Pierre ou les ambiguïtés (Leos Carax, 2001)

Un jeune homme très riche fuit sa famille lorsqu’il rencontre une vagabonde qui affirme être sa demi-soeur…

Lisant le roman de Herman Melville, déséquilibré et incohérent mais gonflé par le lyrisme, la philosophie et l’ironie, je me disais qu’en effet, Leos Carax, pourrait en être un pertinent adaptateur. Las! Ne reste dans ce téléfilm en trois épisodes que la faiblesse de la construction dramatique, rendue encore plus nulle par le changement de contexte spatio-temporel qui obscurcit la relation entre Pierre et la mémoire de son père ou la relation entre Pierre et son cousin. Le sérieux perpétuel qui bascule régulièrement dans le ridicule faute de soubassement narratif, la laideur de la photographie -grisâtre ou obscure- et le jeu limité de Guillaume Depardieu et Katerina Golubeva -systématiquement échevelés pendant trois heures- échouent à donner la moindre consistance aux diverses situations charriées par un récit incohérent. Parfaitement gratuits, des inserts oniriques et une scène porno viennent certifier l’oeuvre d’une griffe « auteur »…Les indulgents pourront sauver de ce naufrage deux ou trois mouvements de caméra qui en jettent et un relatif sens du décor dans les scènes à l’usine désaffectée et dans la forêt.

The Virginian: It tolls for thee (Samuel Fuller, 1962)

Le Virginien tente de délivrer son patron enlevé par un bandit.

Difficile de retrouver la patte de Samuel Fuller dans ce western télévisuel pas même correctement construit: avec les deuxième gang qui veut se venger, Fuller a ajouté une intrigue secondaire qui parasite inutilement l’intrigue principale. Quelques dialogues sur-signifiants et artificiels sur la violence entre le gentil et le méchant, joué par Lee Marvin, semblent ce que la commande contient de plus personnel. Reste le charme du genre dans sa simplicité élémentaire.

Les aventures de Pinocchio (Luigi Comencini, 1972)

A la fin du XIXème siècle en Italie, un pauvre ébéniste crée une marionnette qui se transforme en petit garçon…

La haute réputation de cette télésuite en 6 épisodes chez certains éminents cinéphiles m’interroge. Si le début dans le village enneigé et misérable frappe par une certaine âpreté presque documentaire, la suite est longue et répétitive dans ses péripéties, de plus en plus artificielles: sans cesse, le gamin -doté d’une des pires têtes à claques vues au cinéma- dévie du bon chemin et s’en trouve puni. J’ai eu peine à croire que le budget avait été très important tant les images sont indigentes, le découpage sans invention et la musique ressassée. Les scènes entre Gepetto et Pinocchio sont assez touchantes mais finalement, sur les six heures que dure l’oeuvre, très rares. Pour autant, d’après mon souvenir, la version « courte » pour le cinéma n’est guère plus passionnante. Sur le thème de l’enfance, Luigi Comencini a fait tellement et si souvent mieux.

L’Écrin de l’ombre (The shadow box, Paul Newman, 1980)

Dans une clinique, trois personnes condamnées, rejointes par leurs familles, acceptent de répondre à des questions devant une caméra.

L’humilité de la mise en scène de Paul Newman efface l’origine théâtrale de son script pour atteindre à une vérité universelle sur la mort, la vie, la famille, l’amour…Ce qui aurait pu n’être qu’un exercice abstrait de dramaturge sur des thèmes majuscules se révèle vibrant de justesse et de sensibilité grâce, notamment, à des acteurs parfaits et à un ton qui, tantôt drôle, tantôt sentimental, tantôt amer, tantôt allègre (la danse improvisée), n’est jamais plombant malgré l’extrême gravité du sujet: c’est le récit d’un consentement (à l’inéluctable) qui nous est narré.

Vita coi figli (Dino Risi, 1990)

Son épouse décédée dans un accident, un riche quinquagénaire se rapproche de ses cinq enfants et tombe amoureux d’une jeune fille.

Une énième variation sur deux thèmes canoniques de la comédie italienne: rapprochement d’un père avec ses enfants après un drame et démon de midi. Cette fois, c’est particulièrement mal écrit et mis en scène avec un je-m’en-foutisme consternant. Malgré le sujet, ce n’est jamais drôle ni touchant. La faute à la télé Berlusconi pour qui « l’oeuvre » a été entreprise? On note bien sûr quelques plans tout à fait gratuits de la jeune Monica Bellucci nue.

Dogface (Samuel Fuller, 1959)

En 1943 en Tunisie, des G.I sont canardés à cause d’un chien allemand qui repère leur trace.

Ce pilote d’une éventuelle série commandé par CBS mais jamais diffusé est une oeuvre poignante et personnelle qui pourrait faire office de segment supplémentaire au chef d’oeuvre de son auteur: The big red one. A travers 30 minutes d’action quasi-continue, Fuller déploie, en ne s’interdisant pas certains raccourcis scénaristiques mais en faisant preuve d’efficacité visuelle, un drame complexe sur les relations entre l’homme et le chien dans un contexte guerrier. Ainsi, Dogface préfigure aussi White dog.

