Barrabas (Richard Fleischer, 1961)

Après avoir été gracié par la foule à la place de Jésus-Christ, le voleur Barrabas erre, tourmenté, dans l’empire romain.

Les plans longs, larges et beaux de Richard Fleischer posent un regard d’esthète sur ce long et redondant itinéraire spirituel, alourdi par une distribution d’acteurs prestigieux mais jouant sans nuance.

Le chevalier mystérieux (Riccardo Freda, 1948)

Pour délivrer son frère des geôles vénitiennes, Casanova est chargé d’intercepter une lettre envoyée à Catherine de Russie.

Riccardo Freda prend de très grandes libertés avec les mémoires du séducteur vénitien pour trousser un film d’aventures dynamique et enlevé. C’est superficiel mais le sens du décor et de l’action font du Chevalier mystérieux un des bons films de cape et épée italiens. Pour une fois, un film de Freda ne pèche pas côté interprétation grâce à une révélation de tout premier ordre dans le rôle principal: Vittorio Gassman.

Le gaucho (Dino Risi, 1964)

Un attaché de presse et des actrices vont en Argentine pour défendre l’Italie dans un festival de cinéma. Là, ils rencontrent un immigré qui a fait fortune dans la viande de boeuf.

Partis en Argentine, Ettore Scola et Dino Risi n’ont eu qu’un mois pour écrire le film avant que le tournage ne commence. Cela se ressent tant le récit manque de ligne directrice. Toutefois, si le comique n’est pas aussi brillant qu’il ne le fut avec ces auteurs, plusieurs séquences touchent par leur pudique amertume; c’est le cas de celles avec le personnage de l’ami qui a raté sa vie joué par Nino Manfredi. Ses retrouvailles avec Gassman dans les quartiers populaires et immigrés de Buenos Aires font fortement songer à Nous nous sommes tant aimés, sorti 10 ans plus tard.

Histoire d’aimer (Marcello Fondato, 1975)

L’épouse d’un ingénieur est choisie comme jurée du procès d’une femme accusée d’avoir tué son amoureux à coups de pelles.

Claudia Cardinale en très petite tenue suffit à faire de Histoire d’aimer un titre capital de la comédie italienne. En dehors de ça, le film bénéficie d’une distribution quatre étoiles (ou plutôt trois étoiles et demi car le talent de Monica Vitti était inversement proportionnel à sa vanité) et d’un thème intéressant qui est la correspondance entre un crime passionnel et l’éveil sexuel d’une bourgeoise frigide. J’aurais toutefois aimé voir ce thème développé avec moins de schématisme, plus de concision et plus de profondeur (fin en queue de poisson).

Le prophète (Dino Risi, 1968)

Ayant tout plaqué pour vivre en ermite, un ancien employé de bureau est forcé de retourner à Rome où il rencontre une hippie.

Décousue, laide et caricaturale, cette satire de la société de consommation est un échec (et cet échec fut reconnu en tant que tel par son réalisateur, sa vedette et son scénariste Scola, trio à l’origine de tant de réussites).

L’homme aux cent visages (Dino Risi, 1960)

Un acteur raté fait fortune en utilisant ses talents pour escroquer.

Quoique ce grand shakespearien ne soit pas très crédible lorsqu’il fait semblant de mal jouer Hamlet, Vittorio Gassman est l’atout maître de cette comédie qui a des allures de film à sketchs. L’inventivité renouvelée des épisodes (l’ampleur graduelle des escroqueries va de pair avec celle des quiproquos), le réalisme du cadre et le maintien d’une certaine logique dans le comportement des personnages -aussi comiques soient-ils- maintiennent croissant l’intérêt du spectateur même si le récit demeure superficiel. Très plaisant.

Valse d’amour (Dino Risi, 1990)

Libéré de l’asile suite à la loi du 13 mai 1978, un ancien directeur de banque retourne dans sa famille…

Cette dernière collaboration entre Dino Risi et Vittorio Gassman s’inscrit tout à fait dans la lignée des oeuvres les plus tardives de l’auteur du Fanfaron: c’est une comédie assez peu comique et très amère. Le plan où l’on découvre Gassman, désormais vieux, prostré sur un lit d’hôpital, à moitié dans le noir, est d’une poignante grandeur pathétique.

L’argument de départ est bien sûr l’occasion de pointer du doigt les dérèglements de la société moderne et de montrer que le fou n’est peut-être pas celui que l’on croit. Même si plusieurs piques font mouche, cette confrontation attendue entre le grand-père et sa nouvelle famille n’est pas la meilleure partie du film tant les personnages de la bru et de son fiancé sont superficiellement caractérisés. La séquence avec l’ancienne secrétaire est même embarrassante mais c’est la seule du film qui verse aussi stupidement dans la caricature.

