché; ainsi faire coïncider la révélation de la mort d’un personnage central avec la sirène du premier mercredi du mois relève du volontarisme (anti-lyrique).

Au p’tit zouave (Gilles Grangier, 1950)

Dans un café de Grenelle, la vie et les conversations des habitués tandis qu’un tueur en série rôde dans le quartier.

L’illusion de vie et de chaleur humaine provoquée par le grouillement quasi-renoirien de personnages saisis dans leur jus simili-documentaire s’estompe malheureusement avec la mise en avant d’une intrigue faisandée, basée sur des conventions de caractérisation bien typiques de la qualité française, et mollement menée (Le café du cadran parvenait bien plus à faire oublier l’artifice de l’unité de lieu grâce à la grisante vivacité de son découpage).

La belle vie (Robert Enrico, 1963)

De retour de son service militaire en Algérie, un jeune Parisien se marie…

Existe t-il un cinéaste ayant mieux concrétisé le mantra de François Truffaut qui prétendait « faire son nouveau film contre son film précédent » que Robert Enrico lorsqu’il enchaîna son premier et son deuxième long-métrage, à savoir La belle vie et Les grandes gueules? La belle vie est en effet aux antipodes du cinéma populaire et viril auquel on associe habituellement Enrico. Avec son absence d’intrigue forte, ses acteurs jeunes et inconnus, son filmage dans les rues de Paris, son goût puéril pour les artifices visuels (particulièrement d’agaçants accélérés) et son ton confidentiel, c’est clairement un film de la Nouvelle Vague.

La principale différence avec les premiers films de Truffaut, Godard, Rivette, Rohmer et Chabrol, c’est qu’il est engagé politiquement. Ainsi, régulièrement, des images d’actualité violente, notamment de la guerre d’Algérie, viennent trouer la chronique conjugale. Procédé justifié par le sujet profond de l’oeuvre qui est le rattrapage d’un jeune couple par la marche du monde. Quelques notations amères sur le quotidien du ménage confronté à la dureté économique préfigurent les films d’un Bernard Paul. Toutefois, l’oeuvre m’aurait semblé plus forte et plus courageuse si le jeune homme, au plus fort de son désoeuvrement, s’était rengagé lui-même plutôt que de se disputer conventionnellement avec les paras-recruteurs. En l’état, La belle vie a de louables ambitions mais ne rentre pas suffisamment dans le vif de son sujet.

A la Française (Robert Parrish, 1964)

A Paris, une peintre américaine rencontre un étudiant…Quelques années plus tard, elle s’est faite à la vie mondaine.

La construction inhabituelle du récit en deux segments indépendants accroît la nostalgie de cette belle histoire d’une pureté perdue (et un peu facilement retrouvée). Robert Parrish, grand auteur de westerns, se montre aussi à l’aise dans le quartier latin que sur les rives du Rio Grande. On retrouve ici sa finesse psychologique, matérialisée par des détails concrets, tel l’étreinte avortée dans la chambre d’hôtel glaciale, et par des dialogues parfois surexplicatifs mais d’une telle justesse qu’il est difficile de faire la fine bouche. Tous les acteurs sont très bons mais Jean Seberg est au-delà des superlatifs. Comme Madame de… à Danielle Darrieux, A la Française lui doit énormément de sa vérité émotionnelle.

Un flic (Maurice de Canonge, 1947)

Après la Libération, un résistant opportuniste rentre dans des trafics louches, au grand dam de son beau-frère policier au quai des orfèvres.

L’importante présence du décor parisien et une ample séquence d’assaut final constituent les plus-values les plus significatives de ce polar plutôt banal et mou.

Passage secret (Laurent Perrin, 1985)

Un architecte parisien cambriolé par des enfants tombe amoureux de leur belle commanditaire.

La saugrenuité du postulat est partiellement effacée par le réalisme du traitement qui n’exclut pas certaine poésie visuelle comme lors de la séquence des catacombes. Problème: certains des jeunes acteurs manquent de justesse.

 

…Sans laisser d’adresse (Jean-Paul Le Chanois, 1951)

A Paris, un chauffeur de taxi conduit une jeune fille de Chambéry à la recherche d’un journaliste qui l’a séduite.

