Le voyage des comédiens (Theo Angelopoulos, 1975)

En 1952, le voyage d’une troupe de comédiens à travers la Grèce confrontée aux réminiscences de l’Histoire des douze dernières années.

Pour être basé sur le plan-séquence plus que sur le montage, le style de Théo Angelopoulos n’en demeure pas moins aussi concerté, artificiel et révélateur d’impuissance face à sa matière concrète et dramatique que celui d’un Bresson. Simplement, son film est au moins trois fois plus chiant car presque trois fois plus long que le pire Bresson (L’argent). On songe aussi au systématisme creux d’un Miklos Janczo. Impossible de justifier par exemple le choix du lent panoramique plutôt que du simple champ-contrechamp lorsque l’autocar se fait tirer dessus par les Allemands. Panoramique, travelling, hors-champ, mélange des temporalités, ellipse, vitesse des mouvements (généralement lents) ou valeur de cadre (généralement éloigné), chaque parti-pris semble avoir pour objectif de mettre en valeur l’auteur plutôt que ses personnages, ses situations, ses thèmes. A cela s’ajoutent des procédés de distanciation « brechtienne » qui achèvent de faire verser le film dans la plus complète des saugrenuités. D’où, malgré une durée près de quatre heures, l’impression d’un film aussi pesant que vide (c’est là le génie de Angelopoulos), d’où il ne ressort pas grand-chose de plus qu’un vague larmoiement sur les persécutions des communistes en Grèce.

Je rentre à la maison (Manoel de Oliveira, 2001)

Son épouse, sa fille et son gendre décédés dans un accident, un grand comédien recueille chez lui son petit-fils.

L’étisie du récit, le simplisme réac de la vision du monde (qui est bien celle d’un grand bourgeois né en 1908) et la lenteur affectée du rythme annihilent le potentiel dramatique du sujet malgré le volontarisme quelque peu risible du découpage (conversation filmée du point de vue des chaussures pour montrer le dépit matérialiste du personnage…) et un Michel Piccoli impeccable.

L’homme aux cent visages (Dino Risi, 1960)

Un acteur raté fait fortune en utilisant ses talents pour escroquer.

Quoique ce grand shakespearien ne soit pas très crédible lorsqu’il fait semblant de mal jouer Hamlet, Vittorio Gassman est l’atout maître de cette comédie qui a des allures de film à sketchs. L’inventivité renouvelée des épisodes (l’ampleur graduelle des escroqueries va de pair avec celle des quiproquos), le réalisme du cadre et le maintien d’une certaine logique dans le comportement des personnages -aussi comiques soient-ils- maintiennent croissant l’intérêt du spectateur même si le récit demeure superficiel. Très plaisant.

Baruch (Ewald André Dupont, 1923)

Au grand dam de sa famille, le fils d’un rabbin s’en va à Vienne pour devenir acteur…

Le récit est cousu de fil blanc mais il y a de jolies images de folklore juif et Ernst Deutsch qui joue le rôle-titre est d’une beauté telle qu’on se demande pourquoi il n’est pas devenu une star de premier plan.

L’homme du jour (Julien Duvivier, 1937)

Après avoir donné son sang à une grande actrice, un électricien tente de réaliser ses ambitions dans la chanson.

La rencontre entre Maurice Chevalier, de retour d’Amérique, et Julien Duvivier, alors au sommet de sa carrière, aurait pu laisser présager un grand film. Malheureusement, si le sujet -en gros, les rêves qui demeurent inaccessibles en dépit des illusions- paraissait idéalement convenir à l’auteur de La fin du jour, le produit fini déçoit à cause d’un scénario médiocre et d’une vedette sympathique mais crédible ni en électricien ni en mauvais chanteur (l’astuce finale ne fait que redoubler ce hiatus). Reste quelques piques précurseuses contre le quart d’heure de célébrité warholien ainsi que la jolie mélancolie des séquences avec la vendeuse de fleurs.