C’est lorsqu’il sort des rails de la satire pour se focaliser sur la relation entre un grand-père et sa petite fille, tous deux en rupture avec leur famille, que Valse d’amour prend toute sa dimension: parfaitement crépusculaire, irrémédiablement triste et fondamentalement ambigu. C’est avec un tact magistral que Risi filme ce qu’il faut bien appeler l’amour entre un vieil homme et une fillette; un amour débarrassé aussi bien de la raison familiale que de la tentation charnelle. Dans la scène où la gamine coupe les cheveux de son grand-père se révèle une douceur que Risi, aussi aigri puisse t-il se montrer, n’occulte jamais complètement.

Très sobre, Gassman est immense; il réussit à rendre la folie de son personnage « naturelle » à part peut-être dans les scènes où il entend la valse du titre, scènes que l’emploi de la bande-son rend conventionnelles. Face à lui, le cabotinage d’un Elliott Gould méconnaissable apporte ce qu’il faut de vitalité comique à cette comédie terriblement mélancolique.

Cher papa (Dino Risi, 1979)

Un puissant industriel italien tente de renouer le dialogue avec son fils engagé dans le terrorisme gauchiste…

Pas si artificielle qu’il n’y paraît au premier abord, cette fable malaisante s’avère un des meilleurs films de Dino Risi car un des plus fins et un des plus profondément amers. L’expression de la noirceur ne passe plus par les vibrionnantes caricatures typiques du soi-disant âge d’or de la comédie italienne mais se retrouve tapie dans une larme venant ébranler l’absolue froideur d’un parricide. Par contrepoint, la chaleureuse interprétation de Vittorio Gassman rend d’autant plus patent le fossé irrémédiable entre les pères et les fils. Troublant.

Brancaleone s’en va-t-aux croisades (Mario Monicelli, 1970)

Tout est dit dans le titre.

Cette suite directe de L’armata Brancaleone a le même type de structure que son prédécesseur. Elle le prolonge comme le ferait un nouvel épisode dans un feuilleton: signée des mêmes auteurs, l’écriture est (presque) d’égale qualité et on retrouve une analogue profusion de péripéties, mais, à l’exception de la confrontation avec la Mort qui introduit une dose de fantastique baroque dans le diptyque, l’effet de surprise a disparu. Le subtil équilibre du premier épisode fait place à un ton plus uniformément grotesque. De plus, avec la disparition de Gian Maria Volonte, on pourra regretter qu’il n’y ait plus de second rôle de taille à renvoyer la balle à Gassman. Bref, c’est moins bien même si ça reste bien.

L’armée Brancaleone (Mario Monicelli, 1966)

Ayant par hasard récupéré le titre de possession d’un fief, une bande de manants entraîne un chevalier désargenté dans une drôle d’équipée…

L’armata Brancaleone est peut-être le chef d’oeuvre de Mario Monicelli. Pour une fois, le ridicule de ses protagonistes n’apparaît pas comme une mesquine facilité. Est-ce dû au contexte temporel? Le fait est que le mélange de crudité démystificatrice et de fantaisie grotesque de la mise en scène donne une assez juste idée de l’époque représentée et fait de cette comédie un des meilleurs films sur le Moyen-âge. L’épisode de la croisade des gueux avec le leader halluciné qui ne parle qu’en criant est particulièrement bien senti.

Toutefois, L’armata Brancaleone ne serait pas un film très intéressant (ni très courageux) s’il se contentait de brocarder un obscurantisme millénaire. Au-delà de la verve satirique et burlesque qu’ils déploient avec une grande inventivité, Age, Scarpelli et Monicelli savent accorder à leurs personnages une dignité salvatrice. Ainsi Brancaleone, superbement interprété par Vittorio Gassman, est bête mais a le coeur noble. Il se comporte à plusieurs reprise tel Don Quichotte. D’ailleurs, ce récit picaresque qui entraîne les personnages dans différentes aventures -cocasses, effrayantes voire émouvantes- est sans doute le plus parfait équivalent cinématographique à l’absolu chef d’oeuvre de Cervantès (quoique sans la dimension réflexive de sa deuxième partie).

Derrière la dérision, le profond respect des auteurs pour leur matière est également tangible dans la façon dont ils restituent la campagne italienne: ses paysages, ses églises et ses villages ont, mine de rien, rarement été aussi bien filmés. L’équilibre pictural de plusieurs plans participe de la nature profondément classique de cette farce qui, entre autres rares plaisirs, donne l’occasion de voir Gian Maria Volonte nanti d’une coupe de douilles lui donnant des airs à la Régis Laspalès.

