Bande de flics (The choirboys, Robert Aldrich, 1977)

Entre rondes dans les quartiers malfamés et fêtes débridées, le quotidien d’une bande de flics de Los Angeles.

Succession de saynètes grotesques et satiriques où l’épaisseur de la caricature va heureusement de pair avec le sens de la complexité humaine et du retournement de situation. D’où, par-delà la grossièreté des effets, une justesse de ton qui rappelle une autre adaptation d’un roman de Joseph Wambaugh: Les flics ne dorment pas la nuit. Les acteurs sont tous excellents, l’institution policière est savoureusement et pertinemment brocardée (idée géniale de la remise de médaille qui succède au tabassage) et, in fine, au fond des pires turpitudes, une certaine grandeur de l’homme est retrouvée (la lettre, sublime). Avec malice, le dénouement montre qu’un peu de corruption arrange tout le monde et que personne n’a intérêt à ce que justice se fasse véritablement. Bande de flics est ainsi une des réussites les plus achevées de Robert Aldrich.

 

 

L’empereur du Nord (Robert Aldrich, 1973)

Pendant la Grande Dépression, un vagabond entreprend de voyager à bord du train contrôlé par l’agent le plus méchant du pays.

Un peu barbant quand même. Le canevas de série B est étiré sur plus de deux heures! A force de redondances dans l’écriture et de complaisance viriloïde, Robert Aldrich dilue la force primale de son affrontement. Visiblement peu confiant dans cet argument de base, il l’enrobe de scènes commentatrices aussi artificielles que sursignifiantes pour lui donner une dimension mythologique qui ne convainc jamais mais le réduit à une caricature grotesque. Il ne suffit pas de lui faire dire cinq gros mots par phrase pour donner une épaisseur virile à un personnage. Certes, quelques beaux moments de sauvagerie surnagent mais trente ans plus tôt, William Wellman, dans Wild boys of the road, montrait la même chose qu’Aldrich (le retour de l’homme à l’animalité pendant la Grande dépression) avec mille fois plus d’économie, d’honnêteté et donc d’efficacité.

La cité des dangers (Hustle, Robert Aldrich, 1975)

Un flic amoureux d’une call-girl enquête sur les circonstances du suicide d’une jeune fille…

Enième polar dans la veine du Grand sommeil avec ses élites pourries et sa ville écrasée par le soleil. L’écriture est assez désinvolte et la mise en scène n’est pas d’une grande élégance. Mais une belle singularité est apportée par le personnage du père de la victime incarné avec une touchante humanité par Ben Johnson. L’absence de crime perpétré contre sa fille rend d’autant plus flagrante l’injustice sociale dont il est victime. Et le sursaut final du flic n’en est que plus beau.

L’ultimatum des trois mercenaires (Twilight’s last gleaming, Robert Aldrich, 1977)

Un général renégat s’empare d’un silo de missiles nucléaires et fait du chantage sur la maison-blanche…

Cet opus tardif de Robert Aldrich est une parabole gauchiste aux ressorts particulièrement grossiers et artificiels. Je songe notamment au contenu du fameux document top-secret qui dénote la naïveté du film. Je songe aussi à l’absurdité du fait que le président aille se présenter aux terroristes après avoir accepté leurs exigences. Je songe au fait qu’un simple truand explique à un général étoilé présenté pendant tout le film comme hyper-brillant les pièges (qui sont gros comme une maison) que celui-ci n’a pas anticipés. Ce manque de crédibilité se retrouve aussi dans une mise en scène étonnamment inégale: l’assaut du silo nucléaire ressemble à un braquage d’épicerie tant il manque d’ampleur. Pas de plan large, un montage confus, un décor quasi-ridicule et des péripéties artificielles (le coup du niveau à bulles) font que l’on ne ressent guère la tension de l’évènement. L’utilisation abusive du split-screen ajoute à la confusion générale. Les personnages sont taillés à la serpe (pauvre Richard Widmark!), le film est truffé de coups de stabylo surlignant le discours de l’auteur. Pourtant, le film se suit avec un certain plaisir grâce à la puissance de son ressort dramatique principal, à quelques moments de suspense bien orchestrés et à Burt Lancaster, toujours excellent. Chouette divertissement du samedi soir,  L’ultimatum des trois mercenaires reste un opus mineur au sein de la filmographie de son auteur.

