Au grand balcon (Henri Decoin, 1949)

Les héroïques débuts de l’Aéropostale à peine romancés par Joseph Kessel.

Le film est axé autour des rapports entre le directeur de la Ligne, extrêmement dur, et son pilote principal, bel as de l’aviation. Soit Fresnay-Daurat face à Marchal-Mermoz. Le film est sec et réaliste. Il n’y a pas de maquette faisant des acrobaties au-dessus des montagnes comme dans Seuls les anges ont des ailes. Les avions ne sont vus que depuis la piste. Les accidents ont principalement lieu hors-champ. Ce sont leurs répercussions sur le moral des pilotes de la Ligne qui intéressent les auteurs. L’obstination (mâtinée d’une sorte d’homosexualité refoulée envers son pilote principal) de Daurat frise la psychopathie et c’est ce qui fait qu’Au grand balcon n’est pas un bête panégyrique adressé aux héros de l’aviation mais un film relativement complexe.

Fresnay est l’idéal interprète de cet aventurier quasi-mystique. Sa voix à la fièvre aristocratique, de même que la magnifique musique de Kosma, insuffle un lyrisme bienvenu aux images. Bref, Au grand balcon est un bon film, digne et parfois beau, qui aurait pu être grand si Decoin avait atténué le schématisme conventionnel de certains traits pour privilégier le naturel des scènes. Les passages mettant en scène des non-aviateurs pâtissent particulièrement de ces ficelles grossières qui ternissent quelque peu l’austère beauté du film.

Pasteur (Sacha Guitry, 1935)

Evocation de la vie de Pasteur.

Pour son premier film de fiction, Sacha Guitry a porté à l’écran sa pièce sur Pasteur. C’est une hagiographie, le portrait d’un génie en butte à la médiocrité de ses contemporains dans lequel Guitry se projette certainement. Son interprétation formidable de vitalité et de très belles scènes de tendresse avec le petit Joseph Meister contrebalancent l’aspect ouvertement édifiant de l’oeuvre.

Le loup des Malveneur (Guillaume Radot, 1943)

Une jeune préceptrice est appelée par le dernier descendant d’une lignée d’aristocrates provinciaux mais celui-ci vient de disparaître…

Même si leur film est sorti dans la foulée de La nuit fantastique et de La main du diable, Guillaume Radot et son scénariste Francis-Vincent Bréchignac n’étaient pas des suiveurs mais des passionnés de poésie venus au cinéma avec la ferme intention d’exprimer leur sensibilité gothico-rimbaldienne sur le grand écran. Ce premier essai n’est pas vraiment convaincant du fait d’un scénario trop léger par rapport à la durée du film (1h20).  Néanmoins, la photographie somptueuse et le décor du château d’Anjony créent une ambiance gothique tout à fait singulière dans le cinéma français de l’époque.

L’histoire des treize/La duchesse de Langeais (Liebe, Paul Czinner, 1926)

Un général tombe éperdument amoureux d’une coquette.

C’est une plate illustration d’un chef d’oeuvre absolu de Balzac. Une scène comme celle de l’orgue réveillant les sentiments de Montriveau perd évidemment toute sa puissance dans un film muet et montre que les scénaristes et le metteur en scène n’ont guère réfléchi à l’adaptation, c’est à dire à la transposition d’un médium à un autre. Toute la grandeur lyrique et héroïque du roman a été perdue en cours de route. Un exemple parmi cent: l’enlèvement final, grandiose et sublime dans le roman (je vous y renvoie car le texte est facilement trouvable sur Internet), se résume ici au franchissement d’un mur de pavillon par quatre types (et non treize…). C’est plus risible qu’autre chose. De plus, l’actrice qui joue la duchesse manque de la plus élémentaire des distinctions. Il faut voir la frénésie avec laquelle elle serre la main de sa copine qui l’invite au bal pour se rendre compte qu’elle serait bien plus crédible en fille des rues qu’en reine des salons parisiens. Reste quelques plans joliment éclairés comme c’était courant dans le cinéma allemand de l’époque ainsi qu’une ou deux fulgurances dans la mise en scène de Czinner tel que le retour du premier enlèvement: la femme se pomponne par réflexe quasi-atavique avant de s’effondrer sur le divan, déchirée par la passion.