Il successo (Mauro Morassi et Dino Risi, 1963)

Pour réunir le capital nécessaire à ce qu’il pense être une affaire en or, un employé de bureau demande de l’argent à plusieurs de ses connaissances…

La suite officieuse du Fanfaron n’est pas un si mauvais film qu’on n’aurait pu le craindre. Ecrite par Maccari et Scola, elle est certes plus sérieuse et plus pesante de par son côté démonstratif et la redondance de sa narration (nombreuses scènes de quémandage tandis que le lien avec le copain joué par Trintignant n’est pas assez approfondi). Moins drôle et plus sinistre, Il successo ne retrouve pas la grâce dans le mélange des tons qui caractérisait son prédécesseur. Toutefois, la charge satirique plus circonscrite -les auteurs s’en prennent essentiellement à l’avilissement moral provoqué par la société de consommation en Italie- fait mouche à plusieurs endroits.

Les surprises de l’amour (Luigi Comencini, 1959)

A Rome, deux cousines exaspérées par la conduite de leurs fiancés tentent de se les échanger.

Amusant marivaudage où le tiraillement des personnages entre leurs propres désirs et les stéréotypes auxquels ils tentent de se conformer est plaisamment brocardé. La multiplicité des protagonistes, la sympathie des acteurs, le charme des actrices, la tendresse du ton et une certaine inventivité réaliste de la mise en scène (l’idylle montrée du point de vue des potaches, le jeu entre l’appartement et le café…) compensent bien la paresse du récit.

L’homme à la Ferrari (Dino Risi, 1967)

Récemment devenu grand-père, un riche industriel italien vit une crise existentielle et s’entiche d’une camarade de son fils…

Qui mieux que Dino Risi et Vittorio Gassman pour faire un film sur le démon de midi chez le mâle italien ? De fait, ils jouent sur du velours, appréhendant avec une justesse des plus incisives les tourments de leur personnage archétypal. En particulier, l’impossibilité dans cette situation de prendre une décision donne lieu à de belles scènes tragicomiques. Toutefois, Il tigre ne se hisse pas à la hauteur des chefs d’oeuvre de Risi car le style manque de la souplesse propre aux chefs d’oeuvre du cinéaste: les seconds rôles se réduisent à des prétextes pour étayer le propos, des accents grotesques sont bizarrement intégrés (les chats qui commentent l’action) et la photo est d’une rare laideur. De plus, dans le rôle de la jeune fille, Ann-Margret est un choix de distribution des plus discutables: même si elle devient de plus en plus jolie au fur et à mesure du film (et donc au fur et à mesure que Gassman tombe amoureux), il est difficile de croire qu’un homme, qui plus est un homme marié à la somptueuse Eleanor Parker, devienne fou d’elle. Ces quelques réserves n’empêchent pas Il tigre d’être une bonne comédie dont j’ai apprécié le fait qu’elle ne résout pas artificiellement le dilemme qu’elle a exposé.

La marche sur Rome (Dino Risi, 1962)

En 1922, deux vétérans de la Première guerre mondiale déclassés sont entraînés par le mouvement fasciste…

Le postulat dramatique est emblématique du meilleur de la comédie italienne mais le déroulement, quoique parsemé de scènes amusantes, est assez attendu. Très vite, trop vite, le fascisme se révèle une arnaque et la dialectique narrative s’en trouve stérilisée. Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman donnent vie à des personnages qui auraient mérité un développement plus substantiel. La marche sur Rome est un bon film mais il n’a pas la richesse humaine des chefs d’oeuvre analogues que sont La grande pagaille et La grande guerre.

Âmes perdues (Dino Risi, 1977)

Pour ses études à Venise, un jeune homme déménage chez sa tante, qui a une relation très étrange avec son oncle.

Dans un genre où on ne l’attendait pas -le thriller horrifique à la Bunny Lake a disparu-, Dino Risi livre un exercice de style limité car tout entier tourné vers le mystère autour de sa révélation finale (ainsi de l’amourette étudiante traitée par-dessus la jambe), mais assez efficace car, soutenu par l’interprétation démente de Vittorio Gassman, il fait preuve d’un talent aussi certain qu’inattendu pour susciter l’angoisse.

La carrière d’une femme de chambre (Dino Risi, 1976)

Dans l’Italie fasciste, la fulgurante ascension d’une femme de chambre dans le milieu du cinéma.

L’écartèlement de cette femme légère entre son arrivisme et un vague amour pour un fiancé qui essuie tous les plâtres de son ascension est la matière d’une virulente comédie où grotesque du régime fasciste et ridicule de l’industrie cinématographique s’exacerbent mutuellement. Ce qui a le mérite d’être assez conforme à la réalité fondamentale de Cinecittà, usine à distractions débilitantes (les « telefoni bianchi » du titre original) dont la première pierre fut posée par le Duce.