Trop tard pour les héros (Robert Aldrich, 1970)

A quelques jours d’une permission, un lieutenant-interprète américain qui se la coule douce sur une île du Pacifique est rattaché à un commando britannique chargé de détruire un poste de transmission derrière les lignes japonaises.

Trop tard pour les héros est un bon film de guerre comme savait les concocter Robert Aldrich. On retrouve avec un certain plaisir le style truculent et la vision nihiliste de l’auteur des Douze salopards. L’introduction qui voit le général joué par Henry Fonda appeler son lieutenant qui passe son temps à bronzer sur la plage a le triple mérite de sortir des sentiers battus, d’être crédible et d’être drôle.
On pourrait se demander ce qu’apporte cet énième film de commando à une filmographie déjà riche en classiques du film de guerre (Attaque!, ce chef d’oeuvre) mais se pose t-on ce genre de question chaque fois que l’on découvre un western de John Ford? Le travail au sein d’un genre permet à un auteur toutes sortes de variations thématiques.

En s’intéressant ici à un commando composé d’un Américain et de Britanniques, Aldrich aborde d’abord le choc des cultures même si force est de constater que son traitement reste assez superficiel sur ce point. Il y a aussi une séquence remarquable au milieu du film qui montre comment l’action fait varier les lignes morales d’une seconde à l’autre. Ecrit noir sur blanc, cela paraît abstrait mais à l’écran, c’est plus éclatant que cela ne l’a jamais été dans aucun autre film de guerre. Enfin, le jusqu’au boutisme du cinéaste dans sa vision désespérée (jusqu’au boutisme qui n’a rien à voir avec de la complaisance car intelligemment justifié par le scénario) donne lieu au cours de la seconde partie à une terrible gradation dans laquelle s’épanouit le talent de dramaturge d’Aldrich.

Le démon des femmes (The legend of Lylah Clare, Robert Aldrich, 1968)

 

Un vieux réalisateur entreprend un comeback en tournant une biographie de la star qu’il rendit célèbre trente ans auparavant, Lylah Clare. Lylah Clare mourut dans de mystérieuses circonstances…

Imaginez Josef Von Sternberg réalisant un film sur Marlene à la fin des années 60. La référence est très claire (chansons allemandes, vanité du Pygmalion, bisexualité de la vedette…) même si Robert Aldrich et son scénariste Hugo Butler ont pris soin d’épicer la réalité: leur Lylah Clare est une ancienne pensionnaire de bordel et elle est morte d’une façon violente. Troisième film à propos de Hollywood tourné par le cinéaste (après Le grand couteau et Qu’est-il arrivé à Baby Jane?), The legend of Lylah Clare ne se limite pas à une satire au vitriol. On retrouve évidemment le goût d’Aldrich pour la théâtralité grotesque et les personnages secondaires caricaturaux dans la peinture bien sentie (mais attendue) de la décadence du microcosme hollywoodien.

Certes l’auteur se moque aussi durement de la vanité du cinéaste européen que de la vulgarité du distributeur avide mais The legend of Lylah Clare ne serait pas un film très intéressant s’il se limitait à une énième autocritique de la part d’Hollywood. Ce qui le distingue, c’est l’angle d’attaque d’Aldrich, son focus sur les passions de domination et d’exhibition qui alimentent en fait l’industrie du cinéma. Il montre avec cette violente radicalité qui lui est propre ces passions infernales damner les hommes sans rémission et broyer littéralement les femmes. Cette outrance n’est pas cynique mais pathétique et sublime son pamphlet.

Pas d’orchidée pour Miss Blandish (The Grissom Gang, Robert Aldrich, 1971)

Durant la Grande dépression, le kidnapping d’une riche héritière par une bande de péquenauds tourne mal.

