Adieu chérie (Raymond Bernard, 1946)

Une entraîneuse aide un jeune oisif à échapper à la pression matrimoniale de sa famille.

Jacques Companeez et Raymond Bernard ont certainement voulu réitérer J’étais une aventurière car l’argument -la vérité des sentiments qui perce sous les faux-semblants de la chercheuse d’or- est fondamentalement identique. Cependant, la réussite est moindre. Se déroulant essentiellement dans un unique château et pâtissant de dialogues se voulant spirituels mais médiocrement conventionnels, Adieu chérie est un film nettement plus théâtral, dans le mauvais sens du terme. Le jeu entre comédie sociale et profondeur des états d’âme, qui est le sujet du film, n’est qu’entrevu à cause d’une écriture trop velléitaire. Cependant, l’audacieuse dernière partie relève le niveau et insuffle une consistance inattendue aux personnages, comme s’ils avaient été révélés à eux-même par l’intruse. C’est beau. Et ça l’est d’autant plus que la grande Danielle Darrieux brille de ses mille éclats, passant de la nargue à la mélancolie avec le même naturel qu’un adagio succède à un allegro dans une même symphonie de Mozart.

La marmaille (Bernard-Deschamps, 1935)

Un veuf père d’une petite fille épouse la mère d’un petit garçon…

Cette étrange pépite du cinéma français des années 30 commence comme une évocation naturaliste nourrie de détails très concrets (les enfants qu’on met sur le palier pour pouvoir faire l’amour), continue comme un mélodrame au schématisme un peu expéditif et s’achève en beau conte de Noël. Non seulement les registres varient au fur et à mesure de la projection mais l’intérieur de chaque partie est équilibré par un contrepoint. Chaque plan, chaque phrase, chaque inflexion du récit contient sa propre critique. Ce sens dialectique culmine dans le double sens de la réplique finale. L’interprétation aux mille nuances de Pierre Larquey (fût-il jamais meilleur que chez Bernard-Deschamps?) et la justesse des enfants empêchent l’excès pathétique. La longue errance du personnage principal préfigure l’amertume de la dernière partie de Place aux jeunes;  d’ailleurs, La marmaille est un peu à Place aux jeunes ce que Place aux jeunes est à Voyage à Tokyo.

Les grands (Félix Gandéra, 1936)

Dans un pensionnat de province pendant les vacances de Pâques, un cancre vole de l’argent au directeur pour faire accuser le premier de la classe qui est amoureux de la femme de ce dernier.

D’excellents comédiens, au premier rang desquels Charles Vanel, et de bons dialogues permettent de passer outre l’artificialité du prétexte et la faiblesse de ses développements. Via le personnage de Larquey et via un dernier plan que je pense métaphorique, une timide satire via-à-vis des notables de province sous la IIIème République relève gentiment la sauce. Ça se regarde mieux que la version muette de Fescourt.

La terre qui meurt (Jean Vallée, 1936)

En Vendée, un agriculteur voit ses enfants partir les uns après les autres.

Un des premiers longs-métrages français en couleurs. Le procédé Francita n’a pas fait long feu à cause de la complexité hasardeuse du tirage des copies mais ses caméras avaient le mérite d’être plus légères que celles du Technicolor donc plus faciles à sortir du studio. C’est ainsi que ce film précurseur accorde une large place aux extérieurs. La Vendée -en particuliers ses canaux et ses marais salants- n’a, à ma connaissance, jamais été aussi bien filmée que dans cette adaptation du populaire roman de René Bazin. La merveilleuse introduction, une scène de mariage quasi-documentaire où une femme se met à chanter une chanson folkorique, laisse augurer un très grand film régionaliste. La suite n’est pas à la hauteur de cette espérance, il faut le dire. Le jeu surrané de la quasi-totalité de la distribution dépare cette splendeur réaliste. Pierre Larquey déçoit et c’est Jean Cyrano le plus convaincant des acteurs principaux. Le découpage parfois douteux des scènes en intérieur révèle les limites de Jean Vallée, inapte à dramatiser des dialogues puissants et à synthétiser un récit aux enjeux plus complexes qu’il n’y paraît.  Toutefois, des éclats ponctuels -tel ce long panoramique sur les champs lorsque l’homme de main quitte la ferme, l’ensemble des séquences sur le port ou l’incendie avec un orange digne des Archers- maintiennent l’attention. La belle musique de Jane Bos intensifie le lyrisme de ces séquences. Enfin, découvrir, dans sa version restaurée par le CNC, La terre qui meurt, c’est bien sûr voir le seul « film français des années 30 en couleurs » visible aujourd’hui. Contempler ces acteurs et ces stéréotypes (Line Noro joue le même type de garce que Ginette Leclerc sauf qu’on voit son rouge à ongles!) ultra-connus restitués dans toutes leurs variations chromatiques, c’est faire une expérience dont la beauté insolite enrichit la stupéfiante résurrection de la Vendée traditionnelle.

