Coincée (Tight spot, Phil Karlson, 1955)

Une détenue est sortie de prison par un procureur et son adjoint qui veulent la convaincre de la faire témoigner contre un caïd.

Bon petit film noir, qui exploite assez bien sa quasi-unité de lieu. On n’est pas étonné d’apprendre que c’est adapté d’une pièce de théâtre mais la vérité des personnages crédibilise les effets de manche.

The Phenix City story (Phil Karlson, 1955)

A Phenix en Alabama, un avocat tente de combattre la corruption en essayant de rester dans la légalité.

Qu’est-ce qui fait de ce film noir un des plus réussis sur un sujet somme toute rebattu? Certainement pas l’alibi documentaire car le pré-générique montrant des personnes affectées par l’affaire qui a inspiré le film, qui racontent à chaque fois la même chose, est la fausse bonne idée par excellence. Non, la première qualité qui frappe, c’est la dureté du ton, avec notamment des morts exceptionnelles (enfant, femme, vieillard…) pour un film hollywoodien. La qualification « sans concession », si usée par les mauvais plumitifs, s’applique particulièrement au tableau de la corruption peint dans The Phenix City story. Même la fin est une lueur d’espoir plus qu’un conventionnel happy end.

Ensuite, mettre au centre du récit les atermoiements de deux avocats (un père et son fils) évite à la dramaturgie d’être schématique, permet de montrer des personnages (tous très bien interprétés) en évolution et donne une vraie profondeur au propos politique sous-jacent (humaniste mais lucide quant à l’importance des rapports de force). Enfin, quelques moments humanisent une mise en scène qui brille globalement par sa sécheresse. Par exemple, le père qui saisit l’accusé du meurtre de son fils après sa relaxe par un jury effrayé. C’est montré sans parole, sans focus particulier de la caméra, comme parallèlement au flux narratif. Cela accentue la vérité de la représentation bien plus que l’insert documentaire du début.

La vallée de la terreur (Ignacio F. Iquino, 1955)

La fuite de quatre malfaiteurs espagnols -trois hommes et une femme- à travers les Pyrénées.

La convention de la caractérisation des personnages (le méchant méchant, le méchant gentil, le faible et la fille), cohérente sauf à la toute fin au service d’une morale catho-franquiste, n’empêche pas ce petit polar d’être bien mené car il dispose de deux qualités essentielles à son genre: la concision et le sens de l’espace. Les scènes d’action se déploient dans une topographie restituée sans joliesse mais avec clarté et intensité. Quelques trouvailles épicent la mise en scène; ainsi le moment où le douanier se retire une balle d’une plaie puis remplit son chargeur vide avec. La vallée de la terreur est donc une sympathique découverte.

Blanches colombes et vilains messieurs (Joseph L. Mankiewicz, 1955)

A Broadway, un organisateur de jeux clandestins parie avec un joueur que ce dernier ne pourra pas séduire une fille de l’Armée du Salut.

L’absence d’élan qui viendrait unifier les -bien trop longues- scènes de dialogues avec les chorégraphies baroques de Michael Kidd montre que le talent de Mankiewicz n’était pas celui d’un réalisateur de comédie musicale; de même que le talent de Marlon Brando n’était pas celui d’un chanteur. Etalant un récit très ténu sur 2h30 sans jamais conférer la moindre vérité humaine à des personnages qui restent des marionnettes de bout en bout, la narration est des plus poussives. Reste le -maigre- tour de chant de Frank Sinatra alors à son sommet.

Les évadés (Jean-Paul Le Chanois, 1955)

En 1943, deux soldats et un lieutenant français s’évadent d’Allemagne et tentent de rejoindre la Suède.

Le film a beau être inspiré des souvenirs de Michel André, qui a co-écrit et joue dans le film, sa dramaturgie poussiéreuse, ses dialogues terriblement édifiants et son interprétation maniérée (Fresnay a rarement été aussi mauvais) font que tout sonne faux et conventionnel; à l’exception de ce fugitif moment où les évadés entendent chanter des Juives dans un train: inattendue, pudique et claire évocation de la Shoah.

