Une fois, la nuit (Boris Barnet, 1944)

Dans une ville dévastée et occupée par les Allemands, une jeune femme soigne des aviateurs russes.

Les paysages de ruine, dignes d’Allemagne année zéro, impressionnent mais ne sont pas très bien exploités: en plus d’être un récit de propagande des plus basiques et manichéens (avec un méchant très méchant), Une fois, la nuit pâtit d’un découpage confus qui annihile l’intérêt de ses scènes d’action.

Un été prodigieux (Boris Barnet, 1951)

Dans un kolkhoze, le comptable a une touche avec une ouvrière stakhanoviste.

La surcote de Boris Barnet dans une certaine frange de la cinéphilie française est d’autant plus délirante qu’elle semble avoir commencé avec la critique d’Un été prodigieux par Jacques Rivette. A le lire après avoir vu le film, on se rend compte que son texte est un modèle de paradoxisme. Au sein de ce pur produit jdanoviste, le critique des Cahiers (peut-être amoureux de l’actrice) met en avant l’idylle de convention qu’il compare à du Renoir. Il fait fi de la laideur du Sovcolor qui donne une teinte lavasse à une histoire déjà sans intérêt sur le papier. La prééminence des débats kolkhoziens, des tracteurs et de la propagande pour Staline serait de la pudeur. Le film réel est escamoté au profit d’un film rêvé à partir d’une poignée de détails (la scène des plongeons certes mignonne) peu significatifs. C’est la définition d’une hallucination.

Okraina (Boris Barnet, 1933)

Pendant la première guerre mondiale, la vie d’un village russe qui accueille des prisonniers allemands.

Okraina est peut-être le meilleur film de Boris Barnet. C’est en tout cas celui qui justifie le mieux sa réputation, pour le moins exagérée, de très grand cinéaste soviétique. Traiter un sujet avec un arrière-fond politique et historique aussi riche que celui d’Okraina permet à Barnet d’éviter l’écueil d’Au bord de la mer bleue ou La jeune fille au carton à chapeau: à savoir une mise en scène sombrant dans l’insignifiance à cause de la parfaite inconsistance du scénario. D’un autre côté, c’est son tempérament naturellement léger qui lui permet ici de ne pas tomber dans le piège numéro 1 d’une production telle que celle-ci: à savoir l’académisme plombant. Son art de la rupture de ton et son souverain détachement lui ont permis de tisser un récit unanimiste qui a merveilleusement su tirer parti d’une contrainte majeure de la propagande soviétique: pas de personnage principal.

Okraina est une charmante chronique où l’on passe sans heurt de la proverbiale horreur des tranchées au doux lyrisme d’une idylle entre une jeune fille et un prisonnier. Il y a aussi une scène de fraternisation dans le no man’s land qui dans sa simplicité directe s’avère plus juste donc plus émouvante que tous les effets de manche pyrotechniques déployés par Spielberg dans son dernier film, Cheval de guerre. Sa focalisation sur les sentiments individuels permet à Barnet de tourner des séquences parmi les plus touchantes jamais tournées sur son vaste sujet. Voir par exemple le comportement du patron lorsque son employé allemand se fait lyncher. C’est un comportement dont l’évolution complexe est rendue sensible par l’attention du metteur en scène à des détails signifiants. Il fallait aussi beaucoup d’audace à Barnet pour tempérer comme il l’a fait l’euphorie collective de la fin par le drame intime d’une jeune fille séparée de son amoureux qui, toute à son chagrin, n’a visiblement rien à secouer de la glorieuse révolution bolchevik.

Enfin, si, comme en témoigne une lenteur théâtrale occasionnelle, le cinéma parlant n’est pas encore complètement maîtrisé par Barnet, la bande-sonore est truffée d’inventions.

En définitive, Okraina est un très beau film que son auteur a chargé d’un humanisme d’autant plus émouvant qu’il est discret.

Au bord de la mer bleue (Boris Barnet, 1935)

Deux jeunes naufragés recueillis dans un kolkhoze tombent amoureux de la même femme…

L’immense réputation dont jouit ce film auprès de certains cinéphiles hautement recommandables (Lourcelles, Daney…) me semble très exagérée. Certes, Au bord de la mer bleue tranche d’avec le reste de la production soviétique car c’est un marivaudage léger dont la propagande est absente. De même,  contrairement à Eisenstein, Dovjenko et Poudovkine qui utilisaient toutes les ressources du montage pour « malaxer les consciences », Boris Barnet est un réalisateur discret et sa mise en scène est moins apprêtée que celle de ses collègues. Mais enfin, cette liberté relative au contexte de production ne suffit pas à faire du film un « chef d’œuvre de poésie »!

