Thomas Gordeïev  (Marc Donskoï, 1959)

En Russie tsariste, un fils de bourgeois prend conscience de l’injustice sociale.

Contre-plongées, gros plans, mouvements de caméra ostentatoires…J’ai eu l’impression que le formalisme de Marc Donskoï, qui réalisa dans les années 30-40 de grands films lumineux de simplicité (tel En gagnant mon pain déjà adapté de Gorki), s’était mis au goût du jour kalatozovo-ouroussevskien; sans pour autant donner dans le lyrisme tourbillonnant. Cette virtuosité donne lieu des plans magnifiques, notamment de rivières, mais instaure également une barrière formelle qui nuit à l’immédiateté du propos humaniste.

Et l’acier fut trempé (Marc Donskoï, 1942)

En Ukraine en 1918, des partisans bolcheviks combattent le pouvoir allié aux Allemands.

Année de production oblige, l’adaptation du livre du révolutionnaire Ostrovski est orientée dans un sens anti-allemand. Le film apprend l’existence d’un épisode méconnu de l’histoire de l’Ukraine (l’hetmanat de 1918) et est brillamment spectaculaire sans être, dans l’ensemble, abusivement formaliste. Ce n’est bien sûr pas d’une grande finesse mais, grâce notamment au sens de la beauté naturelle de Donskoï et à l’amour de la vie qui nuance et dialectise la nécessité de l’engagement armé, les personnages ne semblent pas complètement soumis au schéma propagandiste.

L’institutrice de village (Marc Donskoï, 1947)

De 1910 à la Seconde guerre mondiale, la vie d’une institutrice partie enseigner en Sibérie.

Les savants clair-obscurs de Ouroussevski et les quelques incursions de poésie cosmique, typiques de Donskoï, ne suffisent pas à vivifier le déroulement programmatique de ce pur produit de la propagande stalinienne.

Le cheval qui pleure (Marc Donskoï, 1957)

En 1830, un couple illégitime de serfs ukrainiens s’enfuit en Bessarabie.

Le lyrisme cosmique du montage, qui ponctue l’histoire d’amour de chants immémoriaux et d’images de la Nature superbement cadrées, confère une splendeur mizoguchienne à cette légende proche de celle racontée dans Les amants crucifiés. Dommage que le Sovietcolor soit aussi moche.

L’arc-en-ciel (Marc Donskoï, 1943)

En Ukraine, des villageois résistent face aux Allemands.

Pour faire oeuvre de propagande, Marc Donskoï ne s’interdit aucune outrance. A l’exception d’une ou deux séquences bêtement surlignantes telle celle où l’officier allemand est confronté aux trois enfants, cela fonctionne pourtant car quel postulat plus outrancier qu’une lutte à mort entre deux peuples telle qu’en constitua la Grande guerre patriotique? C’est ainsi qu’une mère préfère voir son bébé assassiné par l’officier allemand que de dénoncer les partisans. Selon la grande tradition soviétique, le récit est dénué de personnage principal.

Le lyrisme visuel, où concourent génie d’un cadrage exploitant à merveille le violent contraste engendré par la neige et inventivité d’un montage ayant le sens du raccord poétique, touche parfois au sublime. Mais le sublime n’est pas le seul registre manié par Donskoï qui, dans ses studios du Turkménistan, filme avec une tendre justesse le peuple ukrainien. Le formalisme n’étouffe pas la vie. Voir par exemple les enfants qui trébuchent dans la neige pour apporter du pain aux prisonniers. Même s’ils sont abondants, la mise en scène n’a pas besoin de morceau de bravoure pour s’avérer géniale. Ainsi du plan où la fille qui couche avec un Allemand se retourne, maquillée. Toute sa hideur morale passe par l’image. Grâce à cette science de la propagande, quand cette « pute à Fritz » sera revolvérisée par son mari, le sentiment de juste vengeance du spectateur ne sera guère altéré par un questionnement sur la justesse morale de l’épuration des collaboratrices horizontales. Les Soviétiques, eux, ne s’embarrassaient pas de ces débats et ne se contentaient pas de tondre, comme le montrent les propos suivants de Dovjenko: « À Belgorod, 80% des jeunes femmes épousent des Allemands. Nous les punirons pour cela. Nous fusillerons les traîtres et les bâtards que nous avons nous-mêmes engendrés. » La sortie en France de L’arc en-ciel en octobre 44 n’a sûrement pas contribué à refroidir l’ardeur des coiffeurs amateurs.

Avec L’arc-en-ciel, le cinéma stalinien se hissait à une hauteur barrésienne.

 

Tarass l’indompté/Les insoumis/Les indomptés (Marc Donskoï, 1943)

Pendant la Grande guerre patriotique, une famille russe fait face à l’occupation allemande.

J’aurais bien aimé voir les puritains de la critique affectant l’indignation devant La liste de Schindler démontrer en quoi le film de Spielberg est moins tolérable que la scène de « Shoah par balles » que Marc Donskoï a tenu, contre la censure communiste refusant un focus sur les Juifs, à faire figurer dans Tarass l’indompté. Sans état d’âme, le réalisateur reconstitue le très récent massacre de Babi Yar en employant, parallèlement à des plans symbolistes sur le ciel noir, les procédés dramatisants du tout-venant hollywoodien.

Cette séquence à ma connaissance unique dans le cinéma mondial des années 40 est assez décorrélée du reste d’un film qui suit une famille russe face aux Allemands. Une pointe de grandiloquence soviétique altère la force simple de belles séquences à hauteur d’hommes (tel les rencontres entre le père et le médecin juif). Le trait est souvent épais mais le lyrisme visuel de Donskoi élève régulièrement la tonalité de l’oeuvre. Notamment, ses horizons sont dignes de John Ford.