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Pour éclaircir les circonstances de l’accident ayant ôté les pieds de son père routier, un mécanicien s’engage à convoyer un chargement de pommes jusqu’aux halles de San Francisco.
Grand film noir de gauche où le discours social (dénonciation de la sauvagerie inhérente à la concurrence capitaliste) est parfaitement intégré au genre. Des scènes poignantes mais quasi-documentaires sur les rapports entre les producteurs et leurs intermédiaires étayent le récit de vengeance. La caméra de Jules Dassin zigzague dans les halles de San Francisco avec une souplesse renoirienne, mettant parfois au premier plan des figurants entrain de négocier. Les références aux origines diverses des personnages immigrés accentuent également l’ancrage de l’intrigue dans le cosmopolite prolétariat américain. Pour un maximum d’efficacité spectaculaire, ce réalisme ne dédaigne pas la stylisation. Ainsi du montage plein de suspense qui précède le terrifiant accident de camion (le désespoir qui en émane est infiniment plus fort, car plus précis, que dans Le salaire de la peur) ou des beaux contrastes typiques de la 20th Century Fox lors de la course-poursuite sur le port.
Le message politique n’oblitère jamais l’individualité des protagonistes tel qu’en témoigne la richesse de caractère du héros qui nuance considérablement le manichéisme de son opposition au potentat véreux. Richard Conte est ici formidable. La tristesse enragée imprimée par les traits de son visage donne une incroyable profondeur émotionnelle aux surgissements de violence à la fin. Le marxisme de Dassin ne l’empêche pas de savoir traduire les élans pulsionnels qui animent ses personnages via le corps de ses acteurs. Voir aussi la première scène d’amour: rarement la brutalité de l’attirance charnelle d’une femme envers un homme avait été aussi évidente dans un film hollywoodien. Ici, la vérité sensuelle de la mise en scène justifie le conventionnel retournement du scénario.
Bref, Les bas-fonds de Frisco est un film brillant et percutant, spectaculaire et violent, où seul un happy end forcé et expédié déçoit quelque peu.