Fort-Dolorès (René Le Hénaff, 1938)

Au fin fond de la pampa, des hommes exilés tiennent un ranch tout en rêvant à la fille du voisin.

Je comprends ce qui a pu passionner Paul Vecchiali dans ce film: l’homérotisme plus que latent, le refoulement des désirs et leur confrontation en lieu clos qui font de Fort-Dolorès un lointain parent du génial Café des Jules. Il n’empêche que c’est nul. Lorsque le plus grand de nos critiques moustachus s’extasie sur la mise en scène de René Le Hénaff, il m’est impossible de le suivre. D’abord, les acteurs sont tous médiocres. Même le plus brillant de la distribution, Pierre Larquey, ne fait jamais oublier qu’il joue un rôle tant son interprétation sent le chiqué. De plus, le réalisateur n’a pas le sens du paysage qui aurait pu donner une consistance plastique aux mythes charriés par un récit laborieux. Seule la séquence finale, assez belle, concrétise le potentiel poétique de cette allégorie téléphonée.

Un oiseau rare (Richard Pottier, 1935)

Suite à un concours de publicité, le fils d’une oiseleuse et un riche héritier se retrouvent dans un hôtel des Alpes où leurs identités sont confondues.

En tant que scénariste, Jacques Prévert est surestimé car son manque de rigueur l’empêchait de construire correctement les récits. Les branlantes fondations d’oeuvres aussi diverses que Lumière d’été, Les visiteurs du soir et Sortilèges en témoignent. Face à Un oiseau rare, il y avait lieu d’avoir d’autant plus d’appréhension que la comédie, selon le lieu commun, « demande plus de travail que le drame ». Et il est vrai que Un oiseau rare ne brille pas par son ossature. Des coïncidences plus ou moins abusives font office de narration.

Pourtant, le visionnage s’avère franchement plaisant. Pour l’occasion, la « poésie » de Prévert se fait loufoquerie et, si elle eût gagné à plus de développements, l’intuition comique pallie le manque de fermeté narrative. La fantaisie n’est pas gratuite car elle nourrit une satire contre la veulerie face aux puissants, une satire que la désinvolture de l’auteur maintient toutefois bien inoffensive. La multitude de personnages instaure des enjeux dont la variété empêche l’attention du spectateur de complètement s’évaporer.

Enfin, sans étinceler, la distribution fait oublier l’absolue platitude de l’image. Madeleine Guitty ne vaut pas Pauline Carton, Pierre Brasseur bien que moins insupportable que d’habitude reste Pierre Brasseur mais revoir Jean Tissier est toujours un plaisir et Max Dearly s’avère bon comique de cinéma.

Le bienfaiteur (Henri Decoin, 1942)

Un philanthrope qui fait le bonheur d’une petite ville de province est en réalité à la tête d’une bande de malfrats parisiens…

Le scénario de ce vague plagiat de L’étrange monsieur Victor est cousu de fil blanc mais Raimu est très bon. La scène où il supplie le flic de ne pas mettre au courant sa fiancée a beau être attendue, il la joue avec une telle implication émotionnelle qu’elle est difficilement résistible.

Zouzou (Marc Allégret, 1934)

Un marin et une métisse élevés par un homme de cirque montent à la capitale…

L’inconsistante mollesse de Marc Allégret annihile un film qui avait un bon potentiel dramatique (les relents incestueux qui auraient pu être mieux exploités) et spectaculaire (les chorégraphies, pâles ersatz de Busby Berkeley). Visiblement, Joséphine Baker n’était pas une grande actrice de cinéma.

La chaleur du sein (Jean Boyer, 1938)

Un jeune homme ayant tenté de se suicider, les différentes épouses de son père qui lui ont successivement servi de mère accourent à son chevet.

Comédie fort médiocre, sans invention, sans gag, qui patine pendant une heure avant de sombrer dans la mièvrerie la plus crasse. C’est un des rares films où Marguerite Moreno est mauvaise (mais on lui a demandé de jouer une Américaine).