 

Embrasse-moi, chérie (Kiss me Kate, George Sidney, 1953)

Un comédien met une scène une adaptation musicale de La mégère apprivoisée avec son ex-femme dans le rôle principal…

S’il n’était parfois ralenti par des tours de chants scéniques sans rapport avec la narration, Kiss me Kate se hisserait à la hauteur des meilleures comédies musicales parmi lesquelles figurent notamment Chantons sous la pluie et Tous en scène. Les auteurs ont repris une armature canonique du genre -le spectacle dans le film- qu’ils ont galvanisée dans une solution contenant tous les ingrédients d’une bonne comédie de remariage. L’entrain, la drôlerie et la vitalité du résultat sont irrésistibles. Ces qualités doivent beaucoup à la virtuosité des auteurs. D’abord, une virtuosité scénaristique transfigure le vaudeville à unité de temps et de lieu en démultipliant protagonistes et intrigues autour du couple principal. A l’instar du cocasse duo de mafiosi, chaque personnage secondaire a droit à son morceau de bravoure dans ce récit renoirien (on songe à French cancan sorti l’année suivante).

La virtuosité est ensuite plastique: George Sidney s’avère, plus que jamais, un des réalisateurs les plus doués pour filmer et restituer le mouvement; ce alors que sa mise en scène est soumise à des bornes spatiales très contraignantes. Salons minuscules, petites terrasses, loges et couloirs de théâtre sont en effet les décors qu’il doit se coltiner. En fait, ces  limites, exploitées par des danseurs extrêmement brillants, ont pour effet de redoubler l’intensité spectaculaire des numéros en concentrant leur dynamisme (à l’inverse de l’ampleur chorégraphique déployée dans d’autres chefs d’oeuvre du musical tel Pique-nique en pyjama). Il faut voir Ann Miller danser sur une table basse, encore plus éblouissante et sexy que Cyd Charisse, ou Tommy Rall faire des entrechats sur la rambarde du toit pour se rendre compte de la géniale singularité de Kiss me Kate à l’intérieur du genre le plus enchanteur de l’âge d’or hollywoodien.

Le mort en fuite (André Berthomieu, 1936)

Pour se faire de la publicité, deux comédiens ratés ont l’idée de faire croire que l’un a assassiné l’autre.

Une idée de départ amusante et la rencontre des monstres sacrés Jules Berry et Michel Simon suffisent à assurer l’intérêt minimal mais, sur la longueur, une écriture par trop désinvolte et une mise en scène dénuée de toute imagination essoufflent ce Mort en fuite. C’est d’autant plus dommage qu’il y a, dans les scènes comiques où personne ne croit à la mascarade des vieux comédiens, une amertume sous-jacente d’une terrible justesse quant à la condition de cabotin, un peu de la même façon que le pessimisme moral se manifestait à travers l’entrain de Maurice Chevalier dans le chef d’oeuvre de Tourneur.

La crise est finie (Robert Siodmak, 1934)

Une troupe de théâtre se débarrasse de sa vedette capricieuse et tente, malgré la crise, de monter un spectacle à Paris.

A partir d’un canevas dans la droite lignée des Chercheuses d’or de la Warner, les auteurs ont concocté une fantaisie aussi superficielle et agréable qu’une ivresse au champagne. L’étourdissante rapidité du rythme stimulée par les mouvements d’appareil sophistiqués, vifs et précis de Siodmak distingue La crise est finie des autres films musicaux français de l’époque.

Frances (Graeme Clifford, 1982)

Des sunlights hollywoodiens aux cures d’électrochocs en passant par le théâtre militant, la vie tragique de l’actrice Frances Farmer.

