Tu ne tueras point/L’objecteur (Claude Autant-Lara, 1961)

Un jeune chrétien refuse de faire son service militaire , par objection de conscience.

Le parallèle entre le procès de l’objecteur français et celui d’un prêtre allemand qui a tué un résistant pour obéir aux ordres aurait pu insuffler une certaine complexité dialectique à un film à thèse qui ne brille pas par sa finesse. Las ! A chaque geste, à chaque mot, à chaque intonation, on sent l’intention précéder l’exécution. Plus encore qu’aux niveaux de l’écriture et du découpage (le cinémascope noir-et-blanc est bien exploité et certains plans, tel ceux au parloir, apportent un peu de force réaliste à une dramaturgie très artificielle), c’est au niveau de l’interprétation que le bât blesse cruellement. 

Lettres d’amour (Claude Autant-Lara, 1942)

Dans une préfecture sous le second empire, une jeune postière réceptionne les lettres d’amour de la femme du préfet…

Comme dans Le mariage de Chiffon, la quasi-insignifiance du prétexte n’empêche pas une grande richesse narrative; bien au contraire. Derrière le complexe entrelacs amoureux pointe une vision assez acide de l’opposition entre l’aristocratie et la bourgeoisie marchande en province. La beauté juvenile du couple Odette Joyeux/François Périer, les seconds rôles bien croqués, le rythme impeccable, la perfection des décors et costumes, la légèreté ironique teintée d’un soupçon de mélancolie font de Lettres d’amour un beau témoignage du classicisme français sous l’Occupation.

Le plus vieux métier du monde (Claude Autant-Lara, Mauro Bolognini, Philippe de Broca, Franco Indovina, Michael Pfleghar et Jean-Luc Godard, 1967)

A la Préhistoire, dans l’Antiquité romaine, pendant la Révolution française, à la Belle époque, de nos jours et dans le futur, l’histoire de la prostitution vue à travers six sketches.

Ça va du très nul (la Préhistoire selon Franco Indovina) jusqu’au pas mal (la Révolution française par de Broca ou la Belle-époque par Michael Pfleghar) en passant par le bellement improbable (l’anticipation de Jean-Luc Godard dans la droite lignée de Alphaville).

Vive Henri IV…vive l’amour! (Claude Autant-Lara, 1961)

Pour mieux pouvoir la séduire, Henri IV arrange la mariage de mademoiselle de Montmorency avec le prince de Condé…

Le cabotinage des uns et des autres peine à enlever une mise en scène désolante d’académisme. Dommage, le récit, habilement inspiré d’une des anecdotes les plus piquantes du règne du Vert galant, aurait pu donner lieu à une savoureuse comédie historique.

Nouveau journal d’une femme en blanc/Une femme en blanc se révolte (Claude Autant-Lara, 1966)

La jeune doctoresse Claude Sauvage est engagée par un médecin de campagne pour l’aider à s’occuper de son frère toxicomane.

Suite du Journal d’une femme en blanc, ce film parle également du contrôle des naissances. Les auteurs ont quitté Paris pour la province, qu’il peignent d’ailleurs avec plus de justesse que les milieux estudiantins du premier volet. Le didactisme est compensé par l’honnêteté foncière de Claude Autant-Lara et Jean Aurenche qui ne camouflent rien des conséquences du combat d’une héroïne en dehors des normes. Ainsi, cette héroïne accumule les maladresses voire les bêtises tandis que son employeur, même si farouchement opposé à l’avortement, l’aide à sortir du pétrin dans lequel elle s’est mise.

Les personnages ne sont donc pas prisonniers de leurs stéréotypes et, comme chez Mizoguchi, c’est un ordre social inique plus qu’un personnage de « méchant » qui est pointé du doigt. Danielle Volle, qui succède à Marie-José Nat dans le rôle-titre, fut d’ailleurs en 1966 une révélation de tout premier ordre et il est dommage qu’on l’ait si peu vu au cinéma par la suite. Elle fait mentir le propos de Serge Daney comme quoi les cinéastes de la qualité française auraient été incapables de voir et saisir les jeunes talents.

