Le tueur s’est évadé (The killer is loose, Budd Boetticher, 1956)

Un caissier complice d’un hold-up s’évade de prison et veut se venger du policier qui tua accidentellement son épouse lorsqu’il fut arrêté.

Malgré l’artifice de certains rebondissements sans lesquels le film se serait conclu aux deux tiers de sa durée, l’impression de concision demeure. Les séquences n’ont pas un plan en trop, ça file vite mais l’épaisseur humaine est préservée grâce à la formidable densité de la mise en scène qui occasionne de surprenantes mais cohérentes ruptures de ton. Les acteurs sont excellents et la photo de Lucien Ballard marie impeccablement la crudité documentaire à la stylisation contrastée. Sans être aussi virtuose que La chute d’un caïd, Le tueur s’est évadé est donc une pépite du film noir de série B.

Qui a tiré le premier? (A time for dying, Budd Boetticher, 1969)

Un jeune homme habile avec son pistolet enlève une jeune fille qui avait été envoyée dans un bordel et est forcé de l’épouser par le juge Roy Bean.

Pour fauché qu’il soit, ce dernier western du grand Budd Boetticher n’en demeure pas moins impressionnant grâce à une science des ruptures de ton qui culmine dans une fin littéralement extraordinaire.

 

Le déserteur de Fort Alamo (Budd Boetticher, 1953)

Un combattant d’Alamo qui a fui le fort avant le massacre final pour mettre les familles à l’abri est pris pour un déserteur.

Le manque de cohérence du récit reflète la pusillanimité des auteurs: si le personnage principal avait été un vrai lâche, sa conduite mutique aurait été plus logique et le drame aurait été plus intéressant. De plus, les personnages secondaires, tel celui de l’enfant mexicain, en rajoutent dans l’artifice conventionnel. Malgré ces gros problèmes de scénario, Le déserteur de Fort Alamo se laisse regarder grâce à Glenn Ford, à quelques belles images photographiées par Russell Metty, à la relative concision du découpage et à une ou deux cascades sympas. Mais il faut être de bonne humeur.

L’antre de la folie (Behind locked doors, Budd Boetticher, 1948)

Un détective privé se fait passer pour fou pour intégrer un asile où un caïd en fuite se serait réfugié…

Le travail sur les contrastes de l’image ne suffit pas à relever l’intérêt de cette petite série B tant le scénario est inepte, le rythme mou du genou et l’interprète du héros (Richard Carlson) fadasse.

Les conducteurs du Diable (Red Ball Express, Budd Boetticher, 1952)

La mission des conducteurs du Red Ball Express, chargés de ravitailler les chars de Patton à travers une France encore pleine d’Allemands.

Red Ball Express a d’abord les qualités propres à tous les bons petits films de guerre hollywoodiens:  sécheresse du style, noblesse simple des caractères, sobriété documentaire (les images d’archives sont particulièrement bien montées). Ensuite, si quelques aspects du récit sont traités par dessus la jambe (le trauma à l’origine de la haine entre les deux chefs), plusieurs passages obligés du genre sont au contraires intégrés avec une audace et une intelligence humaniste tout à fait singulières. Ainsi de la rupture de ton au moment où la famille française offre à manger au soldat américain. En un plan sur la petite fille affamée, la scène passe d’un comique un peu épais à l’émouvante évocation de la dureté du rationnement et donc de la générosité des Français. La conventionnelle relation nouée entre la jeune femme de la maison et le militaire s’en trouve ancrée dans une certaine vérité humaine.

Mais ce qui reste le plus étonnant ici, c’est la façon dont sont filmées les différentes communautés à l’intérieur de la U.S Army. Red Ball Express est à ma connaissance le seul film de guerre américain de son temps à donner une telle présence aux soldats noirs. Il le fait sans forfanterie militante, sans même que ce soit son sujet principal. Simplement, montrant une unité américaine au travail, il n’oublie pas de montrer les tensions raciales que pouvait y occasionner la coexistence forcée entre hommes de couleurs différentes. Le problème du racisme est ainsi présenté au détour d’une -excellente- réplique d’un soldat blanc à son compagnon aspirant-écrivain: « je ne veux pas apparaître dans ton livre, j’aurais l’impression d’être figurant dans un minstrel show « . Au cours du film, plusieurs belles séquences verront l’ensemble des soldats charger leurs camions en chantant des negro spirituals transformés en chants militaires. Il y a aussi une scène analogue avec un chant yiddish.

