Amour et haine (Albert Hendelstein, 1934)

En 1919, dans un village minier du Donbass occupé par l’armée blanche, des femmes résistent.

Plus je découvre le cinéma soviétique des années 30-40, plus je me rends compte que des qualités que je prenais pour des singularités d’auteurs sont en fait largement répandues. Par exemple, le lyrisme cosmique, qui pare ici la chronique de l’annexion avec des gros plans sur des plantes intercalés dans les séquences de foule, ne semble pas l’apanage de Dovjenko. De même, il n’y a pas que chez Boris Barnet que musique -ici superbe, signée Chostakovitch- et chansons pouvaient être intégrées à des films de guerre. L’horizon est aussi magnifiquement filmé que chez Donskoï. Quoique prévisible dans son déroulement, Amour et haine est donc un beau film, dopé par le sens visuel de son réalisateur, Albert Hendelstein, qui fut envisagé par Malraux pour adapter La condition humaine et dont le style a la grandeur mais aussi les limites du cinéma soviétique: dans les scènes d’action, son focus sur les images-chocs engendre des ellipses qui nuisent à la bonne restitution du temps et de l’espace donc amoindrissent l’implication du spectateur.

Et l’acier fut trempé (Marc Donskoï, 1942)

En Ukraine en 1918, des partisans bolcheviks combattent le pouvoir allié aux Allemands.

Année de production oblige, l’adaptation du livre du révolutionnaire Ostrovski est orientée dans un sens anti-allemand. Le film apprend l’existence d’un épisode méconnu de l’histoire de l’Ukraine (l’hetmanat de 1918) et est brillamment spectaculaire sans être, dans l’ensemble, abusivement formaliste. Ce n’est bien sûr pas d’une grande finesse mais, grâce notamment au sens de la beauté naturelle de Donskoï et à l’amour de la vie qui nuance et dialectise la nécessité de l’engagement armé, les personnages ne semblent pas complètement soumis au schéma propagandiste.

L’institutrice de village (Marc Donskoï, 1947)

De 1910 à la Seconde guerre mondiale, la vie d’une institutrice partie enseigner en Sibérie.

Les savants clair-obscurs de Ouroussevski et les quelques incursions de poésie cosmique, typiques de Donskoï, ne suffisent pas à vivifier le déroulement programmatique de ce pur produit de la propagande stalinienne.

Le quarante-et-unième (Grigori Tchoukhraï, 1956)

Leur bateau s’étant échoué sur une île déserte, une révolutionnaire bolchevik chargée d’amener un blanc au comité central tombe amoureuse de son prisonnier.

Cette nouvelle adaptation de la nouvelle de Lavrenec convainc moins que le film de Protozanov parce que le schématisme est moins acceptable dans un film parlant que dans un film muet. Et en trente ans, le cinéma soviétique n’a guère gagné en finesse: le film de Tchoukraï est plus lourd et moins concis (la durée a presque doublé) que celui de Protzanov et Izolda Izvitskaya est moins jolie que Ada Voïtsik. Les images en Sovietcolor sont assez belles sans être les plus impressionnantes qu’ait capturées le grand Sergueï Ouroussevski.

Le quarante-et-unième (Yakov Protazanov, 1927)

Leur bateau s’étant échoué sur une île déserte, une révolutionnaire bolchevik chargée d’amener un traître au comité central tombe amoureuse de son prisonnier.

Yakov Protozanov conduit admirablement son film. Son talent se manifeste aussi bien dans le découpage des batailles du début que dans l’utilisation de la lumière et du décor naturel dans les séquences idylliques de la dernière partie qui rappellent Les proscrits. Les acteurs sont expressifs sans en faire des tonnes et le récit, adapté d’une nouvelle de Boris Lavrenev, est d’une étonnante complexité dramatique.

Raspoutine l’agonie (Elem Klimov, 1981)

Alors que la première guerre mondiale fait rage et que le régime vacille, le mystérieux Raspoutine s’immisce dans la famille Romanov.

Je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse réaliser un film aussi terne et guindé avec un tel sujet. Le formalisme de Klimov, qui fait de beaux mouvements de caméra mais qui est inapte à saisir un geste juste, dessèche sa matière. Sa narration éclatée et entrecoupée d’actualités truquées n’engendre guère de sens et aucune émotion. Que Marcel Martin ait pu écrire que Raspoutine l’agonie était « une fresque grandiose et convulsive » en dit plus long sur son possible stipendiement soviétique que sur la vérité de l’oeuvre.

