Cinéma Paradiso (Giuseppe Tornatore, 1988)

Dans un village sicilien, un enfant se lie d’amitié avec le projectionniste.

Une belle idée de cinéma surnage dans un océan de platitudes: celle de la scène « des baisers ». Et encore, car cette idée avait déjà été matérialisée auparavant par Patrick Brion et Francis Lai, avec mille fois plus d’élégance. Car c’est en se vautrant dans la complaisance, la mièvrerie et parfois la vulgarité (cet abus de grand angle pour filmer les visages: n’est pas Leone qui veut) que Giuseppe Tornatore supplée au néant de la dramaturgie et à la faiblesse du récit, beaucoup trop délayé (mal m’en a pris de découvrir ce film dans son « director’s cut » puisque le « director » est un nul). Un cinéphile ne peut que se prendre à rêver à ce que Luigi Comencini aurait réalisé à partir d’un tel sujet.

Drôle d’endroit pour une rencontre (François Dupeyron, 1988)

Après une dispute avec son mari en pleine nuit sur l’autoroute, une femme rencontre un homme qui répare sa voiture sur une aire.

Les dialogues faussement littéraires, l’enchaînement complètement artificiel des situations, l’écriture de mauvais théâtre, les stars pas à leur place. Tout sonne faux dans ce très mauvais film, du Blier sans la fantaisie ni la verdeur.

Frantic (Roman Polanski, 1988)

A Paris, l’épouse d’un médecin américain disparaît.

La substance humaine et émotionnelle du film ne se révèle que dans la dernière séquence. Dommage. Ce qui précède est un jeu de piste un peu vain et dont la crédibilité part en fumée à partir du moment où il est question d’espionnage. Emmanuelle Seigner, en punkette, est très belle.

Appel d’urgence (Miracle mile, Steve De Jarnatt, 1988)

A Los Angeles, un trentenaire au début d’une histoire d’amour apprend par hasard que sa ville va bientôt être frappée par des missiles nucléaires…

Le postulat est d’autant plus dur à avaler que la séquence cruciale où le héros fait part de la nouvelle à ses premiers compagnons de fuite manque de crédibilité à cause de coïncidences faciles et de réactions trop rapides des protagonistes. Cependant, les développements qui s’ensuivent révèlent l’inventivité d’une série B inclassable. Steve de Jarnatt a un sens du cadrage qui met bien en valeur son décor nocturne et urbain. L’unité de temps et la retranscription concrète et saugrenue de l’hystérie évoquent une version « film-catastrophe » de After hours mais, à la fin de la projection, c’est le romantisme qui demeure, romantisme constant plus que sous-jacent qui tempère le pessimisme des brutales scènes de panique et affirme joliment une foi solide dans le couple.

Backfire (Gilbert Cates, 1988)

La jeune épouse d’un riche playboy traumatisé par la guerre du Viet-Nam le pousse à se suicider…

Backfire est un thriller essentiellement constitué de conventionnels moments à suspense jouant sur l’immensité de la maison. Ce n’est pas gênant dans la mesure où d’une part, ces séquences angoissantes sont mises en scène avec une efficacité certaine et d’autre part, elles ne sont pas gratuites et expriment le sentiment de culpabilité de l’héroïne. En effet, le scénario n’approfondit guère sa psychologie, esquissée par la mention de ses origines sociales, et c’est finalement ces violentes manifestations de son dérangement de personnalité qui donnent sa cohérence à un récit ahurissant où s’enchaînent les retournements à 180 degrés. Un plaisir supplémentaire distillé par cette série B rondement menée est celui de revoir Karen Allen toute nue (quatre ans après Until September). Incapable de passer pour une salope pure et dure, la ravissante actrice insuffle une fragilité qui rend attachant son personnage de garce.

A gauche en sortant de l’ascenseur (Edouard Molinaro, 1988)

Le rendez-vous d’un peintre avec sa potentielle maîtresse est compromis par les scènes de ménage de ses voisins.

L’idée de Gérard Lauzier, qui a adapté sa propre pièce, est d’accumuler les situations créant des malentendus pour retarder le rencard du personnage de Pierre Richard. Affaire d’écriture autant que de mise en scène puisque c’est des interactions entre les personnages et le décor dans lequel ils évoluent que viennent la plupart des obstacles. Le burlesque vaudeville est brillamment agencé jusqu’à l’apparition du pistolet. Là, on sent l’artifice du narrateur pour relancer sa machine à bout de souffle. Les couleurs sont vives comme celle d’une bande dessinée belge et Edouard Molinaro filme le tout avec des mouvements d’appareil qui accélèrent le rythme. Emmanuelle Béart, alors jeune et mimi, passe l’intégralité du film en petite tenue. Bref, c’est sympa.