Le récit, quelque peu exagéré comme l’ont montré des enquêtes postérieures, des tourments de Frances Farmer doit normalement suffire à faire un film prenant et émouvant. Ce, pour peu que les acteurs soient à la hauteur du défi et que le réalisateur connaisse son métier. C’est le cas ici. A l’exception de deux moments (les gros plans -vulgaires- au tribunal et les surimpressions -touchantes- à l’asile), le travail de Graeme Clifford est très classique et sa caméra est au service des comédiens, tous excellents. Jessica Lange tient le film sur ses épaules et montre qu’elle est à l’époque la plus grande actrice américaine. Sam Shepard joue un rôle assez secondaire par rapport à celui de sa compagne mais cependant essentiel à la beauté de l’oeuvre. Il y a en effet quelque chose de sublime dans l’amour d’un désintéressement absolu que porte son personnage -fictif- à Frances. Ce qui était initialement une convention destinée à avoir un partenaire masculin présent tout au long de la vie de Farmer fait tendre la biographie filmée vers le romanesque pur. La violence de la normalisation sociale, et plus particulièrement l’intransigeance du matriarcat WASP et l’inconséquence de son progressisme de façade, sur des intelligences déliées comme celle de Frances Farmer est restituée avec une grande force dramatique. Voir ainsi les terribles scènes de bagarre entre la mère et la fille.

L’impasse de l’amour et de la haine (Kenji Mizoguchi, 1937)

Une jeune serveuse enceinte est abandonnée par son fiancé de bonne famille…

Cette énième variation de Kenji Mizoguchi sur son thème de prédilection est une énième réussite où, plus précisément qu’ailleurs, une certaine lâcheté masculine est représentée avec justesse. Au contraire, la femme ne manque pas de courage et assume pleinement sa voie en dehors de la société « normale ». L’impasse de l’amour et de la haine est ainsi un des films de Mizoguchi les moins noirs parmi ceux mettant en scène des « filles perdues ». Cette vérité au sein d’un canevas rebattu, le film la doit essentiellement à l’absence de manichéisme du script rigoureux de Yoda (lointainement adapté de Résurrection de Tolstoï) et à la qualité de comédiens dirigés par un réalisateur plus tyrannique que jamais (Fumiko Yamaji aurait été contrainte de répéter plusieurs centaines de fois une même scène).

Upstream (John Ford, 1927)

Dans une pension d’artistes, un acteur minable mais descendant d’une illustre lignée de comédiens est appelé pour jouer Hamlet à Londres.

Exhumé en 2009 de la cave d’un collectionneur hollandais, Upstream est un film de John Ford qui a longtemps été considéré comme perdu. C’est une comédie courte, fraîche et vivante qui n’a a priori que peu à voir avec l’univers du cinéaste. Pourtant, lorsqu’on y regarde de plus près, on se rend compte que le héros, triomphant mais finalement rejeté par sa communauté, s’inscrit dans une longue lignée de solitaires fordiens qui va du Cheyenne Harry de Straight shooting au Dr Nancy Cartwright en passant évidemment par  Ethan Edwards. Ce personnage hâbleur et peu sympathique mais sincèrement malheureux en amour est d’ailleurs ce qu’il y a de plus complexe, de plus vrai et donc de plus beau dans Upstream. Raymond Hitchcock, physiquement très ressemblant à Arthur Shields, dans le rôle du grand comédien à la retraite est pas mal aussi. Bon film en définitive.

Entrée des artistes (Marc Allégret, 1938)

L’arrivée d’une nouvelle élève sème le trouble entre deux jeunes amoureux du Conservatoire.

Plutôt qu’un marivaudage, Entrée des artistes est un triangle amoureux. Sa relative originalité tient au fait que ses protagonistes, à force de se jouer la comédie, ne savent plus distinguer la vérité de leurs sentiments. Comme les personnages sont en perpétuelle représentation et rarement naturels, on peut même pour une fois tolérer les (mauvais) bons mots de Jeanson. Il est cependant dommage que le metteur en scène soit aussi peu investi dans ce qu’il filme. De ce fait, Entrée des artistes n’est guère plus que le déroulement de son script, un script calculé de bout en bout par des fabricants préoccupés par l’application de recettes parfois idiotes (voir l’intrigue policière finale complètement hors de propos) plus que par le traitement de leur sujet profond qui, d’après la tirade finale du professeur, aurait pu être l’analogie entre représentation théâtrale et comédie de la vie. Heureusement, Louis Jouvet, quoique finalement peu présent, est magnifique dans un rôle quasi-biographique et ses quelques scènes ont un cachet réaliste qui fait défaut au reste du film. Quant à la frêle Janine Darcey, elle est touchante. Bref, Entrée des artistes est un divertissement correct mais loin d’être un classique du cinéma français.