Red Ball Express s’avère ainsi le récit d’une fraternité conquise et finalement un des seuls films, avec ceux de Ford sur la cavalerie, qui donne corps à cette idée, belle et naïve, de l’armée creuset du melting-pot américain. C’est en cela un beau film.

L’expédition du Fort-King (Seminole, Budd Boetticher, 1952)

Un officier dont le meilleur ami est le leader des Séminoles est affecté dans une garnison menée par un commandant qui veut anéantir ces Séminoles.

L’expédition de Fort-King est un western conventionnel reposant sur des dilemmes psychologiques éculés et peu développés. Les enjeux politiques de la pacification de la Floride sont outrageusement simplifiés suivant un procédé chère à la mauvaise dramaturgie hollywoodienne: le personnage du méchant porte tout le poids de la responsabilité du mal. Ce qui rend le film assez niais. Reste le décor inhabituel des marais de Floride mais la mise en scène n’a pas la vigueur de celle de Walsh dans Distant drums.

La chute d’un caïd (The rise and fall of Legs Diamond, Budd Boetticher, 1960)

L’ascension et la chute d’un caïd au temps de la Prohibition.

La trame est donc canonique. C’est comme si elle était revisitée une dernière fois avec tout le style qui lui est dû. The rise and fall of Legs Diamond n’est-il pas en effet le dernier film notable du genre avant Le parrain? Il bénéficie quoiqu’il en soit de la maîtrise plastique d’un des plus grands formalistes hollywoodiens: Budd Boetticher. Mise en scène épurée, narration accélérée par des ellipses fulgurantes, violence sèche…on retrouve dans ce film de gangsters les qualités des westerns que le réalisateur enchaînait à la même époque. Simplement, à l’aridité des images de la Sierra Navada se substitue un superbe noir et blanc de studio digne des plus beaux films noirs. C’est toujours le grand Lucien Ballard qui s’occupe de la photo.

La représentation de la violence parfois à la limite du sadisme renvoie aux oeuvres contemporaines de Phil Karlson ou Don Siegel. En cela, The rise and fall of Legs Diamond s’inscrit pleinement dans une tendance du polar américain à petit budget des années 50 marquée par une remarquable dureté de ton. Au fur et à mesure que l’histoire avance et donc que Legs Diamond devient de plus en plus puissant, celui-ci se déshumanise et perd toute compassion. Sec et brillant, The rise and fall of Legs Diamond est un excellent film de gangsters.

A feu et à sang (The Cimarron Kid, Budd Boetticher, 1951)

Ami des frères Dalton, un jeune homme est accusé à tort d’avoir braqué un train. Il devient du coup un véritable bandit.

Un western convenu mais fort bien mené. Dommage que le scénario (ainsi que la gueule de puceau d’Audie Murphy) nous fasse passer pour un type bien un personnage qui reste quand même un criminel. La mise en scène sécrète de beaux moments qui donnent de l’épaisseur aux personnages même si évidemment le style de Boetticher n’est pas encore aussi affûté que celui de ses films avec Randolph Scott.

Decision at sundown (Budd Boetticher, 1957)

Injustement sous-estimé (voyez la façon dont il est expédié par les différents critiques du Positif spécial Boetticher de novembre 69), Decision at sundown est pourtant un film excellent, un opus qui ne manque pas d’originalité au sein d’une série, celle des collaborations entre Budd Boetticher et Randolph Scott, par ailleurs génialement uniforme. Ce qui est suggéré, latent dans Sept hommes à abattre ou Ride lonesome est ici  éclatant. Sans se départir de son sens de la litote, le cinéaste montre les affects du héros vengeur joué par Scott. Simplement. Sans pathos, la mélancolique minéralité cède la place à une expression profondément humaine de la douleur. Humaine car instable, imprévue. Les trémolos dans la voix de Randolph Scott au moment de l’assassinat de son ami par le shérif pourri sont remarquables pour trois raisons. D’abord, ils sont à peine perceptibles; ils sont là mais Boetticher reste Boetticher, Scott reste Scott, et il ne s’agit jamais que d’une inflexion de voix qui ne dure pas plus de trois secondes. Ensuite, ils sont d’autant plus tristes qu’ils sont complètement inattendus de la part du héros habituellement impassible. Comme si l’espace d’un instant, la mécanique implacable dérapait. C’est l’émotion qui surgit et l’émotion est par essence imprévisible. D’où, devant cette image, l’impression rare et précieuse de captation et non de simulation d’un état d’âme. Enfin, cet évènement précis renvoie à une tristesse d’ordre beaucoup plus général, comme si l’espace d’un instant le personnage de Scott laissait libre cours à son dégoût devant la pourriture du monde, dégoût accumulé durant ses années d’errance mélancolique.