Le prétexte est astucieux et suffisamment bien développé pour que la vadrouille nocturne dans la capitale paraisse vraisemblable. En effet, le premier objectif de ce rejeton français du néo-réalisme rose semble être de présenter, avec sympathie et vivacité mais sans pittoresque excessif, une vue transversale de la société parisienne; en particulier le milieu des journalistes et celui des chauffeurs de taxi. Objectif atteint grâce à des notations documentaires précises sur le travail des protagonistes, à des seconds rôles gouailleurs et authentiques -de Carette à Trabaud en passant par les jeunes De Funès et Piccoli- et à l’importante présence des décors réels. Du métro aérien de la Chapelle au village de Montmartre, de l’Hôtel-Dieu aux caves de Saint-Germain, de la Mutualité où se tient une réunion syndicale à la rédaction de France-soir (France Roche tient un rôle important et beau), rarement Paris aussi été aussi largement montré dans une fiction. Le découpage est fluide et enlevé. Cette chaleureuse entomologie du Paris de l’après-guerre fait de …Sans laisser d’adresse une sorte de film de Becker sans le génie. C’est déjà pas mal.

De plus, cette oeuvre unanimiste (à ce titre, le climax où Le Chanois se prend pour Capra est ce qu’il y a de moins convaincant) contient sa propre critique en révélant au fur et à mesure de son déroulement le drame d’une laissée-pour-compte de ce qu’il faut bien appeler la société patriarcale. Cette critique est surtout matérialisée par deux séquences qui brillent par leur tact plein de justesse quoique empli d’un sourd appel à l’émancipation: l’une dans un « centre d’accueil pour jeunes mamans », l’autre confrontant une jeune femme à la famille de son amant. Danièle Delorme se sort très bien d’un rôle qui aurait pu faire sombrer le film dans la mièvrerie. Quant à Bernard Blier, il est toujours parfait dans la banalité; la foncière vénalité de son personnage -ce qui n’est pas présenté comme un défaut moral mais comme une caractéristique de son métier- rend d’autant plus sublime ses élans de générosité.

Beaucoup plus réussi que Agence matrimoniale, …Sans laisser d’adresse est donc un des plus dignes représentants de la comédie populiste d’après-guerre.

Frantic (Roman Polanski, 1988)

A Paris, l’épouse d’un médecin américain disparaît.

La substance humaine et émotionnelle du film ne se révèle que dans la dernière séquence. Dommage. Ce qui précède est un jeu de piste un peu vain et dont la crédibilité part en fumée à partir du moment où il est question d’espionnage. Emmanuelle Seigner, en punkette, est très belle.

Paris 1900 (Nicole Védrès, 1947)

Montage de films de la Belle époque commenté par Claude Dauphin.

Essai filmique qui mélange allègrement les bandes d’actualité aux fictions du début du siècle. Le caractère ontologique du cinématographe en prend un coup mais cela n’empêche pas que l’on n’aie l’impression de voir une époque ressusciter. C’est dû à la variété des thèmes abordés, à la finesse du montage et à la sautillante qualité du commentaire. Très rive gauche dans son esprit, ce film admirable et précurseur a grandement influencé Chris Marker et Alain Resnais (qui fut l’assistant de Nicolas Védrès).

Les enfants du placard (Benoît Jacquot, 1977)

A Paris, un jeune homme dispute sa soeur à son riche prétendant, associé de leur père qui fait des affaires louches en Afrique.

Que ce film étique et sinistre ait été largement salué en 1977 par les Cahiers du cinéma comme matérialisant leur réconciliation avec la fiction après le tunnel des années « Godard-Straub-Mao » montre combien la revue était partie loin. En revanche, le principal ressort dramatique (la mauvaise conscience d’un fils à papa bon à rien) qui l’anime  – aussi mollement soit-ce – fait bien des Enfants du placard un film 100% bourgeois. A croire qu’en ce qui concerne les critiques maoïsés, l’atavisme de classe fut plus fort que l’atavisme cinéphile.

Les voleurs de la nuit (Samuel Fuller, 1984)

A Paris, un couple de chômeurs braque les employés de l’ANPE qui les humilient.