Pas d’orchidée pour Miss Blandish est un film de gangsters atypique adapté d’un roman noir de James Hardley Chase. C’est une oeuvre aussi belle que son titre français. La vision de l’Amérique de la Grande dépression est particulièrement corrosive, n’épargnant ni le cynisme des riches ni l’immoralité de certains pauvres. Robert Aldrich ne donne jamais l’impression d’excuser le comportement de la famille de malfrats. Seuls comptent les individus, leurs pulsions, leurs actions et surtout leurs névroses. Ce sont ces névroses qui motivent l’outrance d’un style particulièrement violent.

Le récit parfaitement ficelé recèle son lot de retournements de situation qui maintiennent l’attention du spectateur sans jamais apparaître gratuits puisque la psychologie des personnages à l’origine de ces rebondissements est d’une perpétuelle justesse. Aussi caricatural que soit le trait. C’est peut-être dans cet intime paradoxe, que réside le secret de la réussite du film. Sans concession au moralisme facile, les auteurs se permettent d’ailleurs de raconter une belle histoire d’amour dans la dernière partie du film. Cette nécessaire digression d’essence borzagienne achève de faire de Pas d’orchidée pour Miss Blandish un des plus beaux polars des années 70.

Deux filles au tapis (…All the marbles, Robert Aldrich, 1981)

Deux catcheuses et leur manager sillonnent l’Amérique profonde, espérant décrocher un titre national.

Le dernier opus de Robert Aldrich est peut-être son plus attachant. Il faut dire que c’est un de ses films les plus tendres. L’auteur des Douze salopards n’a pas perdu sa lucidité corrosive, l’Amérique profonde filmée ici n’est pas franchement reluisante mais le cinéaste a transformé son pessimisme nihiliste en pessimisme romantique. Concrètement, cela veut dire qu’il est désormais du côté de ceux qui veulent vivre leur rêve (américain) envers et contre une réalité carrément sordide.

Les rapports humains entre le coach et les deux filles sont au coeur de l’oeuvre. La façon dont sont traités ces rapports est une bonne métonymie du film. Ce sont des rapports plein d’amour et de tendresse qui n’excluent pas la brutalité. Des échanges de coups précèdent parfois les effusions. Autant  Deux filles au tapis est sentimental, autant il est éloignée de toute niaiserie. Peter Falk est pour beaucoup dans la réussite de l’oeuvre. Son strabisme, ses dictons piqués à Will Rogers et Clifford Oddets, son âpreté au gain mêlée d’amour pour ses filles en font un personnage parmi les plus profondément sympathiques du cinéma américain. Les actrices jouant les deux catcheuses, Laurene Landon et Vicki Frederick, ont été oubliées depuis mais je me dois de citer leur nom ici. C’est fait. Le film n’est pas irréprochable (voir les personnages secondaires grotesques typiques d’Aldrich mais trop caricaturaux pour être intéressants) mais le dantesque combat final dont l’étirement de la durée crée une forte implication du public (à ce titre Deux filles au tapis gagne vraiment à être vu dans une salle remplie) permet au cinéaste d’emporter définitivement le morceau.

Feuilles d’automne (Robert Aldrich, 1956)

Le rencontre de deux névrosés, une vieille fille et un jeune impuissant. Feuilles d’automne est un excellent mélodrame. L’outrance de la mise en scène de Robert Aldrich (le jeu excessif des acteurs, la Crawford surmaquillée comme à son habitude, Cliff Robertson dont la prestation anticipe celle d’Anthony Perkins dans Psychose, la violence intérieure exprimée par des scènes d’une grande violence physique) est, une fois n’est pas coutume, parfaitement adaptée à son sujet. Cependant, ce voyage à l’intérieur des zones les plus sombres de la pyché est cadré par une impeccable narration à tendance feuilletonesque et la célébrissime chanson de Nat King Cole confère une certaine mélancolie à l’héroïne, elle empêche de faire de sa névrose quelque chose de monstrueux aux yeux du spectateur. Feuilles d’automnes est la preuve qu’il y a eu des bons films psychanalytiques à Hollywood. Simplement, ils n’étaient pas signés Hitchcock.

Une critique plus développée de cette perle méconnue