La maison des étrangers (Joseph L. Mankiewicz, 1949)

Dans une famille de banquiers italo-américaine, le fils, sorti de prison, retrouve ses frères et se souvient des conflits tragiques entre ces derniers et son père.

Tragédie familiale qui, de par son contexte et plusieurs détails dramaturgiques, évoque immanquablement Le parrain, sorti vingt-trois ans plus tard. Malgré un dénouement conventionnel, des tirades théâtrales et quelques longueurs surtout dues aux scènes avec Susan Hayward (qui font dévier le récit de son principal axe dramatique), la facture est de haute volée. Alors qu’on s’attend d’abord à une resucée de ses cabotinages « ethniques » du début des années 30, Edward G. Robinson s’impose rapidement en patriarche aussi dur que truculent. Pour une fois, Richard Conte a un rôle à la mesure de son talent. Non dénuée de pittoresque facile (la musique d’opéra…) mais fluide, élégante dans ses compositions visuelles et parsemée de plans véristes bienvenus, la mise en scène constitue un bel écrin aux affrontements verbaux qui constituent une bonne partie -mais pas l’intégralité- du métrage. En tout état de cause, La maison des étrangers est supérieur à son remake westernien.

La forêt d’émeraude (John Boorman, 1985)

Alors qu’il supervise la construction d’un barrage en Amazonie, un ingénieur voit son fils enlevé par des Indiens. Dix ans après, il continue les recherches.

Douze ans après Délivrance, le traitement du thème cher à John Boorman du conflit entre l’homme et la nature a évolué dans un sens manichéen et obscurantiste: la tribu amazonienne, restée au stade préhistorique, est vue comme porteuse d’une harmonie perdue face à l’homme blanc qui détruit la forêt. Cette vision d’une confondante naïveté, impression renforcée par des surimpressions et des figurations d’expériences chamaniques forcément ridicules, altère la dimension tragique du récit: le drame psychologique du jeune homme écartelé entre deux cultures est en fait éludé et celui de son père n’est guère rendu sensible (la faute à un interprète, Powers Boothe, à l’expressivité limitée?). Que l’on est loin de la profondeur d’évocation de John Ford dans La prisonnière du désert ou Les deux cavaliers, westerns dont la trame était similaire à celle de La forêt d’émeraude.

Mais, lorsqu’on constate également les défauts d’une construction dramatique qui gère platement le parallélisme entre les actions et qui contient des péripéties artificielles (la tribu méchante) qui éloignent le récit de son sujet essentiel, on se dit que John Boorman s’intéresse ici moins à ce qu’il raconte qu’à ce qu’il montre: on le sent fasciné par son décor amazonien et par les divers rituels qui donnent lieu à de longues scènes quasi-documentaires contribuant également à diluer la force du récit. Cette fascination est transmise au spectateur par la mobilité de la caméra qui l’immerge dans la forêt, par la splendeur de la lumière captée par Philippe Rousselot, par des images de la tribu dont la beauté à la fois naturelle et composée rappelle évidemment le Tabou de Flaherty et Murnau.

Père et fille (Jersey girl, Kevin Smith, 2004)

Son épouse décédée pendant l’accouchement de leur fille, un brillant attaché de presse new-yorkais retourne chez son père, dans le New Jersey.

Pourquoi ce film, malgré ses ficelles démagogiques (cf le regrettable dénouement qui envoie valdinguer toute la subtilité qui l’a précédé), les envahissantes chansons pop qui neutralisent parfois la vérité des images et les limites de Ben Affleck dans sa grande scène lacrymale, exhale t-il souvent un parfum d’émouvante sincérité? Il y a d’abord la fraîcheur de la gamine, adorable Raquel Castro. Il y a ensuite un mélange des tons qui fonctionne tellement bien que son audace est oubliée: faire rire avec un père de famille qui loue un DVD porno parce qu’il est veuf, ce n’est pas rien. Il y a surtout la tendresse perceptible de l’auteur pour son attachante galerie de personnages interprétée par des comédiens au minimum sympathiques. Dans ses meilleurs moments, Kevin Smith fait exister à l’écran une communauté familiale quasi-utopique ou met en scène l’amour entre un père et sa fille avec une sentimentalité directe qui touche en plein coeur.

