Maine Océan (Jacques Rozier, 1986)

Par un concours de circonstances, deux contrôleurs de la SNCF, une avocate et une mannequin brésilienne se retrouvent en vacances sur l’île d’Yeu.

Je connais les arguments des (nombreux) laudateurs de Jacques Rozier. La faiblesse de l’écriture rendrait le film spontané, libre et naturel. Pourtant, depuis Nanouk l’esquimau, on sait que les films les plus naturels qui soient sont le fruit d’une préparation minutieuse.

Dans Maine-Océan, les carences du scénario font en fait ressortir le caractère artificiel et arbitraire des personnages et situations imposés par l’auteur. Ainsi de Petitgars, marin-pêcheur joué par un Yves Alfonso plus caricatural que jamais. Lorsque Petitgars apprend que des contrôleurs de la SNCF ont voulu mettre une amende à l’auto-stoppeuse brésilienne récupérée par son avocate, autostoppeuse qu’il connaît depuis une demi-journée, il se met en tête de leur casser la figure. Il le fera d’ailleurs quelques jours plus tard. L’outrance de ce comportement n’a qu’une justification possible, justification à peine étayée par les scènes où Petitgars présente la Brésilienne à ses collègues comme « sa future femme »: l’amour fou qu’il porterait à la Brésilienne. Seulement voilà: à la fin du film, la Brésilienne s’en va, Petitgars n’a même pas couché avec elle et aucun désarroi, aucun regret, aucune résignation ni même aucun oubli de Petitgars ne sont montrés.

L’escamotage par l’auteur du drame sentimental de Petitgars montre que son personnage n’est pas un individu de chair, de sang et de désirs mais le réceptacle pur et simple de ses idées politiques. Il est normal dans le monde vaguement anarchiste de Rozier qu’un brave marin étrangle des contrôleurs puisque ce sont des figures de l’autorité. Certes la violence, c’est mal donc après les avoir envoyés chez le rebouteux, il s’excuse parce que « il y a un homme derrière l’uniforme ». Après sa beigne, le contrôleur prendra évidemment conscience du caractère aliénant de son travail et se réconciliera avec son agresseur autour d’une bouteille de blanc. On en revient donc aux impressions d’artifice et d’arbitraire qui naissent d’un manque de finesse de l’écriture.

Maine-Océan est donc un film superficiel et, de plus, la surface n’est guère jolie à voir tant la paresse de la mise en scène répond à la paresse de l’écriture. Je comprends la grisaille de l’image en cela qu’elle respecte certainement la lumière naturelle de l’île d’Yeu mais j’accepte moins la longueur démesurée de certaines séquences qui ressort plus de l’auto-complaisance du réalisateur que d’un quelconque projet tant ces séquences sont vides et inexpressives. Reste la qualité de l’interprétation de Bernard Menez qui a sans doute le personnage le plus intéressant même si son drame est finalement lui aussi traité d’une façon superficielle.

5 commentaires sur “Maine Océan (Jacques Rozier, 1986)

  1. Bonsoir

    Voilà plusieurs mois que je consulte régulièrement votre site.
    Je me demandais si vous étiez un professionnel du cinéma (critique ?) ou bien simplement un passionné ?
    Pourquoi choisissez vous ces films ? Quel est le fil conducteur (s’il y en a un) ? Quel est le but ?

    Merci pour votre réponse.

  2. Bonjour Yo

    je ne suis pas un professionnel de la critique.
    A son ouverture, j’avais écrit quelques lignes sur l’objet de ce blog mais le lien semble avoir disparu du blog.
    Voici donc la page qui, je pense, répond à vos questions:
    http://films.nonutc.fr/a-propos/

    Il n’y a pas de fil conducteur si ce n’est celui des occasions qui se présentent à moi (programmations des chaines de télé, des cinémas et de la cinémathèque de Paris essentiellement) et de mes envies.

  3. Pas d’accord avec votre jugement sévère .

    Je vais essayer de revoir ce film qui a peut-être quelques défauts , mais surtout de fortes qualités , je me souviens en particulier de la scène où Rego et Menez dialoguent avec la jeune femme brésilienne qui n’a pas composté son billet de train … très drôle … et de la fin aussi inoubliable que celle du film le plus reconnu de J. Rozier ,  » Adieu Philippine » .

    Un cinéaste qui aime Renoir , Pagnol , Molière , Hitchcock , les grandes comédies musicales MGM des années 50 …et que Pialat et Eustache , Thomas , Truffaut , Godard appréciaient ne peut pas être un mauvais homme , la Cinémathèque française pourrait se fendre d’un hommage, cela ne ferait de mal à personne , je crois .

    • un bon cinéphile (encore que…je me souviens l’avoir vu à présenter Le petit théâtre de Jean Renoir à la cinémathèque des grands boulevards, j’ai rarement entendu éloge aussi creux, à se demander s’il avait déjà vu le film en question) ne fait pas forcément pas un bon cinéaste.

  4. Si je me souviens bien de cette séance , Jacques Rozier était souffrant et a prononcé quelques mots , il était beaucoup plus éloquent dans quelques émissions de radio , avec S. Daney à propos de « Maine-Océan », en 1986(?) en particulier ou pour parler de musique .

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.