Cette honnêteté profonde, ce refus de la caricature, ce respect du réalisateur pour ce qu’il filme, permet de passer outre certaine épaisseur de l’ouvrage: conventions grossièrement intégrées (l’histoire d’amour), ficelles narratives voyantes, grands discours mis dans la bouche des protagonistes, voix-off souvent redondante et, malgré les nombreuses différences entre les deux oeuvres, impression de redite par rapport au film de l’année précédente. Ces qualités toutes classiques de mesure et d’équilibre permettent même à Autant-Lara d’atteindre à de beaux moments de cinéma. Voir la fin qui, comme le dit si bien Jacques Lourcelles dans le dernier numéro de Présence du cinéma, montre de la part du cinéaste un « sens aigu de la durée du plan eu égard à son coefficient dramatique ».

Les patates (Claude Autant-Lara, 1969)

Pendant l’Occupation, dans un village des Ardennes (alors zone «interdite»), un père de famille brave les autorités pour se procurer des patates et sauver les siens de la famine.

Ramener la guerre à des considérations stomacales permet à l’anarchisme pacifiste de Claude Autant-Lara de s’exprimer concrètement, sans sombrer dans le relativisme moral ou la caricature. Déjouant les schémas idéologiques au fur et à mesure d’un récit où seules les fonctions vitales motivent les protagonistes, il atteint à une certaine vérité élémentaire sur l’humanité plongée dans le chaos.

Le ton picaresque de la comédie noire évite le misérabilisme. On retrouve dans Les patates le même mélange de lucidité, de dérision et de pitié que dans Voyage au bout de la Nuit ou Le bon, la brute et le truand, autres œuvres sur des pauvres gens qui, plongés dans la tourmente d’un conflit gigantesque, luttent âprement et uniquement pour leur survie immédiate.

La scène d’introduction montre bien en quoi l’auteur de En cas de malheur a positivement évolué : pendant un enterrement, le héros aperçoit un lièvre. Délaissant la cérémonie, il le chasse dans le cimetière et s’en empare. Enième provocation de l’anti-clérical Autant-Lara?  Peut-être, mais la scène ne se limite pas à ce coup de griffe : le héros, quoique son pantalon soit maintenant trop grand pour lui, offre ensuite sa proie à la veuve « parce que c’est plus correct ». Le pessimisme est ici un humanisme et la disette généralisée n’empêche pas toujours la générosité d’affleurer, ici et là.

Pierre Perret n’est pas le meilleur acteur du monde mais le film, sans être un chef d’œuvre, est une réussite mémorable. Esthétiquement, Autant-Lara retrouve le classicisme imparable de Douce. Entre autres qualités de mise en scène, on note l’utilisation dramatique et poétique du brouillard ardennais qui donne une grande force au plan final (dans sa critique des Cahiers du cinéma, Michel Delahaye le comparait à celui du Héros sacrilège de Mizoguchi).

Gloria (Claude Autant-Lara, 1977)

Dans la loge d’un cabaret, une ballerine se souvient d’un amour d’enfance rencontré juste avant la Première guerre mondiale…

Commande de Marcel Dassault qui, en échange de l’adaptation de ce feuilleton paru dans Jours de France, lui avait promis la possibilité de réaliser une Chartreuse de Parme, Gloria est resté le dernier film de Claude Autant-Lara. La magouille dont il a été victime n’a pas été pour adoucir l’aigreur du futur député frontiste mais il n’empêche: Gloria est un chef d’oeuvre; un des rares chefs d’oeuvre du mélodrame français aux côtés des Parapluies de Cherbourg, classique avec lequel il entretient plusieurs similitudes (la guerre, le temps et les parents comme obstacles à l’amour, l’artifice revendiqué de la forme, l’importance de la musique).