La Duchesse de Langeais

L’école des contribuables (René Guissart, 1934)

Le gendre d’un fonctionnaire du Trésor public, poussé à travailler par son beau-père, fonde une agence pour aider les contribuables à payer moins d’impôts.

Une comédie désuète mais subversive et amusante qui vaut essentiellement pour ses numéros d’acteurs. Quoique sa présence soit limitée à celle d’un second rôle, Larquey est grandiose.

Le livre noir (The black book/The reign of terror, Anthony Mann, 1949)

Pendant la Terreur, 48 heures avant une réunion décisive de la Convention, des hommes recherchent le livre noir qui contient les noms des opposants supposés que Robespierre veut guillotiner.

Ou la Révolution française outrageusement et magnifiquement simplifiée par Hollywood. Si les Américains ont appris l’histoire avec ce genre de film, il ne faut pas s’étonner de leur inculture. Ceci étant posé, Le livre noir est une excellente fantaisie historique, un peu dans l’esprit d’Alexandre Dumas. Pour la réflexion politique donc, on repassera. De trépidantes courses-poursuites constituent l’essentiel du film. Respectant une quasi-unité de temps, le récit est haletant et parfaitement mené. Le livre noir a la concision et le fini plastique des films noirs qu’Anthony Mann tournait à la même époque. Il n’y a pas une once de graisse, pas un plan en trop, le cinéaste attrape le spectateur dès le premier plan et ne le lâche plus pendant 90 minutes au rythme effréné. La photographie de John Alton est superbe et les cadrages géniaux en cela qu’ils concentrent la narration avec un maximum d’efficacité dramatique et d’harmonie plastique. Mineur mais brillant.

Lothringen! (Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1994)

A Metz après l’annexion prussienne, une logeuse et sa grand-mère accueillent un professeur allemand.

C’est du moins le résumé du chef d’oeuvre de Maurice Barrès, Colette Baudoche, dont est adapté ce moyen-métrage des Straub.  Le problème étant que les Straub en question ont cru malin d’évacuer la fiction, ses personnages,  son dilemme cornélien et sa force tragique pour se contenter de monter une suite d’images de la Lorraine sans queue ni tête avec des morceaux du livre lus en voix-off d’un ton monocorde par dessus. Je défie quiconque n’a pas lu le roman d’y comprendre goutte. Ajoutons à ça que les plaines lorraines sont filmées avec de très lents panoramique qui n’ont pas la moindre nécessité dramatique ni plastique. Abscons et fumeux, Lothringen! est un foutage de gueule bel et bien straubien.

Gardiens de phare (Jean Grémillon, 1929)

Un fils rejoint son père dans le phare qu’il garde mais le jeune homme a été mordu par un chien enragé…

Tout le début est magnifique. Les paysages vus par l’oeil d’un maître, le lyrisme âpre des scènes de genre, la dignité farouche des épouses sur la côte, la poésie bretonne en un mot. C’est déjà du grand Grémillon, cet artiste qui s’ancre au plus profond d’une réalité pour mieux la sublimer. Il est donc dommage que l’histoire racontée soit aussi saugrenue. L’arbitraire de l’anecdote n’a d’égale que la légèreté du scénario. Du coup, le cinéaste meuble avec des pseudo-expérimentations de montage parfaitement vaines. Un gâchis.

