Guerre et paix (Sergueï Bondartchouk, 1967)

Entre 1805 et 1812, plusieurs familles de l’aristocratie russe sont affectées par la guerre avec Napoléon.

Certes, même si le film dure finalement plus de sept heures, adapter le pavé de Tolstoï impliquait de sabrer pas mal de personnages et d’évènements, ainsi que les réflexions les plus profondes de l’écrivain sur l’Histoire, la stratégie militaire et la philosophie. En revanche, la nature de la réécriture interroge, qui ravale l’itinéraire spirituel des deux héros au rang de propagande lénifiante comme du Malick; Boudartchouk prise lui aussi faire s’envoler la caméra sur des feuillages sur fond de voix-off pompière. Le formalisme abusif (caméra voltigeuse, cadres de traviole, surimpressions, split-screen, jeu artificiel de certains comédiens…) détache le spectateur des enjeux dramatiques qui sont, parfois, à peine intelligibles. Ce style alambiqué est l’antithèse du style de Tolstoï, objectif et réaliste. Les raisons de la défaite des coalisés à Austerlitz ne sont pas rendues sensibles alors que c’était très clair dans le roman.

Cependant, ce film le plus cher de l’histoire du cinéma soviétique (et, selon certaines estimations, de l’histoire du cinéma tout court) s’avère absolument époustouflant dans une poignée de morceaux de bravoure où la virtuosité du réalisateur, alliée à la somptueuse musique de Ovchinikov, fait merveille: bataille de Borodino et incendie de Moscou en premier lieu. Face à ces sommets de cinéma épique et violent, les séquences analogues du contemporain Docteur Jivago font bien pâle figure.

La loi du Nord/La piste du Nord (Jacques Feyder, 1939-1942)

Après avoir tué l’amant de sa femme, un grand patron new-yorkais fuit avec sa secrétaire dans le Grand nord.

L’argument indique bien l’originalité de l’oeuvre dans le contexte du cinéma français des années 30. Jacques Feyder se montre à la hauteur de son sujet, pastichant brillamment les films de gangsters hollywoodiens avant de s’embarquer dans une sorte de western nordique qui préfigure L’appât. L’appréhension dramatique du décor et du climat ne le cède guère à Anthony Mann. De plus, la photographie embellit les constrastes de la glace et de la nuit. Pierre Richard Willm, en grand patron américain, et Charles Vanel, en officier de la police montée, sont étonamment crédibles. Un sens de la mesure et de la dignité dans l’écriture empêchent le manichéisme et la caricature de s’installer. Il y a même certains moments d’une belle grandeur chevaleresque. En fait, ce qui empêche La loi du Nord de se hisser au niveau des grands films américains du genre, c’est l’abstraction de la dramaturgie: les sentiments et motivations des personnages, surtout celui de la belle Michèle Morgan, manquent de précision concrète, restent dans un flou qui fait apparaître les fondements de la dernière partie comme quelque peu invraisemblables.

La veuve joyeuse (Erich Von Stroheim, 1925)

Une chanteuse américaine tombe amoureuse du cousin de l’héritier d’une principauté d’Europe centrale…

Erich Von Stroheim s’est bien approprié l’opérette de Franz Lehar, s’en servant pour traiter un thème qui lui est cher: la nostalgie de la pureté dans un environnement débauché. Quoique bourré de détails fascinants par leur vérité grotesque ou pathétique, l’oeuvre est handicapée par la complaisance de son auteur. Complaisance par rapport à ce qu’il montre, les caricatures ne servant pas seulement à exagérer la vision d’une humanité dépravée mais aussi à appuyer la conventionnelle opposition entre le gentil et le méchant, ce qui affadit le propos. Complaisance aussi par rapport à sa propre mise en scène, étirant la durée des scènes bien au-delà du nécessaire et empilant figurants et accessoires dans une grande frénésie décorative. Le rythme m’a semblé nettement moins tenu que ceux de La symphonie nuptiale ou Folies de femmes qui sont selon moi les chefs d’oeuvre de Stroheim: face à cette opérette muette de 2h51, on comprend les coups de ciseau de la généreuse MGM sur les autres films du maître. En revanche, la fin, dont le maintien a du être imposé par le studio, apparaît inepte.