Maternité éternelle (Kinuyo Tanaka, 1955)

Le triste destin d’une mère de famille qui divorce, écrit des poèmes et se trouve atteinte d’un cancer du sein.

Inspiré de la courte vie d’une poétesse japonaise, Maternité éternelle est un mélodrame transfiguré par la suprême habileté visuelle de la réalisatrice qui a beaucoup progressé depuis Lettre d’amour. C’est par un sens très développé de la situation des personnages dans le plan et par rapport aux éléments du décor (fenêtres, grilles…) qu’elle concrétise, voire symbolise, les situations dramatiques, souvent déchirantes.

Un insondable pessimisme métaphysique, digne de Bergman, est rendu d’autant plus émouvant par l’utilisation d’une musique sentimentale ainsi que par l’attention de la caméra à la beauté du monde. Si le style de Kinuyo Tanaka est un poil plus esthétisant (un poil moins dru) que celui de Mizoguchi, comment résister au prolongement d’un travelling qui, après avoir suivi un couple de marcheurs dans la grande tradition nippone, les recadre de façon à composer une image avec les arbres immenses et le fleuve à l’arrière-plan? Ce prolongement du mouvement de la caméra est aussi inutile à l’action filmée qu’enchanteur pour les yeux. Il accroît aussi, indirectement, la mélancolie du récit. Pour autant, la réalisatrice manie aussi la crudité (plan sur les seins dans le bloc opératoire) et des procédés aux confins du fantastique (l’entrée de la morgue) avec beaucoup d’à-propos.

Bref, une grande découverte, tellement supérieure dans sa forme et sa puissance d’évocation à Nuages flottants par exemple (la belle présence de Masayuki Mori accentue la réminiscence).

Le printemps, l’automne et l’amour (Gilles Grangier, 1955)

A Montélimar, un riche fabricant de nougats resté vieux garçon sauve une jeune fille de la noyade et s’en éprend.

Quoique plus dialectique et moins misogyne que La femme du boulanger dont elle est un quasi-remake, cette comédie préfère, dans son déroulement, la convention démagogique à la justesse d’appréhension des désirs de ses protagonistes. Fernandel, servi par d’excellents dialogues, est le principal atout du film.

Les jeunes filles de San Frediano (Valerio Zurlini, 1955)

Dans le quartier San Frediano à Florence, un jeune garagiste multiplie les liaisons amoureuses…

Dès ce premier long-métrage -adapté de Vasco Pratolini, le romancier à l’origine de Journal intime– Valerio Zurlini impose un ton, un style: cette comédie de jeunes kékés italiens n’a rien à voir avec une comédie de jeunes kékés italiens. D’abord pour une raison négative: la fadeur du débutant Antonio Cifariello le place aux antipodes des Gassman, Sordi et autres Salvatori qui pouvaient nourrir les films équivalents d’un Dino Risi de leur truculence. Ensuite, le délicat clair-obscur et la science de la composition visuelle qui subliment les visages, la longueur des plans attentifs aux corps juvéniles et de légères inflexions mélancoliques du scénario tirent la comédie vers la chronique douce-amère, pleine d’empathie pour les victimes du dragueur mais non dénuée de tendresse pour cet être immature.

La peur au ventre (I died a thousand times, Stuart Heisler, 1955)

Note dédiée à Vincent

Pendant la préparation d’un braquage d’un centre touristique, un malfrat s’entiche d’une fille au pied-bot…

Ce remake de La grande évasion accentue la cruauté et l’émotion du superbe récit de W.R Burnett, notamment grâce à l’interprétation pathétique de Shelley Winters et à quelques raccords riches de sens. Il accentue aussi la résonance cosmique du drame avec le CinémaScope-couleurs qui magnifie les montagnes où se déroule l’action. Même si l’interprétation de Jack Palance manque un peu de fluidité et si le rythme de la narration a perdu en densité, c’est donc une belle réussite qui n’a pas grand-chose à envier au classique de Raoul Walsh si ce n’est d’être sortie avant.