Les bateliers de la Volga (Cecil B. DeMille, 1926)

Pendant la révolution de 1917, un meneur du peuple tombe amoureux d’une aristocrate qu’il n’a pu se résoudre à exécuter.

Les bateliers de la Volga est sans doute le film américain le plus juste parmi ceux traitant de la révolution russe. Il a été réalisé par un cinéaste farouchement anticommuniste -futur soutien de McCarthy- mais qui mettait la vérité dramatique au-dessus de son opinion personnelle. Grâce à cette hauteur de vue, c’est une véritable dialectique de l’oppression qui meut le récit. Le dénouement de ce récit est quelque peu artificiel mais il est politiquement très audacieux. Plus que dans le versant « fresque » (le manque d’ampleur de la séquence éponyme m’a étonné) de son film, c’est dans le versant intimiste que Cecil B. DeMille brille ici. Ses acteurs (Elinor Fair, Robert Edeson, William Boyd qui ressemble au jeune John Wayne) sont comme souvent inconnus mais leur jeu est d’une finesse telle que l’évolution psychologique de leurs personnages est retranscrite très fidèlement dans des séquences d’une longueur inusitée qui n’en demeurent pas moins passionnantes grâce à la virtuosité totale du metteur en scène.

Crépuscule de gloire (The last command, Josef Von Sternberg, 1928)

Un général russe déchu par la Révolution devient figurant à Hollywood…

Les grandioses images du train plongeant dans le lac glacé sous le regard de Emil Jannings matérialisent somptueusement le drame puissant qui se jouait derrière la reconstitution hollywoodienne de la Révolution russe. La dernière partie qui montre la vérité des émotions au service de et à travers l’artifice est stupéfiante d’intelligence du septième art. Après avoir dérangé par sa lourdeur, le jeu très expressif de Emil Jannings se révèle idéal pour incarner tous les aspects -sociaux, moraux, physiques- de la pathétique déchéance d’un homme qui est au fond le sujet de ce grand film.

Chtchors (Alexandre Dovjenko, 1939)

En 1917, le général Chtchors mène l’insurrection bolchevique en Ukraine.

L’académisme de Dovjenko est en adéquation avec la raideur édifiante du panégyrique commandé par Staline en personne. Il y a certes quelques beaux plans, où le lyrisme exacerbé de la propagande vise si large qu’il finit par toucher, mais les 2h15 de Chtchors finissent par ennuyer franchement.

L’aveu (Summer storm, Douglas Sirk, 1944)

Dans la Russie pré-révolutionnaire, un juge d’instruction et un comte débauché s’amourachent d’une jeune et belle moujik mariée à un de leurs serviteurs.

En adaptant Drame de chasse de Tchekhov, Rowland Leigh, Michael O’Hara et Douglas Sirk ont brillamment clarifié les caractères et les enjeux dramatiques d’un roman au déroulement un peu laborieux. Le cinéma leur permet d’aller droit à l’essentiel en un minimum de temps. Ainsi, je ne me souviens pas d’un seul chapitre qui rende aussi sensible la joyeuse décadence de l’aristocratie russe que la séquence du mariage, quelque part entre Bunuel et Renoir. La subtilité lunaire du jeu de Edward Everett Horton à contre-emploi dans le rôle du comte y est pour beaucoup.

Le choix des adaptateurs d’avoir reporté l’action des années 1880 aux années 1910, qui précèdent immédiatement la révolution d’octobre 1917, contribue à enrichir le climat politique de l’intrigue policière initiale. Summer storm n’est pas un film explicitement historique mais l’atmosphère de cocote-minute sociale où les rapports entre les classes sont sur le point de s’inverser y est particulièrement prégnante. Les belles et pauvres ambitieuses hésitent entre séduire les derniers boyards et précipiter leur perte.

Enfin, la profonde beauté de Summer storm tient peut-être au fait qu’y est retracé, plus précisément que dans le roman, l’éternel drame d’une humanité faible déchirée entre ses pulsions et la nostalgie d’une certaine pureté. Si le pessimisme est de rigueur, on sent que leurs sentiments sont sincèrement ressentis par les personnages masculins, y compris lorsqu’ils se montrent infidèles. Ce grâce au bonheur d’expression des scènes à la campagne éclairées par Schüfftan et surtout, surtout, grâce à la géniale interprétation de George Sanders dans le rôle principal. La plus belle de sa carrière? C’est que jamais je n’avais vu son célèbre cynisme parer une tristesse aussi vraie.