Les amusantes grimaces de Claude Chabrol et le thème de Ennio Morricone, qu’il réutilisera de façon magnifique pour La légende du pianiste sur l’océan, sont tout ce qu’il y a à retenir de ce très mauvais film que son absence totale de précision, que ce soit dans le scénario ou la mise en scène, fait régulièrement flirter avec le nanar. Parmi mille autres détails, la façon dont Fuller imagine le train de vie des employés de l’ANPE est particulièrement embarrassante.

Police judiciaire (Maurice de Canonge, 1958)

Au 36 quai des orfèvres, le quotidien de la police judiciaire.

La volonté documentaire se traduit par le refus de la dramatisation, l’absence de caractérisation individuelle des personnages et, si celle-ci est intentionnelle, la grisaille de la photo mais cela n’empêche pas l’artifice du montage alterné, destiné à montrer que différentes affaires sont traitées en même temps, de se faire lourdement sentir. Over-chiant.

Les cousins (Claude Chabrol, 1959)

Pour ses études, un provincial débarque chez son cousin parisien et quelque peu décadent.

Que l’opposition entre le naïf fils à sa maman et le cynique gosse de riches est caricaturale! Le provocateur détachement des auteurs par rapport aux dérives fascistes de ce dernier ne diminue en rien la pesanteur de l’expression d’un pessimisme pas moins facile que celui de Bost et Aurenche; l’examen de fin d’année est un deus ex machina des plus risibles. Les séquences de fête sont particulièrement ennuyeuses de par leur redondance même si on y décèle une utilisation signifiante de la caméra par le jeune Chabrol (voir ce plan où les invités apparaissent comme dans un aquarium). Le summum du grotesque est atteint avec l’homicide final sur fond de Liebestod.

La dilettante (Pascal Thomas, 1998)

Après avoir plaqué son dernier mari, une femme débarque à Paris et retrouve ses deux enfants…

Où Pascal Thomas et Jacques Lourcelles ont-ils voulu en venir? Ce portrait féminin manque d’unité. La faute en incombe d’abord à la construction narrative: plusieurs séquences sont redondantes (l’héroïne qui annonce à trois personne différentes qu’elle est amoureuse d’un prêtre) tandis que certaines ellipses apparaissent comme des facilités (les collégiens qui nettoient leur bahut dans la joie et la bonne humeur). Le temps d’un flash-back inattendu ou d’une crise de nerfs dans un parloir, on discerne bien les déséquilibres induits par une existence de « dilettante » mais le traitement du drame, notamment la relation avec la fille, demeure aussi superficiel que le personnage.

Pourtant, en dépit de ces lacunes, La dilettante est un des derniers vrais bons films de Pascal Thomas. Il y a d’abord cette qualité de regard propre à l’auteur des Zozos. Aussi à l’aise à Pantin qu’à Neuilly, il filme la France de son époque sans vouloir-dire sociologique mais avec un décalage léger et douillet (pour ne pas dire doucereux). Après Les zozos mais avant Le grand appartement, la distance entre patrie rêvée et patrie réelle reste supportable et stylisation n’est pas encore mise sous cloche. Dialogues ciselés, loin de tout naturalisme, et comédiens typés (merci d’avoir été dégoter Odette Laure!) participent de cette tendre ironie. Enfin, l’accord entre Catherine Frot et son personnage relève du miracle. C’est la raison principale pour laquelle La dilettante demeure un film à voir.

Mimi Pinson (Robert Darène, 1958)

Une jeune fille habitant une chambre mansardée sur l’île Saint-Louis est menacée d’expulsion mais le représentant de la société propriétaire tombe amoureux d’elle.

Pas si nul qu’on aurait pu l’imaginer. D’abord, il y a le plaisir de voir les quais parisiens et les Halles dans les années 50. Robert Darène filme ça sans génie mais respectueusement des lieux et des personnes. Il évite les raccords superflus. Ensuite, en mettant en scène une jeune fille préférant habiter dans un studio peu fonctionnel mais charmant du centre de Paris plutôt qu’un confortable appartement moderne en banlieue, cette transposition auto-réflexive de la pièce de Musset effleure le sujet éternel mais assez peu traité au cinéma de la jeunesse bohème (aujourd’hui on dirait « bobo »). Le style un peu terne de Darène empêche une véritable célébration de l’anticonformisme solaire de son héroïne mais c’est mignon sans être tout à fait niais.