Prisonnier de la peur (Fear strikes out, Robert Mulligan, 1957)

Un jeune espoir du base-ball est rendu fou par la pression que lui met son père.

Après une excellente première partie, la pesanteur didactique (via le récit et les dialogues) et expressive (via l’interprétation parfois exagérée de Anthony Perkins) se fait sentir mais le tout demeure habilement mené, avec une efficacité, une précision et un sens de l’ambiguïté d’autant plus dignes d’admiration qu’il s’agissait du premier film de Mulligan (tourné pour le cinéma).

Un homme pas comme les autres (Trouble along the way, Michael Curtiz, 1953)

Pour sauver son université de la faillite, un curé embauche un entraîneur de football américain au passé prestigieux. Celui-ci accepte avec d’autant plus d’empressement que, en plein conflit avec son ex-femme pour la garde de sa fille, il veut montrer sa bonne moralité.

Le comportement de l’épouse, trop diabolisée, manque de cohérence et ce qui y a trait constitue la faiblesse d’un récit particulièrement varié dans ses enjeux dramatiques et mené avec tact et fluidité. La relation entre le personnage de John Wayne et sa fille n’y manque pas de tendresse et surprend au regard de l’image de l’acteur.

Tu seras un homme mon fils (The Eddy Duchin story, George Sidney, 1956)

L’histoire du pianiste Eddy Duchin, pleine de succès et de malheurs.

Si le mélodrame est le genre destiné à faire pleurer le spectateur en lui rendant sensible la tragique ironie du destin, The Eddy Duchin story en constitue la quintessence. Aucune connotation sociale ou psychologique ici; uniquement la confrontation, dans une logique purement sentimentale, de l’homme à des évènements dévastateurs sur lesquels il ne saurait avoir de prise. La somptuosité visuelle et sonore, la science du cadrage qui inscrit physiquement les enjeux dramatiques dans l’image, la souplesse presque ophulsienne des mouvements d’appareil, l’interprétation stupéfiante de Tyrone Power dont le réalisateur se fait fort de nous montrer qu’il n’a pas été doublé pour les plans où il joue du piano et le tact non pusillanime avec lequel les rebondissements lacrymaux sont présentés (la fin!) font partie des qualités qui permettent à George Sidney d’atteindre une vraie grandeur, typiquement hollywoodienne.

Vita coi figli (Dino Risi, 1990)

Son épouse décédée dans un accident, un riche quinquagénaire se rapproche de ses cinq enfants et tombe amoureux d’une jeune fille.

Une énième variation sur deux thèmes canoniques de la comédie italienne: rapprochement d’un père avec ses enfants après un drame et démon de midi. Cette fois, c’est particulièrement mal écrit et mis en scène avec un je-m’en-foutisme consternant. Malgré le sujet, ce n’est jamais drôle ni touchant. La faute à la télé Berlusconi pour qui « l’oeuvre » a été entreprise? On note bien sûr quelques plans tout à fait gratuits de la jeune Monica Bellucci nue.

Cher papa (Dino Risi, 1979)

Un puissant industriel italien tente de renouer le dialogue avec son fils engagé dans le terrorisme gauchiste…

Pas si artificielle qu’il n’y paraît au premier abord, cette fable malaisante s’avère un des meilleurs films de Dino Risi car un des plus fins et un des plus profondément amers. L’expression de la noirceur ne passe plus par les vibrionnantes caricatures typiques du soi-disant âge d’or de la comédie italienne mais se retrouve tapie dans une larme venant ébranler l’absolue froideur d’un parricide. Par contrepoint, la chaleureuse interprétation de Vittorio Gassman rend d’autant plus patent le fossé irrémédiable entre les pères et les fils. Troublant.

