Thomas Gordeïev  (Marc Donskoï, 1959)

En Russie tsariste, un fils de bourgeois prend conscience de l’injustice sociale.

Contre-plongées, gros plans, mouvements de caméra ostentatoires…J’ai eu l’impression que le formalisme de Marc Donskoï, qui réalisa dans les années 30-40 de grands films lumineux de simplicité (tel En gagnant mon pain déjà adapté de Gorki), s’était mis au goût du jour kalatozovo-ouroussevskien; sans pour autant donner dans le lyrisme tourbillonnant. Cette virtuosité donne lieu des plans magnifiques, notamment de rivières, mais instaure également une barrière formelle qui nuit à l’immédiateté du propos humaniste.

Cinquième colonne (Saboteur, Alfred Hitchcock, 1942)

Un ouvrier américain faussement accusé de sabotage cherche à prouver son innocence en infiltrant un réseau d’espions.

La première partie est vraiment bien: les rencontres du fugitif avec différents marginaux (aveugle, monstres de cirque) qui choisissent de l’aider envers et contre les apparences insufflent un discret parfum de transcendance chrétienne à une cavale par ailleurs menée avec un impeccable sens du rythme et une jubilatoire profusion d’inventions. La suite qui confronte le héros à un grotesque cercle d’espions mondains, même si elle comporte plusieurs plans extraordinaires, a fait ressortir ma hitchcockophobie: grandes déclarations qui sonnent faux (le ton tranche d’avec la fantaisie tintinesque de Correspondant 17: entretemps l’Amérique est entrée dans la guerre), invraisemblances en pagaille, gratuité des péripéties, découpage parfois guidé par le goût du clin d’oeil plus que par la logique (la fusillade dans le cinéma), romance qui prend de la place mais qui reste au stade de la convention…On est aux antipodes de la densité -et de la poésie- d’Espions sur la Tamise, chef d’oeuvre de Fritz Lang au sujet analogue. Mais impossible de faire la fine bouche devant le remarquable finale sur la statue de la Liberté. Cinquième colonne est un film insatisfaisant mais brillant.

Plus qu’hier, moins que demain (Laurent Achard, 1999)

Après un an d’absence, une jeune femme, porteuse d’un secret, passe un week-end dans sa famille.

Il est difficile, et vain, de résumer un récit qui fourmille de personnages, d’intrigues et où l’essentiel ne se dévoile que petit à petit, au détour de sympathiques scènes de genre (fête d’entreprise, pique-nique…). Disons que ce récit s’articule, en grande partie mais pas uniquement, autour du passé qui resurgit. Mais cet aspect traumatique, assez commun dans le cinéma d’auteur français, est contrebalancé par des trouées solaires à la Renoir où rivières et forêts sont superbement filmées. Au sein d’un ensemble naturaliste qui ne manque pas de justesse, c’est progressivement, avec un sens de la pudeur mais aussi du réalisme concret (le jeu autour de la bague) purement cinématographiques, qu’affleure la dimension mélodramatique qui culmine dans une confrontation rappelant l’amour maladif chez Jean Grémillon. A commencer par Mireille Roussel et Pascal Cervo, les acteurs sont tous très bons. Ainsi, quoiqu’il s’inscrive clairement dans une filiation cinéphilique française, ce premier long-métrage de Laurent Achard, remarquablement abouti, donne une impression de singularité grâce à la maîtrise de la mise en scène qui sous-tend un regard dénué de diabolisation comme de complaisance; inceste et racisme sont pourtant des thèmes abordés ici, qui auraient pu donner lieu à un film infiniment plus lourd.

L’oiseau de Paradis (Delmer Daves, 1951)

Visitant un ami d’université sur son île du Pacifique sud, un jeune homme tombe amoureux de la soeur de ce dernier.

Nouvelle adaptation de la pièce déjà filmée par King Vidor en 1932. Malgré que le sujet de la différence entre les cultures ait pu inspirer Delmer Daves dans ses westerns, il est ici traité avec un respect pour l’altérité qui sombre dans le relativisme (manque de recul critique par rapport à la pratique du sacrifice humain). L’histoire d’amour est peu crédible, manquant de la sensualité que Delmer Daves a pu insuffler à ses meilleurs films. Mais les images en Technicolor sont jolies, quoique plus sombres que ce à quoi on pourrait s’attendre, et l’éruption volcanique finale est spectaculaire.

Etat second (Fearless, Peter Weir, 1993)

Un survivant d’un crash aérien qui se pense invulnérable noue une relation avec la mère d’un enfant mort dans l’accident.

Sans doute le plus subtil et le plus émouvant des récits de quête spirituelle chers à Peter Weir. Original et désarçonnant mais fondamentalement cohérent et riche d’accents dostoïevskiens, il retrace un retour à l’humanité du héros via la prise de conscience de sa propre vulnérabilité et du besoin de son entourage. L’assouvissement cosmique se fait finalement grâce à l’intimité du foyer et c’est bouleversant. Avec tact et soutenu par des acteurs excellents (Jeff Bridges bien sûr mais aussi la craquante Rosie Perez), Peter Weir évoque la perte, le deuil, la compassion, l’héroïsme. L’impossibilité du deuil est notamment figurée à travers un des plus beaux ralentis de l’histoire du cinéma (un des plus discrets aussi). Cette retenue toute classique n’empêche pas le cinéaste, notamment dans les flash-backs, de cueillir le spectateur avec un lyrisme mystique qui, basé sur les cordes de Maurice Jarre, la sublime lumière d’Allen Daviau (chef opérateur de Spielberg et ça se voit) et un montage brillant, emporte le morceau malgré un côté très casse-gueule sur le papier. Etat second est le cas rare d’un titre méconnu qui est aussi le chef d’oeuvre de son auteur.