L’éternel dégoût du cinéaste envers les institutions bourgeoises, militaires et cléricales ne s’exprime plus dans les piques mesquines et les caricatures avilissantes du temps de sa collaboration avec Bost et Aurenche mais est rendu sensible par un contrepoint: les sentiments d’une pureté absolue que se portent Gloria et Jacques. Toujours pas réconcilié avec le monde, le vieil homme a, par la grâce peut-être d’un synopsis à l’eau de rose qu’il traite avec honnêteté, substitué la mélancolie à l’acrimonie. Et c’est véritablement sublime.

Le caractère éminemment décoratif de son style (le fidèle Max Douy est toujours présent et toujours aussi bon) n’est pas, pour une fois, porte ouverte à l’académisme mais permet au contraire à Autant-Lara d’aller au coeur de son sujet; à savoir la fidélité à un souvenir d’enfance contre les attaques de la réalité. Les lents travellings latéraux sur les bibelots qui sont les reliques d’une vie passée et l’importance des photos jaunies dans la narration sont autant d’expressions visuelles de la nostalgie morbide de Gloria. C’est aussi émouvant que désuet car l’entreprise est menée avec une humilité, une simplicité et une foi dans le pouvoir du cinéma artisanal tout à fait extraordinaires en cette année 1977 (l’année de La guerre des étoiles et de L’ami américain).

Peut-être parce qu’il jouit de ressusciter le monde de sa jeunesse, le vieux cinéaste -qui souvent pécha par académisme- mesure ici chaque centimètre de mouvement de caméra, chaque valeur de cadre, la portée de chaque réplique (c’est une commande mais lui seul a signé l’adaptation) pour mieux faire croire à ce qu’il raconte. Résultat: le personnage de la mère jouée par Sophie Grimaldi n’est pas un stéréotype caricaturé mais a un comportement dont la logique est claire. Résultat: il peut oser un ralenti casse-gueule, cela fonctionne. Ne cherchant nullement à « détourner les codes du genre », il n’hésite pas à mettre en exergue les rebondissements dramatiques avec une avalanche de violons et il aurait tort de s’en priver tant la musique de Bernard Gérard est belle.

Il n’y a qu’à voir la magistrale séquence d’ouverture pour se rendre compte de ce qui a changé dans le cinéma de Claude Autant-Lara. On y voit, dans un cabaret un peu sordide, une ballerine danser La mort d’un cygne face à des bourgeois avinés. Du temps d’Occupe toi d’Amélie, le cinéaste se serait complu à grossir la vulgarité du public et l’avilissement de la danseuse dans un mouvement programmatique, caricatural, uniforme et -du coup- ennuyeux. Dans Gloria, les choses ne sont pas si simples. Parce que le metteur en scène va jusqu’au bout des possibilités dramatiques de la scène, une dialectique s’établit entre la danseuse et les spectateurs et quelque chose comme la circulation de la grâce est rendu sensible. Emporté par la délicate musique de Saint-Saëns, le spectateur de cinéma vibre à l’unisson du spectateur de cabaret selon les bons vieux procédés d’identification du cinéma classique que Claude Autant-Lara maîtrise ici à merveille. Plutôt que le sinistre Occupe toi d’Amélie, cela rappelle donc Les feux de la rampe, oeuvre d’un autre superbe isolé du cinéma de son temps.

L’affaire du courrier de Lyon (Claude Autant-Lara et Maurice Lehmann, 1937)

Sous le Directoire, la condamnation d’un innocent pour l’attaque d’une malle-poste.