La dixième symphonie (Abel Gance, 1918)

Une femme qui voulait fuir un débauché tue la soeur de ce dernier au cours d’une bagarre. Le débauché a désormais un moyen de chantage…

Sublime mélodrame, La dixième symphonie contient déjà la quintessence d’Abel Gance. La naïveté de l’inspiration n’a d’égale que l’inventivité des formes. Par exemple, dix ans avant Napoléon et son triple-écran, le cinéaste a l’intuition du Cinémascope au cours de plans où des bandes colorées (sans doute au pochoir) s’intercalent en haut et en bas de l’image d’une naïade dansante de manière à figurer visuellement la dixième symphonie du titre! Plus encore que risible, la scène est géniale car force nous est de constater le bouillonnement créatif d’un précurseur déterminé à explorer toutes les possibilités de son art voire à en repousser les limites (en l’occurrence, le son lui manquait).

Le film est saturé d’idées de montage, de cadrages, de narration, bref de cinéma. N’était la folle conviction de son auteur dans l’histoire qu’il raconte, La dixième symphonie aurait pu verser dans la vanité de l’exercice de style avant-gardiste. Mais le visionnaire Abel Gance n’a jamais été un tenant de « L’art pour l’art ». Les acteurs sont habités par leur rôle. Séverin-Mars, futur héros de J’accuse et de La roue, entamait magnifiquement une fructueuse collaboration avec le réalisateur et la jolie Emmy Lynn est filmée avec gourmandise. Le très beau plan où ses épaules sont dénudées en annonce bien d’autres dans l’oeuvre du futur auteur de Lucrèce Borgia…On notera aussi que dans la première partie, le jeu très sophistiqué sur les points de vue et les flashbacks donne une vertigineuse profondeur au récit. En quelque sorte et jusqu’à exhumation d’un précurseur antérieur, Gance invente ici le suspense hitchocko-rohmérien, celui où les personnages se font leur propre cinéma à partir de ce qu’ils ont vu.  Bref:  l’opposé d’une curiosité réservée aux rats de cinémathèque, La dixième symphonie est véritablement un très grand film.

Rain or shine (Frank Capra, 1930)

Dans un cirque financièrement aux abois, l’écuyère est partagée entre le bonimenteur et un jeune homme qui a quitté sa bonne famille pour rejoindre le spectacle.

Rain or shine est un film absolument extraordinaire qui témoigne de cette tranquille liberté emblématique de plusieurs des premiers films parlants américains. Les genres n’ont pas encore imposé leurs carcans. Au gré de la fantaisie de son auteur qui n’est jamais arbitraire, Rain or shine se fait burlesque, fou, absurde, mélancolique, musical. Devant ce film dénué d’effusion sentimentale mais pétri d’humanité, on songe aux trois merveilles que John Ford tourna avec Will Rogers quasiment à la même époque. Comme celles-ci, Rain or shine est impossible à résumer car son intrigue est lâche et ses multiples personnages y introduisent de complexes ramifications. Le moindre figurant enrichit le film de sa vitalité. Ainsi des ouvriers noirs qui chantent du blues pendant le montage du chapiteau.

On aura beau jeu de taxer les acteurs de sous-Marx Brothers. Effectivement, il y a un sosie de Harpo tandis que le baratin de Joe Cook rappelle trop fortement celui de Groucho pour que la ressemblance ne soit fortuite. Il n’empêche. Le jeu de Cook est moins verrouillé, moins rôdé  que celui de son illustre confrère moustachu. Il interagit plus avec le reste du film, film qui ne se résume pas à une succession de numéros. Son personnage existe en dehors de ses vannes. Cet éternel cow-boy solitaire de la piste aux étoiles est à vrai dire un très beau héros, de la même famille que Ethan Edwards ou le juge Priest.

The miracle woman (Frank Capra, 1931)

Une évangéliste retrouve la foi lorsqu’elle rencontre un aveugle qui a cru en ses prêches.