P’tit con (Gérard Lauzier, 1984)

Agé de 18 ans, un fils de bourgeois pétri d’idées gauchistes quitte le domicile de ses parents…

Peut-être le meilleur film de Gérard Lauzier. D’abord, le satiriste est en verve et le spectateur se marre bien. Ensuite, son éternel cynisme n’empêche pas une certaine tendresse pour les personnages d’affleurer ici et là. Enfin, pour une fois, le récit va jusqu’au bout de sa logique et les contradictions soulevées ne sont pas artificiellement escamotées à la fin. Bref, la justesse et la fantaisie l’emportent sur le prêt-à-penser réac.

Peter et Tillie (Martin Ritt, 1972)

Une femme un peu collet monté se souvient de sa rencontre avec son mari, un publicitaire cynique, puis de la maladie de leur enfant…

Plus qu’un ressort lacrymal, la maladie de l’enfant est une péripétie intégrée à l’histoire du couple et permettant de confronter deux formes d’amour parental: le père privilégie le « hic et nunc » tandis que la mère se lamente face aux étoiles. Cette confrontation quasi-métaphysique est restituée avec une belle simplicité par les auteurs qui se gardent bien de juger l’un ou l’autre des personnages. A l’exception de la grotesque bagarre avec la meilleure amie, Martin Ritt filme les souvenirs de Tillie, qu’ils soient drôles ou dramatiques, avec pudeur et justesse et évite allègrement les pièges d’un sujet des plus casse-gueules grâce à sa précision directe (voir les répercussions du drame sur la vie sexuelle des parents). A commencer par Walter Matthau dans un rôle à contre-emploi, les acteurs excellent. La musique de John Williams est jolie. Bref, Pete’n’Tillie est un beau film.

Péchés de jeunesse (Maurice Tourneur, 1941)

Au soir de sa vie, un jouisseur cynique entreprend de renouer avec ses enfants naturels.

Quoique produit par la Continental, Péchés de jeunesse a toutes les caractéristiques du pire cinéma vichyssois: il dégouline de mièvrerie et de moraline tout en étant terriblement fade. Que ce soit les motivations du personnage principal ou la structure de film à sketches qui permet à Albert Valentin (le roi des fausses bonnes idées de scénario) d’aligner platement divers clichés, tout, dans le récit de cette prise de conscience paternelle, est cousu de fil blanc. Toutefois, Harry Baur, plus sobre qu’à l’accoutumée, s’en tire pas trop mal.

Un père de 21 ans (Noboru Nakamura, 1964)

Un jeune homme de bonne famille fugue pour épouser une aveugle…

Joli mélodrame familial où l’élégance du style permet d’intégrer les rebondissements les plus lacrymaux. Les personnages ont beau déclamer de grands discours pour trouver un certain ordre dans leur vie, ils se prennent les aléas de celle-ci en pleine figure.

Le pélican (Gérard Blain,1974)

Après un séjour en prison, un homme est empêché de voir son fils par sa mère et son nouveau mari, richissime.

Le pélican est un beau mélodrame viril. Derrière une carapace bressionnienne, la sensibilité de l’auteur y brûle. Combien de cinéastes se sont filmés entrain de pleurer en gros plan sans que leur dignité n’en souffre? Je vois Clint Eastwood vingt ans plus tard et c’est tout. Ceci dit, le scénario aurait pu être mieux travaillé. En effet, les scènes où le héros espionne la nouvelle famille de son fils redondent entre elles, surlignent le propos et altèrent le rythme du récit.

Il Giovedi (Dino Risi, 1964)

Un homme passe une journée avec son fils qu’il n’a pas vu depuis cinq ans.

Une merveille de sensibilité. Quelles sont les qualités permettant d’affirmer que, sur le thème assez classique du père tentant de regagner l’estime de son enfant, Dino Risi a réalisé le film le plus beau et le plus émouvant ?

  1. L’idée d’avoir insufflé un cruel parfum de lutte des classes à la chronique familiale. Ainsi les mensonges comico-pathétiques du père pour faire croire qu’il est socialement plus élevé que la mère de son fils relèvent-ils du meilleur de la comédie italienne.