L’insoutenable légèreté de l’être (Philip Kaufman, 1988)

A Prague en 1968, un chirurgien coureur de jupons se marie à une serveuse…

Du roman épate-adolescentes de Milan Kundera, Kaufman et Carrière ont simplifié la construction narrative vainement alambiquée mais ont gardé les phrases pseudo-philosophiques; ce qui laisse à leurs dialogues un côté artificiel. Le récit aurait gagné à se focaliser sur le couple principal et à évacuer le personnage de Lena Olin dont les intrigues sentimentales apparaissent comme autant de cheveux sur la soupe (quoique l’actrice soit délicieuse). Les liens de la petite histoire avec la grande Histoire apparaissent plaqués en plus de donner lieu à des séquences spécieuses où l’image de la fiction passe au noir et blanc pour que le spectateur ne puisse plus la distinguer des images d’archives. Douteux procédé. Bref, L’insoutenable légèreté de l’être est un film bancal et superficiel que le puissant magnétisme de ses trois acteurs principaux ne suffit pas à sauver d’un vague inintérêt (c’est que ça dure pas loin de 3 heures).

Fantômes en fête (Scrooged, Richard Donner, 1988)

A Noël, un impitoyable patron de chaîne de télé qui produit une adaptation de Un chant de Noël est visité par les fantômes de ses associés…

La mise en abyme, le cabotinage de Bill Murray et la musique classieuse de Danny Elfman sont les principaux atouts de cette énième adaptation du conte moral de Charles Dickens. Anodin mais pas déplaisant.

Colors (Dennis Hopper, 1988)

Un policier près de la retraite est contraint de prendre un jeune chien fou pour l’accompagner lors de ses patrouilles dans les quartiers chauds de Los Angeles.

Les auteurs ont su insuffler une bonne dose de réalisme à une trame narrative reprise de L’arme fatale. Tourné dans les rues de Los Angeles, Colors juxtapose des séquences où l’on voit les policiers au travail, un peu comme dans le chef d’oeuvre du genre, Les flics ne dorment pas la nuit. La progression dramatique y existe mais, exception faite de la dernière partie, elle est secondaire. Le montage brutal accentue la violence des quelques fusillades. Robert Duvall et Sean Penn sont parfaits dans les deux rôles principaux. Le regard sur les gangs ne manque pas d’honnêteté. Comme dans tous les polars dignes de ce nom, l’ancrage social est présent, quoiqu’assez superficiel. Les concessions à Hollywood ont globalement été bien gérées (la fin) et finalement le constat pessimiste sur l’impuissance de la police face aux gangs ne manque pas de force.

Hôtel Terminus : Klaus Barbie, sa vie et son temps (Marcel Ophuls, 1988)

De sa jeunesse à son procès, la carrière de Klaus Barbie retracée par des images d’archives et des entretiens avec ceux qui y ont eu affaire.

C’est un documentaire fleuve de plus de quatre heures d’une ampleur extraordinaire. Que ce soit la résistance, la Shoah, la connexion entre anciens nazis et CIA ou entre drogue et dictateurs péruviens, chaque aspect historique soulevé par le parcours de Klaus Barbie est soigneusement détaillé. Le film est d’abord une fascinante plongée dans les arcanes les plus secrètes de la géopolitique de la seconde moitié du XXème siècle. Pourtant, malgré la gravité de son sujet, le film n’est ni solennel ni pontifiant. Il est passionnant. Ce n’est pas pour rien que Marcel Ophuls, le fils du grand Max, se présente avant tout comme un féru de cinéma hollywoodien classique.

C’est comme s’il interrogeait la grande histoire à hauteur d’homme. C’est comme si on conversait nous-même -en quatre langues différentes- avec ces espions de la C.I.A retraités au bord de leur piscine, avec ces grands résistants devant leur bibliothèque, avec ces anciens dictateurs sud-américains devenus assez pitoyables, avec ces prêtres de la « filière des rats », avec le jardinier indien de Barbie ou encore avec cette déportée juive revenue sur les lieux de son arrestation. Ce panel, le plus varié que l’on puisse imaginer, forme d’abord un formidable échantillon d’humanité et ce n’est pas la moindre des qualités d’Ophuls que de nous le restituer en tant que tel, sans qu’il ne paraisse instrumentalisé au service du discours de l’auteur.

