Le mystère de la Vallée Blanche (The valley of silent men, Frank Borzage, 1922)

Dans le grand Nord, un policier monté enquête sur une série de meurtres et tombe amoureux d’une mystérieuse femme.

Des images splendides, les plus belles de la montagne enneigée vues dans un film américain avant les westerns d’Anthony Mann et préfigurant L’enfer blanc de Piz Palu, ainsi que l’inscription des amoureux dans des cadres très larges confèrent une poésie cosmique à l’histoire d’amour, malgré l’artifice de l’intrigue policière, tirée de James Oliver Curwood. Hervé Dumont voit dans The valley of silent men un jalon fondateur de l’art de Frank Borzage; il n’a sans doute pas tort même s’il force un peu l’apparentement aux chefs d’oeuvre de l’auteur (La femme au corbeau…) de certains plans idylliques ou érotiques, des plans certes singuliers mais fugitifs.

Kindred of the dust (Raoul Walsh, 1922)

Le fils du propriétaire d’une scierie est amoureux d’une fille-mère.

Mélodrame qui pèche, surtout dans son milieu, par redondance et par invraisemblance mais qui présente des images soignées et parfois impressionnantes (les troncs d’arbre qui dévalent la colline). Le personnage du père surprend également parce que sa tendresse envers la jeune femme tempère sa rigidité: il fait songer à Amoretti dans La fille du puisatier.

Le dernier des Don Farel (The pride of Palomar, Frank Borzage, 1922)

De retour du front, l’héritier d’un ranch californien lutte contre un riche homme d’affaires allié à un Japonais qui veut s’en emparer.

Le récit est tiré par les cheveux, le film est trop long et la sensibilité de Borzage n’apparaît guère mais la mise en scène est chiadée: images bien éclairées, plans larges de décors naturels, découpage dynamique. Des airs de western ont clairement été insufflés à ce drame impossible et c’est tant mieux. The pride of Palomar n’est pas un film aussi mauvais que ce qu’en disent les exégètes de Borzage, sans doute irrités par la xénophobie anti-asiatique qui a présidé à la conception de l’oeuvre mais qui se fait finalement vite oublier au cours de la projection.

L’épreuve du feu (Victor Sjöström, 1922)

A Florence pendant la Renaissance, une épouse adultère dont le mari est mort d’un malaise est accusée d’avoir tué ce dernier.

Un symbolisme un peu laborieux, surtout dans la dernière partie où le montage parallèle entre le supplice et la crise de remords paraît forcé, et des acteurs parfois excessifs n’empêchent pas L’épreuve du feu d’être une nouvelle réussite de Sjöström, riche d’images admirablement composées et où la lumière fait ressentir le poids de la matière. L’utilisation des flambeaux amplifie l’intensité dramatique des scènes de foule même si celles-ci ne sont pas hyper-riches en figurants. Sans tricher, la mise en scène restitue toute l’ambiguïté des faits, ce qui nuance le manichéisme moral.

Le repentir (Back pay, Frank Borzage, 1922)

Par vénalité, une jeune campagnarde abandonne son fiancé et part à New-York où elle devient une cocotte. Son fiancé gravement mutilé à la guerre, elle veut revenir vers lui…

Les ellipses du montage, la convention moralisatrice du récit et l’abondance de cartons dénotent le caractère littéraire de ce film adapté de Fannie Hurst. De plus, la grave uniformité du ton est un peu pesante. Frank Borzage transfigure ça de plusieurs façons. D’abord avec de magnifiques images de campagne (arbres reflétés dans les étangs…) qui préfigurent la beauté plastique de ses derniers films muets tel La femme au corbeau et Lucky star. Cette qualité visuelle semble ici moins « intégrante » de l’action dramatique et plus décorative. Ensuite, il y a une certaine finesse de trait dans la peinture de personnages secondaires tel le vieil amant, qui a des gestes d’une belle noblesse. Enfin et surtout, le personnage féminin acquiert une réelle profondeur dans les longues scènes où elle est au chevet de son amoureux. Certes, Seena Owen n’est pas sublime comme Janet Gaynor le sera une demi-douzaine d’année plus tard mais ces scènes, mêlant amour transfigurant et résonnance cosmique par la grâce notamment d’une lumière superbement ouatée, sont d’une poésie typiquement borzagienne. Bref, avec Back Pay, Frank Borzage s’acheminait tranquillement vers les sommets de L’heure suprême, L’ange de la rue et autres Lucky star.

La nuit mystérieuse (One exciting night, D.W Griffith, 1922)

Des meurtres mystérieux ont lieu dans une grande maison une nuit où sont réunies diverses personnes…

L’exposition est un peu longue mais la double invention cinématographique whodunit/film de maison hantée par Griffith fut brillamment troussée. Un bémol: le cabotinage du black-face est excessivement caricatural.

