Battement de coeur (Henri Decoin, 1940)

Suite à une série de péripéties, une jeune fille échappée de maison de redressement découvre l’amour dans les bras d’un riche diplomate.

Battement de coeur est la plus réputée des nombreuses collaborations entre Henri Decoin et sa jeune épouse d’alors, Danielle Darrieux. Plusieurs raisons justifient amplement cette réputation.

D’abord, la première partie est vive et inventive comme une bonne comédie américaine. Les auteurs ne reculent pas devant la fantaisie et font preuve d’un sens de l’absurde aussi discret que réjouissant (l’école de pick-pockets) exprimant, mine de rien, une certaine critique sociale. A ce sens du spectacle d’inspiration américaine s’adjoint une galerie de seconds rôles hauts en couleur typique du cinéma français d’alors. Carette en brave type un peu amoureux et Saturnin Fabre en professeur de vol à la tire délivrent des compositions certes attendues mais savoureuses.

Par la suite, le rythme du film ralentit pour se focaliser sur l’éveil sentimental du personnage de Danielle Darrieux. La fraîcheur de la ravissante actrice suffit alors au spectateur pour oublier le caractère conventionnel des situations. Il y a lors de la scène de son premier baiser le même charme léger, entêtant et secrètement déchirant que celui qu’exhalent les chansons des Shirelles.

Vous l’aurez compris: cette parfaite comédie romantique française (la meilleure?) est un délice.

Hara-Kiri (Fritz Lang, 1919)

Un marin européen séduit une Japonaise qui va avoir le malheur de prendre leur mariage très au sérieux.

Cette adaptation de Madame Butterfly par le jeune Fritz Lang est une ennuyeuse niaiserie. Le scénario est cousu de fil blanc, la mise en scène se réduit à du théâtre filmé (qui plus est muet bien évidemment). Eventuellement, les plus fervents des auteuristes pourront s’imaginer le hiératique et méchant chef bouddhiste comme une incarnation de la fatalité préfigurant les futures obsessions du maître. Mais c’est tout.

Le tournoi dans la cité (Jean Renoir, 1928)

Au temps des guerres de religion, un seigneur protestant et un seigneur catholique se disputent une belle catholique.

Commande réalisée dans le cadre du bi-millénaire de la cité de Carcassone, Le tournoi dans la cité est peut-être le meilleur film muet de Jean Renoir. La technique est sûre, les moyens sont là et on peut même déceler en filigrane la personnalité du futur auteur de La règle du jeu.

Le tournoi dans la cité est d’abord une des rares réussites françaises dans le genre de la reconstitution historique. Les enjeux narratifs sont multiples, variés et bien présentés. Il y a certes beaucoup de cartons et la mise en images est parfois illustrative mais le cinéaste trousse avec brio divers morceaux de bravoure dans lesquels découpage et mouvements de caméra insufflent une réelle force dramatique à l’action. Je songe notamment au duel d’anthologie sur les remparts de Carcassone avec l’épéiste italien Aldo Naldi.

La mise en scène de la violence est d’une crudité qui sauve le film de l’académisme et qui pourra étonner le spectateur qui comme moi associait la représentation cinématographique du XVIème siècle au genre, léger et guilleret par nature, du film de cape et épée. Le tournoi dans la cité est un film sanglant et dénué de mièvrerie. Un exemple: après avoir éventré son adversaire, le « héros » essuie sa lame dans les cheveux de la soeur convoitée du macchabée puis l’embrasse de force. Un grand moment de hussard attitude! Qui l’eût cru de ce cher vieux Renoir…

Les caractères sont relativement complexes car non soumis à un vulgaire schéma dramatique. En d’autres termes, difficile de savoir qui est le bon et qui est le méchant. Le héros est d’ailleurs franchement antipathique même s’il n’est pas diabolisé. C’est dans ce regard dénué d’a priori sur ses personnages qu’on a le plus de chances de retrouver la personnalité du réalisateur. « Tout le monde a ses raisons ».

On regrettera simplement le manque de concision du film. Le scénario n’a pas l’efficacité des grands films hollywoodiens de cape et épée. C’est certes parce que l’intrigue et les personnages sont peu conventionnels mais c’est aussi dû à certains moments décoratifs dans lesquels il s’agit plus de faire étalage des nombreux chevaux et des riches costumes qu’a pu se payer la production que de faire avancer le récit. L’attention retombe donc parfois mais Le tournoi dans la cité n’en reste pas moins un bon film ne méritant pas l’oubli dans lequel il est tombé.

Performance (Nicholas Roeg et Donald Cammell, 1970)

Un jeune truand poursuivi par la pègre se réfugie chez une rock star décadente.