Film essentiellement décoratif qui vaut surtout pour le soin apporté à la direction artistique, l’entrain des acteurs, la souplesse de la caméra, les dialogues de Prévert plus piquants qu’à l’accoutumée, la légèreté du style. Les seconds rôles s’en donnent à coeur joie voire cabotinent excessivement (Dorville). Le procès en lui-même aurait gagné à être resserré. C’est plus superficiel qu’un film de Fritz Lang mais l’inattendu (pour qui ne connaît pas le fait divers originel) changement de ton final n’en apparaît que plus frappant. Pas mal.

Ciboulette (Claude Autant-Lara, 1933)

Comme une voyante le lui avait prédit, une jeune employée des Halles devant se marier trouve son promis sous un tas de choux…

Ciboulette est l’adaptation par Jacques Prévert d’une opérette de Reynaldo Hahn se déroulant sous le second Empire. C’est aussi le premier long-métrage réalisé par Claude Autant-Lara. La virtuosité du cinéaste est déjà éblouissante. Il faut voir l’aisance avec laquelle sa caméra bouge dans les superbes décors de Meerson et Trauner pour se rendre compte de l’avance qu’il avait alors par rapport à ses contemporains. La magnifique ouverture avec un plan à la grue sur les Halles reconstituées en studio annonce celle de son chef d’oeuvre, Douce. On est ici nettement plus proche du Mariage de Chiffon voire, comme l’a justement remarqué Vecchiali dans son dictionnaire, de La ronde de Max Ophuls  que de L’auberge rouge ou Le rouge et le noir. Sans la faire oublier, les auteurs du film ont transcendé l’évidente désuétude du livret par une bonne dose d’ironie, un léger soupçon de mélancolie (le personnage de Duparquet) et, surtout, une fantaisie (parfois trop) débridée. Charmant.

La mariage de Chiffon (Claude Autant-Lara, 1942)

Au début du XXème siècle, une jeune fille de bonne famille est courtisée par un vieux colonel des dragons tandis que des sentiments nouveaux s’éveillent en elle à l’égard de son oncle inventeur.

Adapté d’un roman de Gyp, Le mariage de Chiffon est un film moderne réalisé à partir d’éléments désuets. Les personnages sont peints par petites touches et la narration est quasi-impressionniste dans sa première partie.  Claude Autant-Lara et Jean Aurenche, dont c’est la deuxième collaboration, ont une légère et saine distance par rapport à leur sujet. D’où une tonalité tendrement ironique qui n’a rien à voir avec l’aigreur dont ils feront preuve dans leurs films d’après-guerre. Pas encore académique, le style du réalisateur est ici superbement classique. La perfection des décors, des costumes et de la photo n’empêche le rythme d’être enlevé ni n’étouffe le dynamisme et l’inventivité de la mise en  scène qui abonde en détails concrets et réalistes (l’ouverture de la portière d’une voiture de la Belle-Epoque!).

Odette Joyeux quoique douze ans trop vieille pour le rôle ne manque pas de fraîcheur. Les seconds rôles hauts en couleur sont délectables. Citons  Robert Le Vigan en huissier pris de remords et Larquey en majordome bienveillant. La consistance de leur caractérisation prolonge parfois l’intrigue de ramifications nouvelles. L’histoire traite, mine de rien, des débuts de l’aviation tout autant que de la transformation d’une jeune fille en femme. Le tout aboutit à une gentille célébration des élans anticonformistes. Ce qui, outre le dynamisme de la mise en scène, distingue Le mariage de Chiffon des films d’Autant-Lara des années 50 fustigés par Truffaut est l’amabilité de l’ensemble des personnages (à l’exception certes de la mère crispée sur sa position sociale). Même le désir du colonel pour une femme qui pourrait être sa fille n’est pas montré comme sordide. Tout est léger, élégant, guilleret (et sauvé de l’inconséquence par la parfaite rigueur de l’écriture).

Le talent classique qui éclate dans cette brillante fantaisie annonce le chef d’oeuvre dramatique Douce que le cinéaste réalisera un an plus tard avec la même actrice: Odette Joyeux.