  2. Plus généralement, la façon de faire résonner l’intrigue intimiste dans l’ensemble de la société italienne. En rendant le spectateur complice quoique, suprême génie de leur part, non complaisant via-à-vis de ce père aimant et immature, les auteurs égratignent discrètement mais sûrement le matriarcat régnant tout en s’attendrissant sur les illusions de liberté du mâle (sublime dernier plan). Tout comme Le fanfaron, Il giovedi me fait dire que Risi a filmé l’Italie et l’Italien mieux que personne.

  3. La mise en scène au sens strict du terme. Contrairement à ce que les auteurs eux-mêmes aimaient à clamer, il y a bien, comme pour tous les genres, une hiérarchie qualitative des films de la comédie italienne suivant leurs réalisateurs. Dans Il Giovedi, la finesse de la direction d’acteurs*, l’absence de caricature, le découpage en plans longs, larges et mobiles ainsi que l’attention de la caméra à l’environnement des personnages donnent une sensation de libre évidence à l’action qui est à l’opposé de la vulgarité sursignifiante d’un Germi. La relation du père avec son fils est représentée avec une économie de gestes qui redouble l’intensité émotionnelle de ceux-ci. Comment ne pas fondre devant l’adieu de l’enfant? Et pourtant, il ne se passe quasiment rien. Tout est dans ce « quasiment ».

  4. La bande originale, bel échantillon de variété italienne des années 60 en parfaite adéquation avec les images.

*Walter Chiari n’a pas fait carrière au cinéma mais c’est regrettable tant son interprétation est d’une grande justesse et le gamin, Roberto Ciccolini, est aussi épatant que les gamins chez Comencini, tout en sobriété.

La gifle (Claude Pinoteau, 1974)

Une étudiante de 19 ans se fâche avec son père divorcé…

A travers le portrait de cette famille petite-bourgeoise décomposée plus que recomposée, Jean-Loup Dabadie et Claude Pinoteau auscultent l’évolution des moeurs post-68 avec tendresse, précision et sans a priori idéologique. Le caractère tragique car insoluble des relations familiales qui se cache derrière la « libération sexuelle » n’est pas escamoté par la plaisante légèreté du ton. Riant, pleurant, s’énervant, Isabelle Adjani démontre son talent précoce mais c’est Lino Ventura qui emporte le morceau avec l’universelle justesse de son incarnation du père dépassé par sa progéniture féminine. Je l’ai rarement vu aussi émouvant. Francis Perrin apporte une touche comique très efficace. Bref, La gifle est une très jolie comédie, où l’acuité de la vision sociologique va de pair avec l’appréhension pleine et entière des personnages en tant qu’individus.

Rouge-gorge (Pierre Zucca, 1985)

 

Une jeune Parisienne dont le père vit d’activités mystérieuses rencontre un jeune loubard…

Le mélange des tons, entre mystère du polar, comique de Fabrice Luchini et tendresse de la relation entre Léotard et sa fille, est à la fois original et convaincant. La douceur de la mise en scène unifie harmonieusement ces différentes tendances et rend le film particulièrement attachant en dépit d’une fin délibérément -et bêtement- incompréhensible.

Tu es mon fils (La finestra sul Luna Park, Luigi Comencini, 1957)

Son épouse venant de mourir accidentellement, un travailleur émigré revient au foyer et tente de renouer avec son jeune fils…

Un très beau drame sur le manque d’amour et de compréhension dont plusieurs traits précis annoncent le chef d’oeuvre que sera L’incompris. Sa résolution en forme de flashback est un peu facile mais l’intelligence de son inscription dans la réalité ouvrière de son temps, la sensibilité des acteurs -Pierre Trabaud en premier lieu- , l’empathie de l’auteur pour chacun de ses personnages et le sens du lyrisme quotidien du metteur en scène font de Toi, mon fils un film merveilleux de justesse et d’émotion.