Film « culte » et « emblématique de la contre-culture », Performance n’a plus aujourd’hui qu’un intérêt historique. La mise en scène et le découpage sont confus. On ne comprend rien à l’histoire, on n’a pas envie d’essayer de comprendre. Que ce soit volontaire ou pas, on s’en fout, puisque Cammell et Roegg viennent après Resnais, Godard, Antonioni qui eux-mêmes venaient après Gance, Vertov, Bunuel. Inanité de l’ « Avant-garde ». Caractère insondable de l’ennui.

Les naufrageurs des mers du Sud (Reap the wild wind, Cecil B.DeMille, 1942)

Un armateur et le capitaine de son navire, amoureux de la même femme, enquêtent sur des naufrages mystérieux dans les mers du Sud.

Les naufrageurs des mers du Sud est un film d’aventures exotique assez typique du cinéma de DeMille. C’est à dire que pour le dynamisme de la mise en scène, on repassera. Le film est très bavard. En revanche, on se délectera des couleurs éclatantes d’un Technicolor saturé, de l’opulence de la direction artistique, de la composition élaborée des plans, bref de la beauté des images et du charme suranné d’une poésie de studio révolue. A noter aussi que les caractères sont étonnamment complexes, le héros n’étant pas celui que l’on croit au début du film.

Gardiens de l’ordre (Nicolas Boukhrief, 2010)

En marge de leur hiérarchie, deux jeunes flics accusés de bavure infiltrent un réseau de trafic de drogue pour prouver leur innocence.

Nicolas Boukhrief est de loin le plus intéressant des réalisateurs contemporains de polar. Certes, tourner de meilleurs films que ceux d’Olivier Marchal ne fait pas automatiquement de vous un génie du cinéma mais l’ancien rédacteur de Starfix a au moins un chef d’oeuvre à son actif: Le convoyeur qui en 1h30 se montrait plus percutant dans sa représentation de la déliquescence des rapports sociaux en banlieue que l’intégrale de Bertrand Tavernier.

Ce Gardiens de l’ordre est un niveau en dessous du coup de maître de son réalisateur. Sa principale limite est que c’est une oeuvre de pure convention. On n’y retrouve pas les vertus de cristallisation sociale du Convoyeur. Le ton naturaliste du début laisse rapidement la place à un exercice de style dans lequel l’auteur se soucie peu de nuance, de réalisme voire de crédibilité. La vision ultra-pessimiste des rapports entre politique et police est trop caricaturale pour chercher à convaincre. Ce n’est qu’une facilité narrative. Les méchants sont des clichés sur pattes tout droit sortis d’Hollywood Night. A force de rechercher le spectaculaire, la fin verse dans le grand-guignol. D’une manière générale, le film semble manquer de finitions. Les détails du scénario notamment auraient peut-être gagnés à être plus travaillés. Les coutures sont parfois apparentes.

Pourtant, Gardiens de l’ordre reste un polar tout ce qu’il y a de plus prenant. C’est grâce au talent de Boukhrief pour la mise en scène. On retrouve cette ambiance oppressante tissée grâce à un travail unique sur les textures sonores. On retrouve les ruptures de ton savamment ménagées qui font instantanément basculer le récit tout en insufflant une ampleur tragique aux séquences. On retrouve l’efficacité dans la caractérisation des personnages. Quelques notations suffisent à l’auteur. Il ne s’appesantit jamais. L’histoire d’amour en creux de cette descente aux enfers est d’ailleurs ce qu’il y a de plus beau dans le film.

Bref, après l’intéressant mais anémié Cortex, Gardiens de l’ordre, s’il ne témoigne d’aucun renouvellement d’inspiration, nous permet de retrouver un des meilleurs stylistes du cinéma français en pleine possession de ses moyens.

Cybèle ou les Dimanches de Ville d’Avray (Serge Bourguignon, 1961)

Un jeune pilote revenu amnésique de la guerre noue une relation avec une petite fille de l’Assistance publique.

Comme vous le voyez, le sujet est délicat. Pourtant, le traitement de Serge Bourguignon est une leçon de pudeur et de dignité. Ce qui en aucun cas ne signifie esquive et pusillanimité. L’auteur montre d’abord ce qu’il faut bien appeler un amour (l’amour n’étant pas nécessairement sexuel) entre deux marginaux, l’union miraculeuse de deux solitudes. Il évite le piège de la niaiserie autiste en montrant également les réactions des autres, notamment l’incompréhension et la peur de certains face à ce qui ne cadre pas avec leurs conventions sociales. Il le fait sans la moindre rancoeur, sans la moindre aigreur, sans la moindre lourdeur de trait. Tous ses personnages ont de bonnes intentions, ce qui ne rend que plus terrible le drame final.

Le canevas narratif étant extrêmement ténu, l’essentiel se joue dans la mise en scène qui brille par son tact et sa finesse. Bien que Les Dimanches de Ville d’Avray ait été réalisé en 1961, son esthétique n’a pas grand-chose à voir avec la Nouvelle Vague. Les cadres sont soignés, le Noir&Blanc d’Henri Decae est beau, la musique de Maurice Jarre allait faire embaucher le compositeur à Hollywood. En revanche, jamais Bourguignon ne verse dans l’académisme. Ainsi, son film est considérablement vivifié par la brusquerie des raccords (il y a un beau travail sur le son).