En dépit du mépris qu’il peut avoir pour ses personnages médiocres, il reste étonnant de voir combien Dino Risi sait aller au-delà des jouissances de la satire pour insuffler à son pessimisme une ampleur tragique et universelle. Ainsi de la scène du simulacre d’exécution. C’est en cela qu’il se distingue très nettement de ses confrères de la comédie italienne.

La traite des blanches (Luigi Comencini, 1952)

Dans un village italien pauvre, des jeunes femmes s’engagent dans un marathon de danse pour payer un avocat à leur mari arrêté suite à un cambriolage.

La photographie, très influencée par le film noir américain, est soignée et réussie mais le récit, partant un peu dans tous les sens, manque de concision et de densité. La pertinence du réquisitoire social est également amoindrie par la convention des situations.

Au nom du peuple italien (Dino Risi, 1971)

Un juge d’instruction idéaliste essaye d’inculper un patron véreux pour la mort d’une prostituée.

Trois qualités essentielles ont permis à Dino Risi, Age et Scarpelli d’approfondir leur tableau au vitriol d’un pays corrompu:

  1. Des personnages secondaires qui chacun à leur manière élargissent la portée satirique de ce qui est d’abord un grandiose face-à-face. Savoureusement caricaturés, ils sont les principaux vecteurs de comique de cette comédie par ailleurs plus glaçante que drôle. Ceci n’est pas un défaut : une trop grande dérision aurait altéré la force du discours.
  2. Le jeu extraordinaire de Vittorio Gassman en ceci qu’il parvient à rendre sympathique une véritable crapule. Jeu tout à fait réaliste puisque dans la vie, les crapules sont généralement sympathiques. Lui donnant la réplique, Ugo Tognazzi excelle également mais sa partition est moins propice aux éclats.
  3. La fin géniale qui répartit subitement et subtilement les torts entre les deux personnages. Le constat social n’en est alors que plus désespéré. De surcroît, c’est une idée de mise en scène particulièrement percutante (possiblement la plus subversive du film) que d’avoir inscrit la touche finale de cet implacable réquisitoire envers la société italienne dans une ambiance de coupe du monde de football.

Les nouveaux monstres (Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola, 1977)

14 sketches se moquant de divers aspects de la société italienne.

Bien qu’écrit (par les célèbres Age et Scarpelli) et réalisé par des maîtres reconnus de la comédie, Les nouveaux monstres est, comme beaucoup de films à sketches, inégal. Tous les types de comique sont représentés, de celui de situation à la farce vulgaire à base de baffes et de destructions d’accessoires. C’est parfois ennuyeux, parfois très drôle et très bien senti. C’est très féroce et la satire n’est jamais timorée. Les auteurs ne connaissent aucun tabou, n’hésitant pas à aborder le terrorisme ou la pédophilie. Dans ce dernier cas, c’est fait sans le moindre racolage, sans la moindre provocation de bas étage mais avec une irrésistible mécanique comique. La virulence de l’ensemble n’empêche pas certains segments d’être véritablement émouvants. Je pense au film sur la maison de retraite. Pour une fois, les personnages ne sont pas, malgré les apparences, complètement pourris et les auteurs montrent combien la situation est complexe et inextricable. Enfin, dernier point à l’actif de ces Nouveaux monstres: la présence dans deux sketches de la jeune et superbissime Ornella Mutti.

La famille (Ettore Scola, 1987)

La chronique d’une famille bourgeoise italienne sur l’ensemble du XXème siècle…Ici, la grande histoire est moins importante que dans Nous nous sommes tant aimés ou La terrasse. La chronique s’étalant sur quatre-vingts ans, chaque évènement politique n’est pas regardé en profondeur et certains sont carrément éludés (les années de plomb). Ici, Scola s’intéresse d’abord aux sentiments de ses personnages, notamment ceux du patriarche joué par Vittorio Gassman. L’ampleur du récit permet de nous faire partager pleinement ses regrets et ses accomplissements sur le plan affectif.
L’amertume politique de La terrasse laisse place à une nostalgie sereine mais toujours lucide. Il faut voir par exemple les vacheries que s’envoient les personnages à la fin, fin qui aurait pu sombrer dans la guimauve si le film n’était écrit par des maîtres de la comédie à l’italienne (il n’y a pas Age mais il y a Scarpelli au scénario). La distribution est évidemment royale, comprenant nombre de collaborateurs fétiches du cinéaste.
L’abscence de ligne directrice apparente donne à La famille des allures de saga télévisuelle, certains aspects de la mise en scène apparaissent parfois un peu facile (ainsi de la photographie un peu jaunie) mais comment résister à la tranquille virtuosité des narrateurs, comment résister au charme nostalgique des ritournelles d’Armando Trovajoli, comment résister aux jolies Italiennes, comment résister à tout ce qui avait fait le succès d’un certain cinéma transalpin qui brillait alors de ses derniers feux ?