En cas de malheur (Claude Autant-Lara, 1957)

Un riche et mûr avocat marié s’amourache d’une jeune voleuse qu’il a défendu.

En cas de malheur est un drame tiré de Simenon assez nuancé et rigoureux dans son écriture pour susciter l’intérêt tout au long de sa projection mais il souffre d’un problème majeur:  la mise systématiquement impeccable de Jean Gabin (raie, cravate) y compris après une nuit d’amour fait qu’on ne croit guère à la passion censée animer son personnage.  On croit à Gabin paternaliste mais on ne croit pas à Gabin amoureux. Quelque chose cloche dans le film de ce côté-là. Est-ce dû à l’autorité de la star, notoirement pudique, refusant d’être décoiffée? Je ne pense pas. Après tout, Jacques Becker avait réussi à le montrer en pyjama quatre ans auparavant dans Touchez pas au grisbi, lui offrant par là même un de ses plus beaux rôles, un rôle chargé d’humanité.

C’est plutôt dû à un certain académisme du traitement, à l’absence d’une compréhension profonde du sujet par le metteur en scène qui encore une fois se plait à choquer le bourgeois au mépris de ses personnages (voir le plan dégueulasse sur le visage ensanglanté de Bardot). L’essentiel de ce film d’amour se déroule via des dialogues, certes impeccablement filmés, dans des appartements. Ces dialogues, signés Bost et Aurenche, tombent parfois dans le mot d’auteur, remettant en cause la vraisemblance de la situation. Brigitte Bardot est, elle, parfaite. Sa fausseté est celle de son personnage mais ne dissimule pas sa vulnérabilité.

Journal d’une femme en blanc (Claude Autant-Lara, 1965)

D’abord à travers les problèmes de ses patientes puis lorsque son aventure d’un soir avec un médecin entraîne de fâcheuses conséquences, une jeune interne du service maternité se voit confrontée à la question de l’avortement.

Le caractère scandaleux de son sujet (on est en 1965) aurait pu faire de Journal d’une femme en blanc une énième gesticulation anti-bourgeoise de Claude Autant-Lara. Il n’en est rien. Certes, le début avec la gentille interne, les malheureuses patientes et les méchants mâles laisse croire à un film à thèse schématique. Cependant, au fur et à mesure, les caractères se nuancent, le récit s’épaissit. L’auteur ne défend pas de position tranchée sur l’avortement, celui-ci est simplement le moteur dramatique qui permet de faire évoluer les personnages, de révéler leur vérité au spectateur. L’interprétation sensible de Marie-José Nat et le lyrisme de la belle musique de Michel Magne contrastent avec la froide blancheur des images d’hôpital, parviennent à transcender des ficelles narratives pas toujours très fines et achèvent de faire de Journal d’une femme en blanc un des films les plus attachants d’Autant-Lara. Très bon.

Le bon Dieu sans confession (Claude Autant-Lara, 1953)

Retour sur la vie d’un notable au moment de son enterrement.

Evidemment, la vie de ce notable n’était pas aussi reluisante que sa façade. Evidemment, ce monsieur avait une maîtresse. Evidemment, cette dame était vénale. C’est qu’on est en plein dans ce naturalisme moralisateur au ras des pâquerettes typique du cinéma de « Qualité française ». La narration inutilement compliquée accentue la pesanteur de l’œuvre. Le bon Dieu sans confession se laisse tout de même regarder grâce à de bons acteurs  qui savent rendre leurs personnages intéressants en faisant ressortir les nuances de leurs caractères. Je songe surtout à Henri Vilbert qui trouve ici ce qui est resté comme un de ses meilleurs rôles. L’ensemble est tout de même laborieux, à l’image de la façon bavarde et redondante dont est expliqué le sursaut moral du héros: un quart d’heure de discussion avec chacun de ses deux enfants. Soit une demi-heure d’ennui pour le spectateur.