Un petit carrousel de fête (Zoltan Fabri, 1955)

Sur le point de se fiancer à un jeune homme choisi par ses parents, la fille d’un paysan hongrois tombe amoureuse d’un beau garçon…

Plus que par ses jeux de montage désuets et son pittoresque parfois appuyé trop longuement, ce joli classique du cinéma hongrois touche par la fraîcheur de ses interprètes et de ses décors, la subtilité de certaines scènes où le découpage permet d’imaginer ce qui se passe dans la tête d’un personnage et l’empathie de l’auteur pour chacun des personnages qui hausse le ton du récit.

Tant que soufflera la tempête (Untamed, Henry King, 1955)

Au XIXème siècle, une riche Irlandaise fuit sa terre natale ravagée par le mildiou pour s’établir avec son mari en Afrique du Sud où elle espère secrètement retrouver un ancien amant, combattant pour l’état libre d’Orange.

Ce bref synopsis donne un aperçu de l’hétérogénéité du récit. Il ne faut malheureusement pas compter sur la mise en scène pour lui insuffler l’unité dramatique qui lui fait défaut. L’abus de transparences (Zanuck voulait utiliser un nouveau procédé « blue screen »), la relative inadéquation de Susan Hayward, que j’ai connue plus à son aise dans les modestes sagas de Stuart Heisler, à son rôle de femme passionnée et le manque d’intensité dramatique de plusieurs scènes d’action sont autant de handicaps lorsqu’il s’agit de compenser les faiblesses du script, particulièrement patentes dans une dernière partie qui use et abuse des coïncidences saugrenues au mépris de la vraisemblance la plus élémentaire. Heureusement, le film est riche d’images somptueuses de l’Afrique du Sud. Avec le Cinémascope, Henry King n’a pas perdu son sens du lyrisme visuel.

Pain, amour, ainsi soit-il (Dino Risi, 1955)

Muté dans sa ville natale de Sorrente, le maréchal des carabiniers Carotenuto rejoint son frère curé et a affaire à une jolie poissonnière refusant d’être expulsée de sa maison.

Suite de Pain, amour et jalousie où Sophia Loren remplace Gina Lollobrigida. Le décor naturel du village méditerranée est joliment restitué grâce à l’ample clarté du découpage et à l’Eastmancolor. Mais c’est bien le seul intérêt de ce film au scénario indigne de ses deux prédécesseurs.

L’or du Nil/Le trésor des pharaons/L’or des pharaons/La vallée des pharaons/Le masque de Toutankhamon (Marco de Gastyne, 1955)

Un archéologue s’en va fouiller la tombe de Sethi Ier.

Beaucoup de titres présumés pour un film jamais présenté à Paris, projeté subrepticement au festival de Venise juste après La strada et qui serait sorti dans le sud de la France trois ans après. En Cinémascope-couleur, le vieux Marco de Gastyne filme admirablement les palais, sanctuaires et pièces d’art de l’Egypte antique ainsi que les villages des rives du Nil. Le commentaire didactique est fort intéressant. Le problème est la dernière partie du film, lorsque -sous la pression des producteurs Hakim?-, il se pique d’introduire un romanesque qui sonne alors effroyablement faux. Dans ce film, Marco de Gastyne révèle aussi la future Dalida qu’il amena à Paris.

Un homme traqué (A man alone, Ray Milland, 1955)

Dans une petite ville de l’Ouest, un étranger est pourchassé par des notables l’accusant de leur crime.

Le récit comporte des facilités et des cheveux sur la soupe mais l’exploitation visuelle, dramatique et poétique du vent, de la poussière, de la soif et de la faim insuffle un ton singulier à ce petit western. Les quinze premières minutes presque complètement muettes sont à la fois audacieuses et pertinentes (avec qui parlerait un homme seul dans le désert?).

Je suis un sentimental (John Berry, 1955)

Un reporter enquête sur le meurtre de la maîtresse du fils de son patron.