La revanche du Bouif (Henri Pouctal, 1922)

Un noceur endetté essaye de tuer le père alcoolique de sa maîtresse en lui offrant tout l’alcool qu’il veut de façon à toucher une assurance-vie.

Suite du Crime du Bouif. Les personnages connus, les acteurs revenus, la connivence s’est intallée. Le ton est moins dramatisé et moins réaliste que dans le film précédent. Cela capitalise encore plus sur le cabotinage de la vedette -le sympathique Félicien Tramel- et sur les cartons de dialogue vachards de La Fouchardière. C’est amusant mais moins intéressant que l’original d’autant qu’une fois la situation de base présentée, le rythme patine faute de rebondissements narratifs.

Le crime du Bouif (Henri Pouctal, 1922)

Un cadavre horriblement dépecé étant retrouvé sur un champ de course, un paresseux est arrêté.

Adaptation d’une pièce de Georges de la Fouchardière et André Mouezy-Eon, Le crime du Bouif bénéficie, en mineur, des qualités constatées dans le chef d’oeuvre de Henri Pouctal: Travail. Le spectateur y est baladé entre différentes strates sociales au gré d’un récit varié dans ses tons comme dans ses atmosphères. Grâce à un sens du décor réaliste hérité de Antoine, Pouctal insuffle vie et véridicité à une intrigue policière pas toujours claire dans ses tenants et aboutissants. Par exemple, j’avais rarement vu autant de publicités dans un film des années 20. Peut-être sont-ce des placements produits mais cela insuffle un fascinant parfum documentaire aux séquences de poursuites parisiennes, séquences par ailleurs habilement troussées. Le jeu des comédiens est parfois exagéré mais cela participe d’un comique qui enrichit le polar; voir les savoureuses scènes avec l’épouse consternée par son mari fainéant. A l’intérieur des séquences, des détails saillants intensifient la satire sous-jacente à l’intrigue (le juge d’instruction qui lit Comoedia au bureau). Bref, après le formidable Travail, Le crime du Bouif pourrait bien être le meilleur film de Pouctal et tend à vérifier l’hypothèse d’une « transfiguration antoinenne » du vétéran à la fin des années 10.

The song of life (John M. Stahl, 1922)

Au soir de sa vie qu’elle a ratée, une mère qui a abandonné son enfant parce qu’elle était attirée par les lumières de la grande ville retrouve son fils fiancé à une femme qui a également envie d’évasion.

Grâce à la qualité de l’interprétation et à des détails sociologiques ou comiques qui enrichissent plusieurs scènes, cet apologue réactionnaire tissé dans l’étoffe mélodramatique fonctionne assez bien jusqu’à une dernière partie par trop délayée et rocambolesque pour que mes bonnes dispositions à son égard aient été maintenues.

Le roi de Camargue (André Hugon, 1922)

En Camargue, un guardian protège sa fiancée contre une bohémienne qui veut se venger parce qu’elle lui a refusé de l’huile d’olive.

Adaptant le poète méridional Jean Aicart, André Hugon a réalisé un très bon film grâce à son sens du décor naturel. La large place accordée à la sansouïre désertique où évoluent des troupeaux guidés par des hommes à cheval donne au Roi de Camargue des allures de western. La mièvrerie de certains traits est estompée par le réalisme documentaire des nombreuses scènes folkloriques et par l’épatante dernière partie où la violence extraordinairement réaliste et brutale d’une bagarre dans la lagune succède au tragique d’un enlisement dont la poésie visuelle évoque immanquablement La nuit du chasseur.

Émancipée (The real adventure, King Vidor, 1922)

Une jeune femme à l’esprit romanesque qui souffre de ne pas avoir la considération amicale de son mari quitte son foyer pour mener une carrière dans le spectacle.

Il est à noter que, sur cinq bobines, la deuxième a été perdue. Avec son appréhension réaliste de la vie de couple et du paysage urbain, la première partie est la plus intéressante. La suite -l’ascension d’une danseuse dans une troupe de music-hall-  semble plus convenue aux yeux d’un spectateur de 2017. Florence Vidor s’avère une actrice jolie et lumineuse. Le dénouement n’est pas réactionnaire mais conforme à la logique des sentiments dans le couple. Bref, The real adventure est un opus mineur mais plutôt réussi de l’auteur de La foule.

Aimez-vous les uns les autres/Les déshérités (Carl Theodor Dreyer, 1922)

En Russie en 1905, une juive de la campagne suit un révolutionnaire à Saint-Pétersbourg…

Le récit, adapté d’un roman-fleuve, est d’une belle richesse sans que les péripéties n’apparaissent hachées. La mise en scène est réaliste et maîtrisée. Il y a de jolis plans d’extérieur bucolique mais ce qui impressionne le plus, ce sont les scènes de pogrom aussi stupéfiantes dans leur violence que dans la précision avec laquelle sont démontés leurs rouages politiques. Bon film, qui tapa justement dans l’oeil de Louis Delluc.