Le diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947)

Pendant la première guerre mondiale, la liaison entre un lycéen et l’épouse d’un soldat au front.

Le roman de Radiguet était court, direct et brûlant de la sensibilité de son très jeune auteur. L’adaptation d’Autant-Lara est pesante, longuette et superficielle. Des ravages de l’académisme ou quand le sel d’un chef d’oeuvre littéraire est ruiné par des comédiens affectés (Gérard Philippe), un metteur en scène plus focalisé sur sa direction artistique (ha ça, les décors de Max Douy sont toujours aussi réussis) que sur les sentiments de ses héros et des auteurs qui délaient laborieusement leur propos « anti-bourgeois » au lieu d’affiner la psychologie de leurs personnages.

Reste que le rebelle officiel Claude Autant-Lara est un cinéaste un peu moins pudibond que, disons, René Clément ou Marcel Carné. Non que Le diable au corps soit un grand film d’amour mais au moins, l’attirance charnelle entre les deux amoureux y est signifiée. Le plan du baiser volé au restaurant rappellera des souvenirs à quiconque a déja été assis dans un café à côté d’une femme ne sachant pas ce qu’elle voulait. Ce n’est rien à côté de la formidable puissance d’évocation du livre mais c’est toujours ça de pris à un film méchamment suranné.

Occupe toi d’Amélie (Claude Autant-Lara, 1949)

Des spectateurs bourgeois interfèrent avec le déroulement d’un vaudeville.

Le vaudeville en question est tiré de Feydeau donc est particulièrement brillant. Les dialogues sont vifs, les bons mots légion. De même, la distribution chevronnée s’en donne à coeur joie. Les décors de Max Douy sont particulièrement jolis, la mise en scène est spectaculaire, jonglant entre la scène et le public à coups de travellings vertigineux. Bref, Occupe toi d’Amélie est un film virtuose et chiadé. Mais c’est un mauvais film. Pourquoi ? Parce que toutes ces prouesses apparaissent vite comme des gesticulations terriblement vaines.  Le cabotinage des comédiens en roue libre, les allers-retours injustifiés entre théâtre et scène, après avoir épaté le spectateur le fatiguent vite faute d’être soutenus par une vision forte.

En effet, la mise en abyme ne justifie pas longtemps la grossièreté de la mise en scène, ne proposant finalement aucune véritable réflexion sur la frontière entre théâtre et réalité (contrairement à Toâ de Sacha Guitry qui sortait la même année).  Le propos du film est particulièrement limité, les auteurs sacrifiant tout à ce cynisme facile qui est la marque de plusieurs des films français d’après guerre. Les filles sont vénales, les jeunes hommes couchent avec la fiancée de leur meilleur ami, les pères sont des maquereaux, les dignitaires bradent les décorations militaires…c’est superficiellement immoral mais profondément bête. Ce n’est même pas assez développé pour qu’on puisse qualifier ça de discours antibourgeois, c’est juste une vision du monde de scénaristes déconnectés de la complexité de la réalité, une vision du monde fondamentalement laide et ennuyeuse. Que reste t-il à sauver ? Les cheveux d’or de  Danielle Darrieux. Et c’est tout ? Et c’est tout.

Le bois des amants (Claude Autant-Lara, 1960)

Un film qui sonne faux de bout en bout. Il y a bien  quelque séquences à la mise en scène intéressante (l’arrivée du parachutiste au début notamment) mais on ne croit pas une seule seconde à cette liaison entre un résistant et l’épouse d’un officier allemand. Trop de platitudes générales débitées avec le plus grand sérieux par des acteurs sans fantaisie et sans grâce.  Autant-Lara n’aimait pas son scénario adapté d’une pièce de théâtre des années 20, il l’a fait retravailler par son assistante juste avant le tournage mais l’histoire reste cousue de fil blanc. Le bois des amants est un de ces films qui ne gagnent pas à être sortis de l’oubli dans lequel ils sont tombés.