Loin de se poser en détenteur de la vérité au-dessus de ses interlocuteurs (qui sont parfois des pourritures avérées), le cinéaste sait confronter les témoignages contradictoires grâce au montage. C’est aussi un intervieweur pugnace, fin et habile qui pousse ses interlocuteurs dans leurs retranchements sans se départir de sa courtoisie. En interrogeant des « petites gens » sur leurs actions peu glorieuses, il révèle ainsi des motivations quasi-inconscientes que le spectateur ne se permettra pas de juger car il a bien l’impression que le cinéaste a mis à jour une sorte de fond commun à l’humanité. A contrario, cette tendance à l’universalité redoublera le réconfort distillé par les témoignages d’héroïsme quotidien, qui sont à peu près aussi nombreux.

Ophuls présente donc les choses avec impartialité, humanisme et, ce n’est pas le moins important, humour et légèreté. Le cinéaste-enquêteur a failli payer de sa vie lors d’une agression de barbouzes en Amérique du sud mais c’est bien l’impression de légèreté et d’espoir qui domine après la vision de son film (qui se termine après tout par une happy-end). A l’image de la dédicace finale, bouleversant hommage à la grandeur d’âme la plus pure et la plus simple qui soit. Hotel Terminus est une oeuvre capitale.

Le café des Jules (Paul Vecchiali, 1988)

Un samedi soir dans un bistrot de province, les plaisanteries des habitués dégénèrent gravement lorsqu’un étranger de passage s’avère être vendeur de sous-vêtements féminins.

Ce petit film d’une heure est une des plus terribles dissections de la méchanceté jamais vues sur un écran. Le génie de Jacques Nolot (qui a écrit le film) et Paul Vecchiali est d’avoir organisé une progression implacable vers le drame à partir de faits a priori banals. Ainsi, l’universalité de l’étude comportementale se nourrit du réalisme de l’environnement et de la psychologie des personnages. Au fur et à mesures des verres ingurgités, les jeux et les codes des piliers de bars révèlent la cruauté et la perversité qui les sous-tendent. On n’avait vu critique du machisme plus percutante depuis Thé et sympathie.

Et là où Le café des Jules s’avère aussi grand que le film de Minnelli, c’est que l’acuité de cette critique ne va pas sans un strict minimum d’empathie envers les personnages qui incarnent ces valeurs attaquées. Au détour d’un plan ou d’une réplique se révèlent les fêlures intimes d’un homme. C’est par exemple le « ha le con, il aurait pu me dire bonjour alors » lâché par le meneur du groupe au moment où il apprend, par hasard, que son fils est en ville. La méchanceté ne va pas sans aigreur ni ressentiment…La finesse de l’écriture et la richesse des relations entre les personnages sont telles que rien n’apparaît arbitraire ou vulgairement démonstratif.

Cette dialectique chère à Vecchiali, cette nécessaire dialectique qui empêche une lecture univoque du film et qui est fidèle à la complexité de la vie, on la retrouve également dans le découpage du cinéaste. Ainsi, la fameuse scène du viol est un modèle de responsabilité morale et d’intelligence cinématographique. Tout le contraire de la complaisance d’ado attardé d’un Gaspard Noé. Le plan où l’agresseur se surprend dans le miroir et se dégoûte est magnifique mais aurait viré à l’abject s’il n’avait été immédiatement suivi de celui, plus long, sur le visage de la victime meurtrie. Ici, avec ses choix judicieux entre ce qu’il faut montrer et ce qu’il ne faut pas montrer, Vecchiali rappelle que la grandeur d’un cinéaste est d’abord celle d’un homme.

Il est bien servi par des acteurs gorgés de vérité humaine: Nolot lui-même, pas plus ignoble que banal, ou encore Brigitte Rouan, victime superbe et pathétique de la connerie provinciale.

Précisons enfin que Vecchiali insuffle à cette étude de comportement aussi implacable que les meilleurs films de Fritz Lang des accents lyriques inattendus. J’en veux pour preuve le sublime plan-séquence final, constat tranquillement désespéré dont le pessimisme est cependant tempéré par le geste mystérieux d’un personnage secondaire. Le tout au son des cordes magnifiques, deleruesques, de Roland Vincent. Ces envolées un brin décalées ne sont pas pour rien dans la fascination durable imprimée par Le café des Jules, peut-être le chef d’oeuvre de son auteur et assurément un des films les plus importants de ces trente dernières années.

Tucker (Francis Ford Coppola, 1988)

A la fin des années 40, un brillant inventeur essaye de concurrencer les firmes automobiles de Detroit.

Le récit unidirectionnel et sans nuance ne fait qu’asséner la lutte du génie isolé contre les trusts établis. La mise en scène ultra-calculée, ultra-consciente de ses effets, décalque et hypertrophie plusieurs signes apparents du cinéma classique hollywoodien; le directeur de la photographie allant jusqu’à imiter le Technicolor. Le parti-pris est épatant cinq minutes mais phagocyte le sujet et s’avère finalement parfaitement vain. C’est du cinéma Disneyland qui tourbillonne mais qui ne vit pas.