Les multiples trouvailles poétiques du réalisateur n’ont rien de gratuit mais sont autant de manifestations d’une sensibilité parmi les plus délicates du cinéma français. Rarement l’insupportable insignifiance de l’environnement lorsqu’on est loin de l’être aimé aura été évoquée avec autant de puissance que lors de la séquence du repas de mariage. La mélancolie qui sourd tout au long du film explosera dans un déchirant final.

Un texte intéressant plus développé que le mien

Edouard et Caroline (Jacques Becker, 1951)

Deux jeunes mariés se disputent avant et pendant une soirée mondaine. Avant de se réconcilier ou de divorcer?

Résumé de cette façon, Edouard et Caroline n’est guère excitant. Quelque part, c’est l’ancêtre de tous les films de jeunes auteurs racontant « les déboires d’un couple dans un appartement parisien ».  Pourtant, une chose essentielle distingue très nettement Edouard et Caroline de sa descendance post-Nouvelle Vague: la sûreté de l’expression d’un grand cinéaste, Jacques Becker, alors au faîte de son art.

Cette sûreté d’expression se manifeste d’abord à travers une écriture subtile et rigoureuse qui permet une fusion complète de l’étude de moeurs et de l’analyse des caractères. Le fameux regard d’entomologiste de Becker ne l’empêche pas de restituer les états d’âme de ses personnages dans toute leur singularité. La vérité de leurs sentiments ne fait que mieux ressortir la vacuité d’un monde bourgeois croqué avec une ironie qui rappelle celle de Proust lorsqu’il écrivait sur les Verdurin. Il n’y a pas de méchant, pas de personnages chargé pour les besoins de l’intrigue, pas de personnage qui n’ait « ses raisons ». Plus encore que chez Renoir, ancien patron de Becker, la lucidité piquante n’exclut pas la tendresse.

La réussite de l’oeuvre vient ensuite de la précision de la mise en scène. Grâce à sa maîtrise technique, le réalisateur évite deux écueils qui auraient pu se dresser sur sa route avec un tel sujet.
D’abord, la convention: le naturel des jeunes acteurs Daniel Gélin et Anne Vernon ainsi que l’attention de la caméra aux détails à l’intérieur d’une scène (voir le bref passage avec le dentifrice) lui permet d’éloigner son film de toute forme de théâtralité qui aurait altéré le réalisme essentiel de son style. En effet, c’est la finesse des observations qui fait le prix d’Edouard et Caroline. Cette vérité de la représentation d’un jeune couple, on la doit sans doute aussi à la contribution d’Annette Wademant, scénariste alors âgée de 23 ans, qui entamait ici une fructueuse collaboration avec l’auteur de Casque d’or.
Ensuite, jamais le film, en dépit de la trivialité de son intrigue, ne tombe dans l’insignifiance. C’est que rien n’est laissé au hasard par le cinéaste. Ainsi, grâce au brillant découpage, un récital mondain devient le moment plein de tension où se joue l’avenir d’un amour.

Bref: attachant, vrai, inventif et maîtrisé de bout en bout Edouard et Caroline est un excellent film, de ceux qui ont fait de Jacques Becker l’idéal représentant d’un classicisme cinématographique à la française.

La souris qui rugissait (Jack Arnold, 1959)

Le duché du Grand Fenwick, plus petit pays du monde, décide de déclarer la guerre aux Etats-Unis afin de perdre cette guerre et de bénéficier d’un plan Marshall qui remplirait les caisses de l’état.

Réalisé en pleine guerre froide, La souris qui rugissait est une satire dont le point fort est un scénario adapté de l’écrivain Leonard Wibberley fertile en rebondissements cocasses. Le ton n’a pas la lourdeur de celui de Dr Folamour, l’humour est basé sur un sens tranquille de l’absurde typiquement anglais. Dommage que la mise en scène soit statique et essentiellement illustrative, ce qui rend le film parfois ennuyeux. Un film amusant.

Esther et le roi (Raoul Walsh, 1960)

Le roi des Perses épouse une Juive.

La beauté des grands films américains, et plus spécialement ceux de Raoul Walsh, résidait dans le fait que la mise en scène de « thématiques profondes » se faisait à travers l’action, les péripéties et une trivialité qui frisait le documentaire. Dans ce péplum biblique coproduit par l’Italie à une époque où Hollywood se meurt, rien de tout cela. L’incarnation fait cruellement défaut. La statisme de la mise en scène n’a d’égal que la niaiserie de la morale et le ridicule des acteurs de deuxième zone débitant gravement leurs déclarations d’amour ou de haine. Reste la beauté de Joan Collins, ce qui n’est pas tout à fait rien.