Le scénario est très maigre. Il ne se passe pour ainsi dire rien entre les deux naufrages, c’est à dire pendant à peu près une heure (le film durant une heure dix). Cette maigreur pourrait ne pas importer si -au choix- la peinture de la communauté avait un minimum de consistance, si le cinéaste stylisait ses images ou s’il dessinait les caractères de ses personnages d’une façon impressionniste en se focalisant sur des gestes précis même si n’ayant pas de lien avec la trame narrative. Or de tout ça, de tout ce qu’on pourrait appeler « mise en scène », de tout ce qui pourrait étoffer voire créer le propos, il n’y a quasiment rien!

N’était les plans répétés sur les flots au début et à la fin qui donnent une tonalité cosmique au film, le décor, vague et abstrait, pourrait être celui d’un studio. Les sentiments des personnages sont montrés principalement via des dialogues convenus mis en scène platement. De toute évidence, le cinéma parlant n’est pas encore complètement maîtrisé par Barnet et son film est parfois très théâtral. Ajoutons à ces charges que l’actrice censée fasciner les deux héros a un visage bien trop viril pour être séduisante tandis que l’un des marins est habillé comme un mannequin de Jean-Paul Gauthier (ceci expliquant peut-être que Serge Daney trouvait que ce soit un film très sensuel).

A noter tout de même une belle fin qui vient -enfin- transcender la banalité de l’intrigue et, peut-être, expliquer l’idéalisation de ce film par des critiques d’autant plus enflammés qu’ils ne pouvaient voir ce film alors très rare qu’une fois tous les vingt ans. Ce n’est pas le moindre mérite du DVD que d’avoir permis de démystifier Au bord de la mer bleue.

Le lutteur et le clown (Konstantin Youdine et Boris Barnet, 1957)

Les tribulations d’un lutteur et d’un clown qui veulent faire carrière au cirque…

Le récit décousu enchaîne mal des situations parfois grossièrement mélodramatiques. Les personnages sont schématiques. Il y a de belles couleurs et de superbes images de la campagne mais beaucoup de plans de la piste de cirque sont redondants et il est finalement dommage que le talent plastique de Boris Barnet, toujours éclatant, n’ait pas une matière plus variée pour s’exprimer.

La jeune fille au carton à chapeau (Boris Barnet, 1927)

Une jeune vendeuse de chapeaux contracte un mariage blanc avec un vagabond pour partager son logis avec lui…

Plus léger que les autres classiques du muet soviétique, La jeune fille au carton à chapeau n’en est pas moins un film de propagande (pour la loterie nationale!). Comparé à un Cuirassé Potemkine, la fraîcheur du film est indéniable mais l’histoire racontée est par trop inconséquente, le basique « boy meets girl » étant simplement agrémenté de touches burlesques qui, il faut bien le dire, sont à des années-lumières de la drôlerie des grands burlesques américains. Reste la beauté de la lumineuse Anna Sten qui, après ces débuts prometteurs, n’a pas eu la carrière qu’elle méritait.

L’exploit d’un éclaireur (Boris Barnet, 1947)

Pendant la Grande guerre patriotique, un espion soviétique infiltre l’entourage d’un général allemand.

Inspiré des prouesses de Nikolaï Khokhlov, L’exploit d’un éclaireur est un film de propagande soviétique transfiguré par la stylisation de l’atypique Boris Barnett. Un récit vertigineux à base de doubles-jeux et de simulations donne une certaine complexité à un film au sujet simpliste. On pourrait regretter que l’infaillibilité d’un héros jamais dupe altère la crédibilité de ce récit mais ce serait passer à côté du charme naïf d’un film dont l’esprit a finalement plus à voir avec Les aventures de Tintin qu’avec Staline.
La poésie de studio et la virtuosité d’une narration capable de synthétiser plusieurs mois d’action en trois plans ne sont probablement pas les moindres des qualités ayant contribué à faire de L’exploit d’un éclaireur le film-fétiche de plusieurs générations de petits Russes dont l’excellent Vladimir Poutine qui, d’après la légende, lui doit sa vocation d’agent du KGB.

Un brave garçon (Ceux de Novgorod, Boris Barnet, 1943)

Pendant la seconde guerre mondiale, des partisans russes recueillent un chanteur lyrique évadé et un aviateur français parachuté.

Le scénario de ce film de propagande est grossier mais la mise en scène est étonnamment sereine et aérée. Le naturel du découpage en plans-séquences, l’importance visuelle de la nature ainsi que la place incongrue accordée à la musique (il y a plusieurs passages chantés dûs au personnage du chanteur lyrique) font oublier les inévitables clichés. Ceux de Novgorod est un petit film (1 heure) d’une beauté inattendue.