Frank Capra a souvent été cité comme référence de Tucker. C’est oublier qu’avant d’être des tracts pour l’idéal américain, les grands films de Capra relatent des itinéraires moraux et émotionnels. Que l’euphorie y naît non pas de couleurs pétantes et de mouvements de caméra ostentatoires mais de la mise en scène de prises de consciences donc d’un facteur humain. En tant que tels, ils sont autrement plus surprenants, autrement plus intéressants et autrement plus riches de sens que le film de Coppola, succession d’effets de style dénuée de style.

Le grand critique Jean-Claude Biette avait trouvé un terme pour les virtuosités post-modernes préférant singer les films du passé plutôt que regarder le monde: « cinéma filmé ». Tucker, je dirais que c’est du cinéma filmé.

A bout de course (Running on empty, Sidney Lumet, 1988)

Un couple de militants gauchistes qui a fait sauté une usine lors de la guerre du Viet-Nam est traqué par le F.B.I. Dix-huit ans après l’attentat, ils ont eu plusieurs enfants. La cohésion de la famille en cavale est remise en question lorsque le fils aîné veut partir à l’université.

Sidney Lumet délaisse un temps sa panoplie de cinéaste engagé pour réaliser un des films les plus justes sur la famille que le cinéma américain nous ait donnés à voir ces trente dernières années. La beauté de A bout de course vient de la sobriété d’une mise en scène entièrement focalisée sur les personnages. Elle vient des petits riens très évocateurs captés par la caméra. Elle vient de la sensibilité avec laquelle Lumet raconte un moment-clé de la vie d’un adolescent. Elle vient de l’excellence des acteurs, quel que soit leur sexe, quel que soit leur génération. Elle vient de la présence de la délicieuse et trop rare Martha Plimpton. Elle vient enfin des moments de grâce inattendus qui viennent génialement suspendre le récit. A ce titre, la séquence de l’anniversaire est peut-être la plus belle séquence d’harmonie familiale depuis La vie est belle de Capra.

Boire et déboires (Blind Date, Blake Edwards, 1988)

Lors d’une soirée organisée par son patron, un analyste financier rencontre une ravissante jeune femme qui se met à faire n’importe quoi si on la fait boire de l’alcool.

Boire et déboires est un joli film, le film d’un vétéran qui tranche avec la tournure que prenait alors Hollywood. C’est une comédie simple, élégante et centrée sur l’humain. Les yuppies de l’époque sont brocardés par Blake Edwards qui n’a rien perdu de son inspiration burlesque.

Meurtre à Hollywood (Sunset, Blake Edwards, 1988)

A la fin du cinéma muet, un producteur infâme embauche Wyatt Earp en tant que consultant pour un western avec Tom Mix. Mais une série de meurtres dans la capitale débauchée du cinéma vont conduire le faux cow-boy et le vrai cow-boy à mener une dangereuse enquête.

Le mélange entre comédie, reconstitution nostalgique et intrigue policière n’est pas très bien dosé. A force d’accorder trop d’importance à une  intrigue policière qui reste ultra-conventionnelle, Meurtre à Hollywood ne décolle jamais vraiment. L’amitié entre Tom Mix et Wyatt Earp est traitée de façon superficielle. Le regard sur le Hollywood des années folles n’a à peu près aucun intérêt, aucune singularité. Bref, malgré deux têtes d’affiche sympathiques, le vieux James Garner et le jeune Bruce Willis, Meurtre à Hollywood est un film franchement mineur voire carrément ennuyeux à force de routine.

Candy mountain (Robert Frank, 1988)


Un jeune musicien new-yorkais est chargé par une maison de disques de retrouver un mythique fabriquant de guitares exilé au fin fond du Canada. Il croisera toutes sortes de personnages sur sa route.

Réalisé par Robert Frank, grand photographe américain, Candy mountain est une essence de ciné indé US. On retrouve cette caractérisation des personnages qui refuse toute psychologie au profit parfois d’une  « poésie décalé » qui frise le pittoresque à deux francs six sous (le passage avec les Rangers père et fils). On croise une galerie d’icônes à faire pâlir d’envie un Jim Jarmush: Joe Strummer, Tom Waits, Dr John, Bulle Ogier… Toutefois, les auteurs arrivent à faire passer, avec une belle limpidité, quelque chose sur l’éternel appel de l’Ouest, sur le caractère illusoire des mythes américains (voir la légende de la musique qui se vend aux Japonais sans le moindre état d’âme). Des paysages routiers saisis dans toute leur âpreté, des seconds rôles avec une belle présence donnent une certaine authenticité  à ce voyage au coeur de l’Amérique profonde qui aurait pu n’être qu’une branchouillerie sans âme.