Lettres d’amour (Claude Autant-Lara, 1942)

Dans une préfecture sous le second empire, une jeune postière réceptionne les lettres d’amour de la femme du préfet…

Comme dans Le mariage de Chiffon, la quasi-insignifiance du prétexte n’empêche pas une grande richesse narrative; bien au contraire. Derrière le complexe entrelacs amoureux pointe une vision assez acide de l’opposition entre l’aristocratie et la bourgeoisie marchande en province. La beauté juvenile du couple Odette Joyeux/François Périer, les seconds rôles bien croqués, le rythme impeccable, la perfection des décors et costumes, la légèreté ironique teintée d’un soupçon de mélancolie font de Lettres d’amour un beau témoignage du classicisme français sous l’Occupation.

L’affaire de Buenos Aires (Hugo Fregonese, 1949)

A Buenos Aires, un employé de banque assume de passer six ans derrière les barreaux après avoir dérobé et caché une très grosse somme.

Film noir argentin aussi brillant que les équivalents hollywoodiens de la même époque, tel ceux de Jules Dassin. L’ancrage de la parabole morale dans une réalité économique n’empêche pas la nervosité du style.

Le château de verre (René Clément, 1950)

L’épouse d’un juge suisse est séduite par un Parisien…

Quelques scènes d’un esthétisme artificiel et glacé préfigurant L’année dernière à Marienbad et de fumeuses coquetteries de narration  (flashforward) ne sauraient insuffler un quelconque intérêt à un récit d’une perpétuelle fausseté, plein de lourdeurs d’écriture (le procès en parallèle) et desservi par des acteurs déplacés. Jean Marais en homme à femmes, il eût mieux valu en rire! Mais le sérieux est ici pesant et constant.

Bye bye Birdie (George Sidney, 1963)

Un chanteur pour adolescentes partant pour l’armée, la secrétaire d’un songwriter new-yorkais suggère à Ed Sullivan d’organiser une émission de télévision dans une petite ville de l’Ohio où la star embrasserait une lycéenne choisie au hasard.

Ça satirise tous azimuts: un sujet à la Embrasse moi, idiot, mâtiné d’éléments sur la Guerre froide qui rappellent La brune brûlante; le tout traité sous forme de comédie musicale pour ados. Ce n’est pas aussi brillamment écrit que le chef d’oeuvre de Billy Wilder, il y a quelques baisses de rythme notamment parce que les numéros musicaux sont inégaux, mais c’est quand même souvent drôle. Comme dans le chef d’oeuvre de George Sidney, Kiss me Kate, le caractère polyphonique du récit séduit.

Les inventions formelles (plans à la grue, split-screen, stylisation des couleurs…) foisonnent au service du mouvement, les acteurs ne brillant plus par leurs talents dansants comme ils pouvaient briller du temps de l’âge d’or du genre dix ans auparavant. La musique, elle, par contre est brillante: le rock&roll est pastiché avec une verve qui a bien plus qu’inspiré les futurs auteurs de Grease.

Ce pourquoi Bye bye Birdie ne figure pas parmi les chefs d’oeuvre de Sidney -outre les quelques relâchements du rythme- c’est sa complaisance dans le mauvais goût qui dénote une attitude trop purement ricanante vis-à-vis de son sujet; attitude qui l’empêche de s’élever vraiment au-delà des jouissances de la satire, particulièrement dans tout ce qui a trait aux adolescents. Il n’en reste pas moins un film virtuose et très divertissant.

 

La blonde ou la rousse (Pal Joey, George Sidney, 1957)

A San Francisco, un chanteur séducteur hésite entre une riche rousse et une jeune blonde.

Un Sinatra trop âgé pour son rôle de jeune premier entretenu par une femme mûre et une mise en scène plus esthétisante que piquante amoindrissent la force corrosive du récit, malgré des dialogues spirituels. Cependant, La bonde ou la rousse demeure plaisant pour les raisons même qui l’empêchent d’être un sommet de verdeur comique façon Billy Wilder: l’importance accordée à la (somptueuse) musique de variété, les couleurs stylisées, la décontraction du rythme.

Un seul amour (Jeanne Eagels, George Sidney, 1957)

Dans les années 10-20, la fulgurante ascension de l’actrice Jeanne Eagels et sa déchéance non moins rapide à cause de l’alcool.

Si la progression dramatique peut parfois manquer de détails concrets, c’est que George Sidney a préféré traiter son matériau sur un mode symbolique, mythique et fantastique (la séquence où Jeanne retrouve l’actrice déchue est aussi vampirique que Persona) en mettant l’accent sur le visuel, comme s’il tentait de ranimer le cinéma de l’époque qu’il représente. Les contrastes du noir et blanc ne sont pas moins somptueux que ceux des plus beaux films muets. Si elle est parfois gratuite, cette stylisation n’est jamais forcée et jamais la mise en scène ne perd son allègre fluidité. Kim Novak est une pure présence digne de Louise Brooks tandis que Jeff Chandler apporte ce qu’il faut de densité humaine pour ne pas que l’oeuvre ne s’évapore à force d’évanescence.