Un ciel radieux (Nicolas Boukhrief, 2017)

Après un accident de voiture du à la pression professionnelle, un père de famille se réincarne dans la peau du jeune motard qu’il a percuté.

Nicolas Boukhrief s’est très bien tiré de l’adaptation du manga à dormir debout de Taniguchi. Le montage lui permet de juxtaposer les deux vies et de les assimiler à deux niveaux de conscience sans la lourdeur verbale de la bande dessinée (la voix-off est heureusement très peu présente). La souplesse de son découpage fluidifie le récit alambiqué. Peut-être eût-il pu se passer de faire figurer les deux personnages en même temps dans quelques scènes qui, de ce fait, gardent un parfum d’incongru…

Moins redondant dans sa narration, le cinéaste français se montre plus rentre-dedans -mais aussi plus simpliste- que le dessinateur japonais dans son traitement du conflit entre le salarié décédé et son employeur. Les parcs dans leurs couleurs automnales et les plages du nord de la France fournissent un écrin apaisant à la tragédie fantastique. Toutefois, l’épure des cadres et la fréquente distance de la caméra par rapport aux acteurs n’empêchent pas l’émotion d’affluer progressivement jusqu’à un dernier plan de l’ordre du génie pur. Conjuguant grandeur, élégance et tendresse pour évoquer une puissance spirituelle, Boukhrief se montre alors encore plus fort que Jacques Tourneur dans la séquence de résurrection de Stars in my crown.

Maria Zef (Vittorio Cottafavi, 1981)

Dans le Frioul au XIXème siècle, deux jeunes filles sont recueillies par leur oncle charbonnier après la mort de leur mère épuisée.

Le parti-pris néoréaliste (acteurs amateurs, dialecte frioul, décors naturels…) qui fait oublier la reconstitution historique, l’austérité générale et la cottafavienne hauteur de vue assurent une belle dignité à une histoire pas dénuée de misérabilisme qui, adaptée par un autre, aurait pu sombrer dans le larmoyant. Loin de fustiger ou d’encenser unilatéralement la ville, où l’argent est plus facile à gagner, ou l’oncle Zef, viscéralement attaché à son archaïque mode de vie, Vittorio Cottafavi les montre avec une égale justesse, une même absence d’idéologie qui serait forcément déformante. Le drame socio-économique est un tremplin qui lui permet de se hisser vers la tragédie primitive. Dans cette oeuvre assez pesante qui refuse les séductions de tous ordres, on note quand même une des plus belles séquences de bal vues au cinéma, une séquence dénuée de pittoresque où le metteur en scène rend sensible le passage du temps avec une éclatante netteté.

Beau travail (Claire Denis, 2000)

A Djibouti, un légionnaire devient jaloux d’une nouvelle recrue.

Le sens et la narration sont réduits à néant au profit d’un pompeux lyrisme de la fascination pour les corps virils et la nature grandiose (le bleu de la mer est un des plus sublimes jamais vus au cinéma): Claire Denis se montre ici digne héritière de Leni Riefenstahl. Un montage ouvertement insensé apporte la griffe arty-moderniste nécessaire à l’adoubement contemporain.

Bonheur (Cédric Kahn, 1994)

Trois jeunes filles et cinq garçons s’en vont faire la fête dans la maison désertée d’une des filles.

Plusieurs qualités font de l’opus de Cédric Kahn un des meilleurs téléfilms de la collection Tous les garçons et les filles mon âge, derrière les deux chefs d’oeuvre de Téchiné et Mazuy mais assez loin devant le reste (Akerman, Assayas, Denis…). D’abord, la multiplicité des personnages assure à la narration un séduisant caractère polyphonique que l’auteur orchestre avec une grande subtilité. Ensuite, les kékés du Sud sont plus amusants à suivre sur un écran que les intellos suicidaires. Observés avec une justesse qui ne manque pas de cocasserie, ils vivent et ils agissent plutôt qu’ils ne théorisent, ce qui conduit le metteur en scène à faire preuve d’inventivité et d’imagination et à faire passer sa vision politique (car politique il y a) en filigrane et non via de faciles explicitations verbales. Enfin, les paysages ensoleillés de la Drôme provençale fournissent un magnifique écrin aux premières amours qui sont ici filmées. Le dernier plan pare la chronique adolescente d’un tantinet de poésie cosmique.

Paix et amour (Laurence Ferreira Barbosa, 1994)

A Nice en 1975, un jeune fan de rock embarque un copain dans ses velléités révolutionnaires.

Les années 80 sont fréquemment associées au mauvais goût mais une reconstitution comme Paix et amour permet de se rendre à l’évidence: les années 70 n’étaient pas mieux. Vêtements informes, cheveux démesurés, tentures cumulatrices d’acariens, silhouettes avachies par le shit…la décadence par rapport aux glorieuses 60’s était déjà consommée. Laurence Ferreira Barbosa suit un adolescent assez bête et antipathique dans ses solos de guitare imaginaire et ses dérisoires envies léninistes. Le ton est plutôt comique et certaines répliques sont vraiment drôles. Avec une certaine justesse, le dénouement auréole ce qui n’était qu’une inégale et inconséquente pochade d’un semblant de gravité. Pas mal.