Le récit est particulièrement mal fichu, qui relance artificiellement la dramaturgie en adjoignant une intrigue sans rapport avec le crime principal une fois que celui-ci est quasiment résolu. Le sympathique Eddie Constantine peine à incarner la détresse de son personnage qui noie sa veulerie dans l’alcoolisme (pour une fois, c’est sous l’angle dramatique qu’on tente de présenter le goût du héros pour le whisky). C’est dommage car la réalisation de John Berry, avec ses nombreux et vifs mouvements d’appareil, surclasse aisément celle de ses collègues français Jean Sacha et Patrice Dally.

Le souffle de la violence (Violent men, Rudolph Maté, 1955)

Un ancien capitaine nordiste devenu rancher rechigne à s’engager dans un conflit entre ses voisins fermiers et le gros baron du bétail qui veut s’accaparer toutes la vallée.

Un excellent western bizarrement mésestimé. D’abord, le scénario est d’une grande richesse sans que cette richesse ne semble procéder d’une bête accumulation. L’ensemble des noeuds dramatiques, y compris la passion adultérine qui au début semble un cheveu sur la soupe, procède de deux événements originels (une guerre entre un éleveur ambitieux et des fermiers et l’installation d’un ancien soldat pour raisons de santé) dont les conséquences sont déroulées avec une imperturbable logique sauf dans la dernière partie qui apparaît précipitée au bénéfice de l’action. Ensuite, la distribution est royale. Aucun stupéfiant contre-emploi mais Glenn Ford en cow-boy, Barbara Stanwyck en garce et Edward G.Robinson en potentat infirme sont bien sûr parfaits. Ils insufflent chair et vie à leurs personnages archétypaux mais non dénués de nuances.

Enfin, la mise en scène de Rudolph Maté, que je ne connais guère, m’a étonné par sa précision et son souffle visuel. Non seulement, les séquences de violence sont emballées avec une inventivité et une percutante sécheresse bien dignes des petits maîtres hollywoodiens de l’âge d’or (Phil Karlson, Don Siegel…) mais l’ancien chef-opérateur de Dreyer sait se servir de l’encore jeune Cinémascope pour établir une relation entre des hommes et un paysage, magnifiant les uns aussi bien que l’autre. De surcroît, ses séquences de destruction et d’incendie sont d’une ampleur qui surprend venant d’une production de ce petit studio qu’était la Columbia. Succédant à des images de centaines de chevaux et bovins au galop, le surgissement d’une diligence en feu à travers une baie vitrée a époustouflé l’amateur de westerns blasé que je suis. Ainsi, si Le souffle de la violence ne se limite pas à un affrontement manichéen entre le gentil cow-boy et le méchant propriétaire mais tient bien la promesse de son titre français -à savoir montrer l’embrasement progressif d’un homme et d’une région-, il le doit également à l’intelligence et au savoir-faire de son réalisateur.

Ça va barder (John Berry, 1955)

Un aventurier est chargé de récupérer la cargaison d’armes d’un armateur…

La netteté du découpage est digne d’un bon film noir américain (et pour cause…) mais l’intrigue est aussi incompréhensible qu’inintéressante. Plusieurs péripéties évoquent plaisamment Tintin. On se demande souvent si on est devant une parodie ou devant une vraie série noire sans que jamais ce mélange bizarre d’outrance caricaturale et de sérieux n’atteigne un quelconque équilibre.

Un héros de notre temps (Mario Monicelli, 1955)

Dans la société italienne de l’après-guerre, le parcours d’un homme lâche et pusillanime.

C’est pas mal et assez précurseur par rapport au genre de la comédie italienne (Un héros de notre temps ressemble beaucoup aux films que Sordi tournera 5 ans plus tard) mais l’absence de nuance dans la caractérisation du « héros » empêche l’empathie du spectateur à son égard, étrique les enjeux du récit et rend patente la volonté démonstrative des auteurs. C’est une comédie plus sinistre que drôle.