Etat second (Fearless, Peter Weir, 1993)

Un survivant d’un crash aérien qui se pense invulnérable noue une relation avec la mère d’un enfant mort dans l’accident.

Sans doute le plus subtil et le plus émouvant des récits de quête spirituelle chers à Peter Weir. Original et désarçonnant mais fondamentalement cohérent et riche d’accents dostoïevskiens, il retrace un retour à l’humanité du héros via la prise de conscience de sa propre vulnérabilité et du besoin de son entourage. L’assouvissement cosmique se fait finalement grâce à l’intimité du foyer et c’est bouleversant. Avec tact et soutenu par des acteurs excellents (Jeff Bridges bien sûr mais aussi la craquante Rosie Perez), Peter Weir évoque la perte, le deuil, la compassion, l’héroïsme. L’impossibilité du deuil est notamment figurée à travers un des plus beaux ralentis de l’histoire du cinéma (un des plus discrets aussi). Cette retenue toute classique n’empêche pas le cinéaste, notamment dans les flash-backs, de cueillir le spectateur avec un lyrisme mystique qui, basé sur les cordes de Maurice Jarre, la sublime lumière d’Allen Daviau (chef opérateur de Spielberg et ça se voit) et un montage brillant, emporte le morceau malgré un côté très casse-gueule sur le papier. Etat second est le cas rare d’un titre méconnu qui est aussi le chef d’oeuvre de son auteur.

L’année de tous les dangers (Peter Weir, 1982)

Un journaliste australien est envoyé en Indonésie couvrir les prodromes d’une révolution.

La première partie a le mérite de problématiser la situation de ce reporter occidental dans un pays pauvre en guerre mais ensuite, la romance entre lui et la femme domine et évacue tout à fait les enjeux politiques du drame qui n’avaient de toute façon guère été développés. Pour la bonne conscience du spectateur occidental, quelques images des bidonvilles, mal reliées au reste d’un récit de toutes façons artificiellement ficelé, saupoudrent le film et un personnage de nain sentencieux fait régulièrement part au héros de ses conseils ésotériques et inquiets. Finalement, le spectateur est conduit à être soulagé lorsque les deux stars parviennent à fuir un pays à feu et à sang, ce qui est parfaitement indécent.

Mosquito coast (Peter Weir, 1986)

Un inventeur qui déteste ce qu’est devenu l’Amérique s’en va avec sa famille habiter dans un village du Honduras.

Récit programmatique et artificiel d’un refus de la décadence occidentale qui vire à l’aliénation, typique des scénarios de Paul Schrader. A partir du moment où les méchants interviennent, ça perd toute crédibilité sans pour autant que les personnages ne dévient de leur trajectoire initialement tracée. Bref: un gros bof.

 

Les chemins de la liberté (The way back, Peter Weir, 2010)

De la Sibérie à l’Inde, l’incroyable cavale de six hommes évadés d’un goulag.

Ce qui reste d’abord en mémoire à la sortie de la projection, ce sont ces images grandioses censées représenter le désert de Gobi, les pentes de l’Himalaya et les lacs gelés de Russie (même si tournées en Inde, en Bulgarie et au Maroc) qui font des Chemins de la liberté un des films les plus dépaysants qui soient. Le dépaysement fut un des premiers pouvoirs du cinéma et c’est un pouvoir quelque peu oublié à l’heure du cinéma numérique. C’est une joie simple, méprisée des critiques se prenant au sérieux qui auront beau jeu de moquer le film « sponsorisé par National Geographic »…Et pourtant… si aujourd’hui j’aime profondément des chefs d’oeuvre aussi divers que La captive aux yeux clairs, Capitaine de Castille ou Le fleuve, c’est que chacun à sa façon a su m’immerger dans une contrée parfaitement étrangère à mon quotidien. Le temps de projection équivalait alors à un voyage par procuration. Vous me rétorquerez qu’à ce compte-là, les documentaires sur le Serengeti projetés en Imax à la Géode sont des chefs d’oeuvre absolus du cinéma. Certes j’ai beaucoup d’estime et une certaine tendresse pour ces films mais ce qui rend Les chemins de la liberté supérieur, c’est qu’il raconte une histoire selon la vision d’un auteur: Peter Weir.

Ici, le voyage par procuration n’interfère pas avec la narration: il en est l’expression puisque le film relate un extraordinaire périple. Comme le montrent les nombreux plans d’ensemble avec les personnages harmonieusement intégrés au décor, l’humain est au centre de la mise en scène de Peter Weir. L’Australien a beau chanter, grâce notamment à sa maîtrise toute classique du Cinémascope, la beauté et l’immensité de la Nature, jamais il ne ravale l’homme au rang d’un brin d’herbe (ce qui le différencie de Terrence Malick).

C’est que Les chemins de la liberté est un film humaniste au sens classique -et pour ainsi dire désuet- du terme. Il célèbre les capacités physiques, intellectuelles et morales de l’homme lui permettant de survivre dans les environnements les plus inhospitaliers qui soient. Peter Weir montre les comportements bestiaux des évadés littéralement affamés mais aussi les gestes de solidarité les plus inattendus. Le discours n’est pas niais car aucun aspect de la réalité ne semble éludé pour le soutenir.

Le scénario ne s’éloigne guère de son axe principal qui est la survie des évadés et la caractérisation psychologique de ces derniers est très ténue. Elle n’en est pas moins juste. Un plan, une scène, une idée suffisent au cinéaste pour exprimer la vérité profonde d’un personnage. Je pense à ce sublime plan où, à bout de forces, l’un des hommes prend la jeune fille tombée dans ses bras. Il n’en faut pas plus au metteur en scène pour suggérer tout l’amour qui unit ces deux protagonistes. La scène où l’évadé joué par Colin Farrell déclare son adoration pour Staline montre que le classicisme du film -vous l’aurez compris, Les chemins de la liberté est un parangon de classicisme, Peter Weir s’impose ici en héritier de David Lean-  n’a rien de convenu.

Bref, malgré une musique médiocre qui insuffle parfois aux images un côté new-age malvenu ainsi qu’une fin quelque peu expédiée,  Les chemins de la liberté est un grand film d’aventures: simple, beau et ample. Magnifiquement anachronique,  il va probablement se faire détruire par l’essentiel de la critique.