Cette amertume, ce profond désaccord avec le monde, caractérise le héros tout le long du film. Cela apparaît notamment à la fin, fin exceptionnellement inhabituelle pour le genre. La belle subtilité du film, c’est que les erreurs du héros serviront au moins à une prise de conscience de la communauté. Decision at sundown est d’ailleurs le western le plus politique de Boetticher. Toute l’action y est concentrée dans une petite ville, ce qui le différencie des films « désertiques » du cycle. Il y a plus de personnages, plus de dialogues mais cela n’empêche pas la merveilleuse simplicité de la narration. La ville est représentée par une poignée d’endroits-clés et on retrouve l’unité de temps et l’unité de lieu qui caractérisaient d’autres joyaux du western de série B « politique », tel Quatre étranges cavaliers d’Allan Dwan.

Le traître du Texas (Horizons west, Budd Boetticher, 1952)

Après la guerre de Sécession, les trajectoires opposés de deux frères texans, l’un revenant au ranch paternel, l’autre étant déterminé à s’enrichir rapidement…Le récit et le héros sont intéressants. Le film a une dimension tragique mais est un peu trop bavard dans son déroulement. La mise en scène n’est pas encore aussi épurée que celle des films ultérieurs de Budd Boetticher.

La chevauchée de la vengeance (Ride Lonesome, Budd Boetticher, 1959)

On pourrait noircir des pages en parlant d’un film aussi riche que La chevauchée de la vengeance. Mais ce serait ternir l’éclat d’un style dont la beauté vient d’un singulier sens de l’épure, d’une absence évidente de vouloir-dire; la profusion thématique naît ici d’un récit à la rigueur exemplaire. Depuis Bazin, on a beaucoup loué la concision narrative des films de Boetticher scénarisés par Burt Kennedy. On la louera encore longtemps. Notons simplement la secrète mélancolie de Brigade, le personnage joué par le monolithe Randolph Scott. Si le héros est comparable à James Stewart dans un western d’Anthony Mann (disons L’appât), cela ne se finit pas d’une façon aussi lumineuse. Le héros ne repart pas avec la fille et on n’est pas sûr lorsque le film s’achève qu’il surmontera le traumatisme qui a motivé son geste.

Génie de la mise en scène qui allie précision, rapidité et puissance d’évocation. Citons une séquence, une seule: celle où Karen Steele apprend la mort de son mari. Et concluons de suite avec la sentence définitive du jour: aimer le cinéma c’est aimer le western (axiome 1), aimer le western c’est aimer la poignée de chefs d’oeuvre qu’a tournée Budd Boetticher avec Randolph Scott (axiome 2), aimer le cinéma c’est aimer la poignée de chefs d’oeuvre qu’a tourné Budd Boetticher avec Randolph Scott (théorème déduit des susdits axiomes).

Bullfighter and the lady (Budd Boetticher, 1951)

Un film qu’on imagine éminemment personnel pour ce fameux aficionado qu’était Budd Boetticher. L’histoire, un triangle amoureux mâtiné d’initiation à la corrida, est très convenue mais le trio d’acteurs (Robert Stack/Joy Page/Gilbert Roland) est convaincant. Boetticher évite trop de pittoresque à deux balles grâce, on le devine, au respect qu’il a de son sujet et à la sobriété de sa mise en scène mais, aussi bien en ce qui concerne le cadre qu’en ce qui concerne la narration, The bullfighter and the lady est loin de ces joyaux d’épure que constitueront ses futurs westerns. Par exemple, la longueur des séquences de corrida plombe le film dans sa version originale telle que récemment restaurée par l’UCLA (plus de deux heures). D’où un film plutôt ennuyeux en définitive.

Sept hommes à abattre (Seven men from now, Budd Boetticher, 1956)

Cette série B mythique représente ce que le courant a pu offrir de plus noble. Le film est dénué de toute prétention signifiante mais pourtant très riche dans la mesure où la narration réduite à l’essentiel permet toutes sortes de projections de la part du spectateur. Le film est dénué de toute toute prétention esthétisante mais son épure stylistique confine au sublime. Les amateurs de western n’ont pas fini de se souvenir de Sept hommes à abattre, de son héros à la mélancolie quasi-spectrale, de ses images minérales.