Miquette et sa mère (H-G Clouzot, 1950)

Une jeune provinciale courtisée par un héritier benêt et rêvant de devenir comédienne se fait engager par un cabotin…

On peut légitimement se demander ce qui a pris Clouzot d’adapter cette fameuse comédie de boulevard de la Belle Epoque. Blagues dignes des Grosses têtes, cabotinage outrancier des comédiens, personnages stéréotypés, traitement superficiel et convenu.
Regardée avec une certaine distance (distance de toute façon entretenue par la mise en scène très théâtrale tel qu’en témoignent les multiples regards caméra de Saturnin Fabre), cette pochade peut parfois s’avérer amusante.

Caprices (Léo Joannon, 1941)

Chaque Saint-Sylvestre, un riche excentrique a l’habitude de payer un luxueux réveillon à une jeune fille du peuple. Cette année, il est tombé sur une aspirante comédienne bien décidée à profiter de l’occasion…

Produite par la Continental, Caprices est une comédie légère et charmante. Comme dans les comédies américaines, l’histoire tire son intérêt du jeu, du flou qu’il y a entre les manipulations des personnages entre eux et la réalité de leurs caractères et sentiments. Danielle Darrieux est délicieuse. Ne manquait que quelques gags supplémentaires, quelques trouvailles de mise en scène, une caractérisation moins appuyée de certains personnages secondaires, bref un cinéaste plus inspiré que le méritant Joannon pour faire de Caprices un chef d’oeuvre du genre. En l’état, c’est un film tout à fait plaisant.

En présence d’un clown (Ingmar Bergman, 1997)

Dans les années 20, un ingénieur interné en hôpital psychiatrique et féru de Schubert invente le cinéma parlant.

Arrivé en fin de carrière, Ingmar Bergman ne se préoccupe plus guère d’inscrire ses éternelles obsessions (la mort, le sexe, le théâtre, l’absence de Dieu tout ça) dans une quelconque réalité. En présence d’un clown est peut-être son film le plus décharné, le plus cru. Le problème est qu’une abstraction aussi prononcée anesthésie complètement le film. Heureusement, son ultime ultime film, Saraband, allait être d’un tout autre acabit.

Pension d’artistes (Stage door, Gregory La Cava, 1937)

Chronique d’une pension de comédiennes.

Contrairement à d’autres réalisateurs de l’époque, Gregory La Cava n’a pas débuté au théâtre et pourtant ce film est très théâtral. Très écrit, Pension d’artistes repose sur ses dialogues plus que sur sa mise en scène peu dynamique. L’acuité du regard sur un large panel de femmes qui agitent leurs rancoeurs et leurs espoirs dans un espace clos rappelle George Cukor. D’autant que, de Katharine Hepburn à Ginger Rogers, l’interprétation est éblouissante. L’humour est acerbe, les nombreuses répliques cinglantes montrent la dureté du métier d’actrice. Ce qui n’empêche pas, ici et là, l’émergence d’une certaine tristesse. C’est du cinéma brillant mais calculé de bout en bout.

Paris nous appartient (Jacques Rivette, 1961)

De jeunes parisiens s’interrogent sur une conspiration et montent une pièce de théâtre.

L’intrigue est confuse et sans intérêt, l’absence de moyens criante, la mise en scène inexistante, le film long comme un jour sans pain. En voilà un qui aurait mieux fait de rester critique.