Quoique lointainement inspiré d’Elmer Gantry– le pamphlet de Sinclair Lewis qui sera superbement adapté 30 ans plus tard par Richard Brooks- The miracle woman est, davantage qu’une critique des évangélistes, une belle réflexion sur le besoin de foi chez l’humain. Le personnage de l’aveugle introduit un mouvement dialectique qui approfondit considérablement le film. Dès la scène d’introduction où elle invective les responsables de la mort de son père, Barbara Stanwyck est remarquable. The miracle woman peut être considéré comme son premier grand rôle au cinéma. Légèrement moins naturel et moins surprenant (parce que plus soumis aux lois de la parabole et assez théâtral dans son déroulement) que les nombreux chefs d’oeuvre qu’a tournés Capra à la même époque (Amour défendu, Le dirigeable, La grande muraille), ce film n’en reste pas moins une pleine et entière réussite.

Une vie secrète (Forbidden, Frank Capra, 1932)

Une jeune journaliste s’éprend d’un politicien marié à une infirme…

Forbidden est une réussite parfaite de Frank Capra dans un genre où on ne l’attendait guère: le mélodrame. Je ne parle pas de mélodrame familial ou de mélodrame social, je parle de mélodrame pur et dur, je parle de ce genre éternel et universel qui raconte la perdition d’une femme par amour. Le jusqu’au boutisme de la narration, la cruauté implacable des rebondissements, la sécheresse mizoguchienne de la mise en scène, le respect de Capra pour tous ses personnages y compris l’homme lâche -mais amoureux- auquel Adolphe Menjou, excellent, insuffle une gentillesse inattendue ainsi que l’absence de regard moralisateur sur l’adultère font de Forbidden un des films les plus forts et les plus justes qui soient sur son sujet canonique. Il faut voir le sang perler aux lèvres de Barbara Stanwyck venant de tuer son mari, il faut voir le tranquille renoncement final pour se rendre compte quel film d’amour fou beau et terrible a réalisé l’auteur de La vie est belle.

un autre texte enthousiaste sur cette merveille méconnue

Le dirigeable (Frank Capra, 1931)

Un as de l’aviation part survoler le pôle Sud mais son épouse est lasse de trembler pour son mari vaniteux.

Dirigible est un de ces quelques chefs d’oeuvre méconnus réalisés par Frank Capra à l’orée des années 30 qui stupéfient par l’accomplissement de leur forme et la maturité de leur discours. Ce qui n’aurait pu être qu’un film d’aventures superficiel s’avère une réflexion d’une profondeur inouïe sur le courage et le devoir d’un homme. Le personnage légitimement inquiet de l’épouse introduit un contrechamp dialectique à l’épopée. Son rôle n’est pas décoratif mais modifie en profondeur le déroulement attendu de la fiction et le récit de la conquête du pôle se voit altéré par celui du naufrage d’un couple.

La mise en scène est d’une admirable sobriété, rien n’est appuyé et dans cette situation d’une inextricable complexité, aucun personnage n’est magnifié ni méprisé. Leurs nobles actions le sont d’autant plus que cette noblesse n’est pas soulignée mais simplement montrée voire suggérée. Ainsi, la partie consacrée à la fuite après le crash aérien est d’une beauté inouïe. Ne citons que ce plan où, après l’enterrement d’un camarade dans la glace, un estropié revient sur ses pas et abandonne sa béquille pour faire un semblant de croix sur la tombe de son ami. Le plan reste large, la musique et les paroles absentes, la durée n’excède pas dix secondes. Tout le film est à l’image de cette bouleversante dignité. En trente minutes de vignettes d’une ineffable pureté, Capra réalise ce après quoi Robert Bresson a vainement couru de 1943 à 1984. Grâce à un art consommé du montage et de l’ellipse, il rend sensible la grandeur de l’homme confronté aux caprices de Dieu (ou du Destin) jusqu’à un discret miracle final d’autant plus émouvant que son effet est redoublé par un geste humain absolument sublime.