Tu seras un homme mon fils (The Eddy Duchin story, George Sidney, 1956)

L’histoire du pianiste Eddy Duchin, pleine de succès et de malheurs.

Si le mélodrame est le genre destiné à faire pleurer le spectateur en lui rendant sensible la tragique ironie du destin, The Eddy Duchin story en constitue la quintessence. Aucune connotation sociale ou psychologique ici; uniquement la confrontation, dans une logique purement sentimentale, de l’homme à des évènements dévastateurs sur lesquels il ne saurait avoir de prise. La somptuosité visuelle et sonore, la science du cadrage qui inscrit physiquement les enjeux dramatiques dans l’image, la souplesse presque ophulsienne des mouvements d’appareil, l’interprétation stupéfiante de Tyrone Power dont le réalisateur se fait fort de nous montrer qu’il n’a pas été doublé pour les plans où il joue du piano et le tact non pusillanime avec lequel les rebondissements lacrymaux sont présentés (la fin!) font partie des qualités qui permettent à George Sidney d’atteindre une vraie grandeur, typiquement hollywoodienne.

Showboat (George Sidney, 1951)

A la fin du XIXème siècle, les pérégrinations d’une famille de comédiens sur un bateau du Mississippi…

En dehors du personnage de Julie Laverne dont l’évolution est plus claire du fait qu’il est désormais joué par Ava Gardner et qu’on lui accorde plus d’importance, cette nouvelle version de Showboat est en tous points inférieure au film de James Whale. La poésie a disparu tandis que le Technicolor, la réécriture sirupeuse de la fin, l’interprétation et la pesanteur globale font tendre l’ensemble vers le cirque Barnum. Les chanteurs sont également moins bons (qui pourrait rivaliser avec Paul Robeson?).

Annie du Far West (Annie get your gun, George Sidney, 1950)

Battant sa vedette lors d’un concours de tir, une jeune fille rejoint le Buffalo Bill Wild West Show.

Au contraire d’autres comédies musicales de la MGM, le mauvais goût général et l’intrigue idiote, quoique basée sur la réalité, ne sont pas transfigurés par quoi que ce soit. Chorégraphiquement parlant, Annie du Far West est peu impressionnant. Betty Hutton est particulièrement grimaçante.

 

L’institutrice de village (Marc Donskoï, 1947)

De 1910 à la Seconde guerre mondiale, la vie d’une institutrice partie enseigner en Sibérie.

Les savants clair-obscurs de Ouroussevski et les quelques incursions de poésie cosmique, typiques de Donskoï, ne suffisent pas à vivifier le déroulement programmatique de ce pur produit de la propagande stalinienne.

La couronne de fer (Alessandro Blasetti, 1941)

Pendant le haut Moyen-âge, le frère d’un roi usurpe le trône et jette son fils dans un canyon plein de lions mais celui-ci survit et, une fois adulte, revient…

Le baroque du récit, où les événements les plus violents s’enchaînent à une vitesse stupéfiante, ne se reflète pas suffisamment à l’image où il aurait fallu des délires sophistiqués à la Von Sternberg. D’une façon générale, le ton de ce film ahurissant manque de fantaisie. Son extraordinaire syncrétisme rend quand même La couronne de fer unique et intéressant.

Une aventure de Salvator Rosa (Alessandro Blasetti, 1939)

Au XVIIIème siècle, le peintre Salvator Rosa se masque et défend le peuple contre les excès des nobles.

Pourquoi ce film de cape et épée italien est-il infiniment inférieur à ceux que Hollywood fournissait à la même époque? D’abord, le pataud Gino Cervi et la disgracieuse Luisa Ferida ont beaucoup moins le physique de l’emploi que Errol Flynn et Olivia de Havilland. Que le futur interprète de Peppone ait été choisi pour interpréter Salvator Rosa mais aussi Don Cesar de Bazan ou Guillaume Tell demeure à mes yeux une énigme. Ensuite, le scénario est peu mouvementé, riche de scènes de parlotte vaguement comique plutôt que de scènes d’action. De plus, les rares scènes d’action ne sont pas suffisamment dynamique et claires pour compenser l’inertie du récit. Enfin, les décors, peu opulents, font beaucoup plus faux que les plateaux de la Warner ou de la Fox.