La danse rouge (Raoul Walsh, 1928)

Pendant la révolution russe, une jeune paysanne et un grand duc tombent amoureux.

Voilà pour l’argument du film. Heureusement, The red dance ne se réduit pas à son argument. Si l’oeuvre contient son lot de niaiseries conventionnelles, un personnage secondaire introduit un peu d’humanité, surprend (légèrement) le spectateur par des actions guidées par un caractère entier, truculent et fondamentalement loyal. C’est le personnage joliment résigné joué par l’excellent Ivan Linow. En dehors de ça, le film bénéficie du lustre technique de la Fox, studio encore marqué par les expérimentations du grand Murnau qui venait d’y tourner L’aurore et qui, visiblement, influença Raoul Walsh autant que John Ford (cf Four sons). En témoignent les éclairages hyper-soignés, les cadrages stylisés, les surimpressions, la luxuriance des décors de studio et les nombreux mouvements d’appareil, soit tout un arsenal de virtuose assez peu typique de l’auteur de The Bowery qui, quand il n’est pas rhétorique éculée (exemple: exacerber le déchaînement d’une foule avec des surimpressions), apparaît souvent gratuit car sans nécessité dramatique. Reste que c’est assez joli à regarder.

La fin de Saint-Pétersbourg (Vsevolod Poudovkine, 1927)


Le début de la révolution de 1917 vu à travers un ouvrier récemment arrivé à Saint-Pétersbourg.

Lamentable film où Poudovkine accumule les « images-chocs » sans prendre le temps de donner une quelconque épaisseur aux personnages et aux situations. Le montage fait office de marteau-piqueur sur la cervelle du spectateur. Contrairement à La mère, La fin de Saint-Pétersbourg est un film tellement dépourvu de dialectique et d’évolution narrative qu’il ne peut prêcher qu’un convaincu. Contrairement à La mère, la virulence formaliste n’accompagne pas un crescendo dramatique digne de ce nom mais illustre les clichés marxistes les plus éculés. D’où la foncière hystérie du film.

Le passeport jaune (The yellow ticket, Raoul Walsh, 1931)

Russie, 1913. Pour sortir du ghetto et revoir son père enfermé par le tsar, une jeune juive n’a d’autre choix que de se procurer un passeport jaune, celui des prostituées. Au cours de ses pérégrinations, elle va rencontrer le chef de la police secrète tsariste et un journaliste britannique.

C’est au fond très conventionnel mais le récit est imprévisible au possible, bifurquant sans cesse. La profusion de rebondissements, l’absence d’appesantissement des auteurs sur quoi que ce soit et la rapidité de la mise en scène font de ce Yellow ticket un film toujours surprenant et jamais ennuyeux. On ne regarde pas un tel film dans une perspective « auteuriste » mais s’il fallait chercher la trace de la personnalité de Raoul Walsh dans ce divertissement brillamment réalisé, c’est dans le personnage du méchant qu’on la trouverait sans trop d’analyse capillotractée. Le policier joué par Lionel Barrymore annonce les Cody Jarret, Barbe-Noire et autres avatars négatifs du héros walshien qui, au-delà de la morale et de la raison sociale, se livrent complètement à leurs pulsions. C’est un personnage d’un bloc, non soumis à la convention dramatique. Son sincère appétit amoureux ne peut qu’atténuer sa méchanceté aux yeux du spectateur, sans que jamais cela ne remette en question son caractère tyrannique.

Scarlet dawn (William Dieterle, 1932)


Lors de la révolution russe, un officier du tsar fuit avec sa servante. L’amour va naître entre eux.

Voici un artefact de l’époque lointaine dans laquelle le tout-venant des studios hollywoodiens pouvait témoigner d’une capacité sans cesse renouvelée à surprendre le spectateur. Début des années 30. Le cinéma parlant américain s’invente. Le code de censure Hays ne s’est pas imposé, les genres ne sont pas tous différenciés, l’esprit est à nouveau celui des pionniers. Ce qui nous gratifie de charmantes curiosités telles que ce Scarlet dawn. Dans cette fresque historique qui dure moins d’une heure, l’opulence de la direction artistique n’a d’égal que la rapidité de l’enchaînement des péripéties. Les narrateurs atteignent évidemment un remarquable niveau de concision. Certes, personnages et situations n’ont pas beaucoup d’épaisseur mais William Dieterle est un esthète et le soin qu’il apporte à ses images apporte un surcroit d’intérêt à un film dont le schéma dramatique reste, au fond, convenu.