Injustement sous-estimé (voyez la façon dont il est expédié par les différents critiques du Positif spécial Boetticher de novembre 69), Decision at sundown est pourtant un film excellent, un opus qui ne manque pas d’originalité au sein d’une série, celle des collaborations entre Budd Boetticher et Randolph Scott, par ailleurs génialement uniforme. Ce qui est suggéré, latent dans Sept hommes à abattre ou Ride lonesome est ici éclatant. Sans se départir de son sens de la litote, le cinéaste montre les affects du héros vengeur joué par Scott. Simplement. Sans pathos, la mélancolique minéralité cède la place à une expression profondément humaine de la douleur. Humaine car instable, imprévue. Les trémolos dans la voix de Randolph Scott au moment de l’assassinat de son ami par le shérif pourri sont remarquables pour trois raisons. D’abord, ils sont à peine perceptibles; ils sont là mais Boetticher reste Boetticher, Scott reste Scott, et il ne s’agit jamais que d’une inflexion de voix qui ne dure pas plus de trois secondes. Ensuite, ils sont d’autant plus tristes qu’ils sont complètement inattendus de la part du héros habituellement impassible. Comme si l’espace d’un instant, la mécanique implacable dérapait. C’est l’émotion qui surgit et l’émotion est par essence imprévisible. D’où, devant cette image, l’impression rare et précieuse de captation et non de simulation d’un état d’âme. Enfin, cet évènement précis renvoie à une tristesse d’ordre beaucoup plus général, comme si l’espace d’un instant le personnage de Scott laissait libre cours à son dégoût devant la pourriture du monde, dégoût accumulé durant ses années d’errance mélancolique.
Cette amertume, ce profond désaccord avec le monde, caractérise le héros tout le long du film. Cela apparaît notamment à la fin, fin exceptionnellement inhabituelle pour le genre. La belle subtilité du film, c’est que les erreurs du héros serviront au moins à une prise de conscience de la communauté. Decision at sundown est d’ailleurs le western le plus politique de Boetticher. Toute l’action y est concentrée dans une petite ville, ce qui le différencie des films « désertiques » du cycle. Il y a plus de personnages, plus de dialogues mais cela n’empêche pas la merveilleuse simplicité de la narration. La ville est représentée par une poignée d’endroits-clés et on retrouve l’unité de temps et l’unité de lieu qui caractérisaient d’autres joyaux du western de série B « politique », tel Quatre étranges cavaliers d’Allan Dwan.