Brève traversée (Catherine Breillat, 2001)

Sur un ferry traversant la manche, une mère de famille rencontre un jeune homme de 18 ans et couche avec lui.

Sarah Pratt est bien et il y a une certaine justesse dans le traitement d’un sujet d’article pour Femme actuelle (l’unité de temps et la brièveté du métrage évitent au déroulement d’apparaître trop conventionnel) mais il faudrait dire à Catherine Breillat d’éviter la prise de son  en direct lorsque les deux personnages sont sous les draps ou alors, si le film est en fait post-synchronisé, de demander aux acteurs de parler près du micro; la moitié des dialogues sont inaudibles. A tous les niveaux, la grisaille prédomine.

Portrait d’une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles (Chantal Akerman, 1994)

A la fin des années 60 à Bruxelles, une adolescente rencontre un déserteur…

Il s’avère donc que, comme tous les ensembles de (télé)films, la collection Tous les garçons et les filles de mon âge contient une large majorité de films anecdotiques et que les chefs d’oeuvre y sont l’exception. Certes, deux chefs d’oeuvre (au moins) sur neuf opus, c’est déjà extraordinaire. Mais si Les roseaux sauvages et Travolta et moi se distinguent c’est parce qu’ils ne se bornent pas à suivre des jeunes gens plus ou moins tête-à-claques dans leurs premières coucheries. Chacun d’eux transfigure la banalité de la commande: l’un en confrontant l’adolescence à l’Histoire, l’autre au lyrisme noir de l’auteur la plus mal embouchée du cinéma français.

Le morne film de Chantal Akerman, lui, ne décolle guère de son réalisme ras-les-pâquerettes. C’est principalement -mais pas uniquement tel qu’en témoigne la meilleure scène qui est celle de la danse- par de longs dialogues dans les rues de Bruxelles que l’auteur exprime le désarroi de son héroïne; désarroi face à la société de consommation, désarroi face à la guerre du Viêt-Nâm, désarroi face au sexe. Un découpage alerte basé sur le plan-séquence insuffle toutefois un certain naturel à cette construction paresseuse. Enfin, il faut noter que la fin tragique de Chantal Akerman a aggravé la tonalité des interrogations suicidaires de son personnage -de toute évidence très autobiographique.

Tricked (Paul Verhoeven, 2012)

La fête d’anniversaire d’un bourgeois tout juste quinquagénaire est perturbée par d’anciennes maîtresses…

Coécrit par des centaines d’internautes au fur et à mesure de son tournage, Tricked n’en demeure pas moins, de par les obsessions satiriques qui l’animent, un film de Paul Verhoeven. Le cinéaste vétéran a d’ailleurs nettement recadré les amateurs lorsque le processus d’écriture divergeait par trop des prémisses. La légèreté du budget induit concision et souplesse. Concision d’une histoire racontée en trois quarts d’heure, souplesse d’une caméra à l’épaule dont la mobilité immersive préfigure Elle. Les acteurs sont très bons et il serait juste que la jeune et plutôt sublime Gaite Jansen devienne une star. Le malicieux déroulement justifie a posteriori des plans de très mauvais goût. Même si la pirouette finale dévoile les limites du projet en ravalant la satire à un spectacle de marionnettes, Tricked est une friandise qui devrait ravir les amateurs du « Hollandais violent ».

U.S Go home (Claire Denis, 1994)

Dans les années 60, dans une ville de province française près d’une base américaine, une adolescente cherche à se faire dépuceler.

La brièveté de ce téléfilm n’empêche pas qu’il paraisse très long au regard du peu qu’il montre et raconte. Claire Denis a réussi l’exploit de faire un film à la fois plat et creux.

Le grand jour ou « Souris, t’es heureux ce jour-là » (Michèle Rosier, 1978)

Le jour de son mariage, de la coiffure jusqu’au retour à la chambre d’hôtel, un couple de la banlieue ouvrière est filmé.

En tant que rituel qui mêle l’intime, la société et le sacré, il n’y a pas grand-chose de plus cinégénique qu’un mariage. John Ford, Luchino Visconti et Michael Cimino en savaient quelque chose. C’est ainsi que derrière des apparences de vidéo amateur, Michèle Rosier arrive à faire ressentir le lien qui perdure entre les conventions sociales et l’idée de transcendance amoureuse. Les personnages sont filmés avec un respect et un amour qui rappellent les films de Paul Newman et John Cassavettes. La dignité simple des vieux chantant en patois, des amis routiers et de l’oncle gentiment éméché, tous réunis dans cette brasserie albertivillarienne disparue, rend immanquablement nostalgique à l’heure de la profusion des mariages bling-bling dans le 93. Cerise sur le gâteau, la mariée, Soraya Alvarez, est très jolie. En dépit de petites longueurs (lors de la séance photos notamment), Souris, t’es heureux ce jour-là est donc un bien beau film.