 

Romarin (André Hugon, 1937)

En Provence, un épicier tente de fiancer sa fille à un pêcheur séducteur dont le père, musicien et champion de pétanque, l’aiderait à devenir maire…

Ce n’est que l’un des axes narratifs d’un film qui mélange les genres et a aussi des composante policières et musicales. Le tout est très inégal mais a un certain charme. Les dialogues (du sous-sous-Pagnol) et le cabotinage de Larquey et Le Vigan (en roue libre) amusent tandis que le folkore provençal, la sympathie des acteurs, les chansons de Scotto et les décors naturels des calanques restituent plutôt bien l’atmosphère chaleureuse d’un midi mythifié. En revanche, dès qu’il s’agit d’insuffler un peu de tension dramatique, dès qu’il s’agit d’insuffler un peu de vérité à des situations usées, la platitude du découpage de André Hugon se ressent cruellement. Le montage entre les différentes composantes du récit est également plus maladroit qu’audacieux: il y a une partie dont on se demande pourquoi elle est racontée en flashback…mais ce genre de tentative fait partie de la poésie naïve de ces petits films bricolés avec une ambition manifeste même si pas vraiment concrétisée (André Hugon, réalisateur de troisième division mais auteur complet, signe ses films comme les signait Abel Gance).

Fanfare d’amour (Richard Pottier, 1935)

Parce que la mode est aux orchestres féminins, deux musiciens se travestissent pour décrocher un contrat.

Le film français dont Certains l’aiment chaud est le remake s’avère une très bonne comédie. Des ressorts de vaudeville bien rodés sont enrobés par une plaisante loufoquerie probablement due à l’influence de Pierre Prévert qui a participé au scénario et qui est premier assistant. Les acteurs s’en donnent à coeur joie (Carette égal à lui-même, Gravey qui fait vraiment penser à Tony Curtis, Madeleine Guitty irrésistible de drôlerie) et le filmage de Richard Pottier ne manque ni d’invention ni de pertinence. Je pense par exemple au malicieux travelling lorsque les deux travestis se présentent à leurs collègues dans le train: à ce moment là, c’est la mise en scène -et elle seule- qui produit l’effet comique. Seul un rythme parfois mollasson empêche Fanfare d’amour de rivaliser avec les chefs d’oeuvre les plus endiablés de la comédie américaine.

Le journal tombe à 5 heures (Georges Lacombe, 1942)

Un journaliste expérimenté s’entiche d’une débutante.

Sous l’Occupation allemande, les industriels de toutes sortes s’ingéniaient à pallier le manque en produits américains dont l’importation était alors interdite. C’est ainsi que le Fanta a été inventé pour suppléer les ingrédients boycottés du Coca-cola. Dans le même ordre d’idées, Le journal tombe à 5 heures est un véritable ersatz de comédie américaine. En terme de filmage, un Georges Lacombe n’a d’ailleurs pas grand-chose à envier à un Tay Garnett ou un Gregory LaCava. Il y a dans la séquence d’introduction, où la caméra suit un chef des ventes pressé qui donne des instructions à divers employés répartis dans différentes pièces, une vivacité et une énergie à la hauteur des prestigieux modèles.

Malheureusement, la séduction de l’emballage a vite fait de s’estomper face à l’inanité du contenu. Censure vichyssoise oblige, toutes les rubriques habituelles d’un journal sont présentes sauf, bien sûr, la politique (ce manque est rapidement évoqué et mis sur le compte des cochons de payants qui préféreraient des sujets plus légers). Tout ce qui pourrait donner lieu à de véritables oppositions dramatiques est esquivé pareillement. Voir la pusillanimité du traitement des désirs amoureux ou du traitement des rapports entre les rédacteurs et leur patron, un patron dur mais bienveillant tel qu’en témoigne la façon dont il se débarrasse du méchant cafteur.

Ainsi, les silhouettes s’agitent sympathiquement (la distribution est gratinée) mais vainement car le caractère purement conventionnel de ce qui les meut est vite éclatant. Qui plus est, il n’y a pas de gag qui introduirait un peu de fantaisie dans un récit aussi fade. Ce récit est enfin assez mal construit, juxtaposant reportage sentimentalo-mondain et reportage sur une catastrophe naturelle sans grand souci d’unité dramatique. D’où finalement un film inintéressant plus que divertissant.

Sept hommes…une femme (Yves Mirande, 1936)

Une jeune et riche veuve part dans une château à la campagne avec sept prétendants.