Les gardiens de phare (Maurice Mariaud, 1922)

Au Portugal, un gardien de phare tue une femme qui rejette ses avances…

Il n’y a pas que la coïncidence de titres qui fasse de Maurice Mariaud un digne précurseur de Jean Grémillon: la finesse et la variété du découpage (judicieuse utilisation de la profondeur de champ), la beauté nue des extérieurs maritimes, la dignité avec laquelle sont filmés les personnages, la sobriété implacable de la narration (en dépit d’un dernier acte qui tend vers le grand-guignol) et le lyrisme contrapuntique du montage qui met les sentiments des protagonistes au diapason des forces élémentaires de la Nature sont autant de qualités cinématographiques qui insufflent une belle puissance tragique à ce Os Faroleiros. Que ce soit en Bretagne dans les années 10 ou au Portugal dans les années 20, la constance de l’inspiration de Maurice Mariaud laisse à penser qu’un auteur majeur du cinéma muet est à découvrir.

Soleil et ombre (Musidora & Jacques Lasseyne, 1922)

En Andalousie, une servante est follement amoureuse d’un grand torero…

Les rues  andalouses blanches et écrasées par le soleil ainsi que des scènes simili-documentaires de tauromachie n’empêchent pas que ce mélodrame romançant la passion de Musidora pour Antonio Cañero apparaît comme daté et conventionnel.

Etre ou ne pas être (René Leprince, 1922)

Un commandant de sous-marin droit dans ses bottes est entraîné par un ami à fumer de l’opium alors que son bâtiment est en manoeuvre…

L’étroite corrélation entre les péripéties de l’action et le drame psychologique vécu par le héros est bien restituée grâce, en premier lieu, à l’interprétation de Léon Mathot. Sans être génial, René Leprince avait du talent pour la mise en scène de cinéma. Les facilités manichéennes du dénouement montrent que si Etre ou ne pas être est un film bien fait, il n’a pas l’ambition de se distinguer de la production courante.

Lorna Doone (Maurice Tourneur, 1922)

Dans l’Angleterre du XVIIème siècle, un fermier délivre une princesse enlevée par des renégats…

La mise en scène de Maurice Tourneur ne se soucie guère d’insuffler une profondeur psychologique aux archétypes romanesques mais pourvoit la reconstitution historique d’un réalisme rare et dote les scènes d’action d’un dynamisme saisissant. Madge Bellamy est bien.

L’Arlésienne (André Antoine, 1922)

En Camargue, un honnête jeune homme s’entiche d’une gourgandine…

L’Arlésienne est une des réussites les plus éclatantes d’André Antoine cinéaste. D’abord, l’abondance de plans larges sur les décors naturels de Camargue avec le vent qui secoue feuillages et linges, les bergers qui veillent sur les moutons à la belle étoile ou encore les gardians qui ramènent les chevaux à travers les dunes, cette abondance de plans larges, donc, donne un ancrage réaliste à la sombre tragédie d’Alphonse Daudet. Leçon du western, leçon des grands muets suédois, leçon d’André Antoine. Si la première partie paraît un peu laborieuse et confuse par manque d’unité dramatique, c’est toute une petite famille qui finit par exister à l’écran. La synthèse entre des éléments qui semblaient jusqu’ici éparpillés se réalise pleinement lors du remarquable climax qui précède le mariage. Le rythme, auquel participe un montage élaboré, devient alors palpitant et inquiétant. L’Arlésienne resta malheureusement le dernier film d’Antoine.

Jocelyn (Léon Poirier, 1922)

Suite à la Terreur, un aspirant-curé se réfugie dans les montagnes et y rencontre deux nobles en fuite…

Les rebondissements mélodramatiques du poème de Lamartine sont transfigurés par la sûreté du goût et la maîtrise générale de Léon Poirier. Au point de vue narratif, les flashbacks introduisent jusqu’à trois niveaux de temporalité et le rythme soutenu du montage entretient le souffle du récit. Plastiquement, cadrages et lumières composent souvent des images admirables. Mais ce qui impressionne le plus dans Jocelyn, c’est le sens du paysage de Poirier. La montagne, avec la neige qui alourdit les déplacements des héros et le bouvier des Pyrénées qui accompagne les chèvres, influe directement sur le drame. Toute la partie centrale, où son inscription dans la Nature accentue la présence physique de l’action, montre que le cinéaste français a bien retenu la leçon des Proscrits.