De toute évidence, Sept hommes…une femme a beaucoup inspiré La règle du jeu. On y retrouve non seulement la trame principale, à savoir marivaudage de la bonne société parisienne dans un pavillon de chasse mais également une multitude de détails significatifs: aller-retours entre domestiques et maîtres, entre cuisine et salle à manger, similitudes étonnantes dans le découpage de la séquence de chasse. C’est l’occasion de vérifier une nouvelle fois que la grandeur d’un film ne réside pas dans une addition d’éléments mais dans la mise en scène, c’est à dire la façon dont le cinéaste agence ces éléments. Dans le film de Renoir, l’utilisation révolutionnaire de la profondeur de champ, la mobilité de la caméra, l’originalité de la direction d’acteurs, la subtilité inéluctable de l’instillation du drame dans la comédie et l’absence de facilités narratives donnaient une présence et une vérité exceptionnelles à des situations et personnage archétypaux.

Le film de Mirande, lui, reste constamment sur ses rails. Les personnages sont déterminés de bout en bout par leur type de départ, l’intrigue est conventionnelle et son dénouement est prévisible. A cause d’une écriture paresseuse, l’étude de moeurs reste superficielle et le propos se résume à un cynisme démagogique et assez bas du front. Cependant, il serait injuste de disqualifier Sept hommes…une femme du fait qu’il n’a pas l’ambition de ce qui reste, tout de même, le plus sérieux des prétendants au titre de meilleur film de tous les temps. Les bons mots de Mirande et les numéros d’acteur (Larquey, Fabre, Gravey…), s’ils limitent la portée du film, le rendent assez agréable à regarder tandis que l’inversion des rôles habituels entre hommes et femmes lui donne une saveur féministe assez inédite. En somme, c’est un divertissement aimable et oubliable.

Monsieur Coccinelle (Bernard-Deschamps, 1938)

Monsieur Coccinelle est un petit fonctionnaire qui vit avec sa femme dans une petite maison. Quoique son épouse soit parfois agaçante, sa vie se déroule paisiblement jusqu’au jour où sa tante, restée dans le souvenir d’un grand amour avec un prestidigitateur, meurt…

Monsieur Coccinelle
est une oeuvre tout à fait extraordinaire. La fantaisie que laisse augurer le titre est bien présente tout le long de cette sorte de conte de fées pour adulte. La mise en images de Bernard-Deschamps est d’une folle inventivité. De multiples trouvailles de découpage et de son donnent au travail du cinéaste des allures de dessin animé. Cette poésie est au service d’une peinture tendre et cocasse de la condition petite-bourgeoise. Ainsi, le foisonnement visuel et narratif ne le cède jamais à la justesse du propos. C’est là toute la différence avec le travail d’un Jean-Pierre Jeunet dont les images ne renvoient à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Voir par exemple ce bref plan-séquence digne de Fluide glacial synthétisant l’inefficacité des administrations. Tantôt drôle, tantôt mélancolique, finalement lumineux, Monsieur Coccinelle est un film vivant et libre. L’acuité du regard de Bernard-Deschamps sur l’étroitesse d’esprit d’une certaine bourgeoisie est heureusement toujours contrebalancée par sa tendresse envers son magnifique héros interprété par Pierre Larquey pour une fois dans un rôle à la mesure de son talent: le premier.

L’école des contribuables (René Guissart, 1934)

Le gendre d’un fonctionnaire du Trésor public, poussé à travailler par son beau-père, fonde une agence pour aider les contribuables à payer moins d’impôts.

Une comédie désuète mais subversive et amusante qui vaut essentiellement pour ses numéros d’acteurs. Quoique sa présence soit limitée à celle d’un second rôle, Larquey est grandiose.

Nous les gosses (Louis Daquin, 1941)

Des écoliers oublient leurs disputes pour collecter l’argent nécessaire à la réparation d’une verrière cassée par un camarade maladroit.

Louis Daquin est plus connu pour son engagement au P.C.F et son zèle lors de l’épuration que pour son œuvre de cinéaste. En 1941, l’URSS est encore alliée avec l’Allemagne et ce film, le premier du réalisateur, qui fait l’apologie du travail et des copains permet de voir que la morale communiste et la morale vichyste se rejoignent en fait assez facilement. Mais pourquoi pas après tout? On a bien le droit de défendre le travail et la solidarité. Le problème est que l’importance du « message » rend le scénario franchement grossier. Le film n’est pas aidé par la fantaisie en carton des seconds rôles (navrant personnage de Pierre Larquey). Heureusement la vivacité des gamins contrebalance cela. On retrouve un peu du charme de La guerre des boutons mais quelque peu écrasé par les intentions moralisatrices.