Le combat dans l’île (Alain Cavalier, 1962)

Tandis qu’un jeune militant d’extrême-droite radicalise son engagement et part en cavale, sa femme s’éloigne de lui.

Ce premier film d’Alain Cavalier laisse une impression mitigée. L’absence de jugement sur la conduite du personnage principal déroute d’autant que la fin éminemment ambiguë donne raison à la violente morale qui est la sienne. Cela ne veut pas dire que le film soit expressément fasciste mais on peut se demander où est l’intérêt de raconter froidement et objectivement l’itinéraire d’un tel personnage. La réflexion sur la violence, la loi et le mal* qui semble avoir été ambitionnée par l’auteur est pour le moins vague. Elle n’est pas incarnée d’une façon aussi évidente et claire qu’elle peut l’être dans de bons westerns (le propos est proche de celui de L’homme qui tua Liberty Valance, sorti la même année).

Le problème est peut-être que les actions d’un personnage aussi borné, aussi unidimensionnel, que celui de Trintignant filmées avec une telle neutralité et insérés dans un contexte aussi abstrait n’ont guère de signification -dramatique ou morale. Il y a quelque chose d’absurde dans un tel récit. Heureusement, à partir du moment où le film cesse de suivre ce personnage, Le combat dans l’île devient intéressant car, enfin, un drame se noue, drame qui plus est bien servi par un metteur en scène talentueux.

*dans un entretien donné vingt ans après la réalisation du film, Cavalier a affirmé vouloir montrer qu’il faut se salir les mains pour en finir avec un fasciste

Une vie difficile (Dino Risi, 1961)

Dans les années d’après-guerre en Italie, les déboires d’un journaliste idéaliste avec son épouse…

Archétype de comédie italienne prodigieux de par l’esprit de synthèse qui a animé les auteurs. L’histoire de ce couple sert de cadre à une fable amère sur la fidélité et la compromission, le courage et la faiblesse, où l’ensemble des espoirs et désillusions de la société italienne d’après-guerre est brillamment satirisé. Cette folle ambition ne va pas sans un léger schématisme de l’écriture mais l’immense interprétation d’Alberto Sordi (le film a été écrit par son « scénariste attitré » Rodolfo Sonego) enrichit le film de mille nuances humaines tandis que la mise en scène en état de grâce accumule les morceaux de bravoure comiques et pathétiques avec un naturel et une aisance qui n’appartiennent qu’aux meilleurs des Italiens. Grand.

Le domino vert (Henri Decoin et Herbert Selpin, 1935)

Au moment de se marier, une jeune fille découvre la vérité sur son père bagnard.

Officiellement réalisé par Herbert Selpin et « supervisé » par Henri Decoin, Le domino vert est resté comme le film de la rencontre entre Danièle Darrieux et son célèbre Pygmalion. C’est un des moins bons de leur collaboration. La mise en scène est d’une rare platitude (zéro chanson, ce qui est rare pour un film avec D.D.) et le scénario ne recule devant aucune invraisemblance pour rester dans la convention.

Les chouans (Henri Calef, 1947)

Le chef des émigrés tombe amoureux d’une agent de la République…

La révolution française, ses dilemmes cornéliens, sa complexité politique, sa violence…tout ça est réduit à un bête triangle amoureux par les recettes de Spaak et compagnie. N’ayant pas lu le roman, je ne saurais dire dans quelle mesure Balzac est trahi mais ce film constitue en tout cas un spectacle affligeant d’académisme.

Avant de t’aimer (Not wanted, Elmer Clifton et Ida Lupino, 1949)

Une jeune fille fuit sa famille et se retrouve enceinte…

Pour se rendre compte que Not Wanted, d’abord seulement produit par Ida Lupino avant le décès de Elmer Clifton en cours de tournage, est bien la première oeuvre de l’auteur de Outrage, il n’y a qu’à voir comment la réalisatrice transforme une convention mal digérée par le scénario en final beau à en pleurer. L’amour et l’humanité retrouvés dans un même mouvement. Grand.

La symphonie nuptiale (Erich Von Stroheim, 1928)

A Vienne, un jeune officier de la garde impériale qui s’est arrangé pour épouser une bourgeoise s’entiche d’une fille du peuple…

Un très grand film qui montre que la cruauté de Stroheim, sa somptueuse mise à néant des oripeaux sociaux, n’est pas complaisance cynique mais va de pair avec une certaine nostalgie romantique. Les scènes d’amour au clair de lune sont très belles et je ne crois pas qu’elles soient essentiellement ironiques. Cette dialectique nourrit le récit et renforce l’amertume finale où il est évident que l’officier jouisseur est le premier désolé par sa combine.

Manille (Lino Brocka, 1975)

Un jeune paysan arrive à Manille pour retrouver sa jeune fiancée emmenée à la ville par une dame louche.

Mélodrame romanesque dans les bidonvilles philippins. C’est la foi dans de bons vieux archétypes romantiques insérés dans un terrible contexte social présenté de façon quasi-documentaire qui fait tout le sel de Manille. La violence exacerbée et la brusquerie des raccords, à la Fuller, n’ont d’égale que la sublime douceur du visage de Hilda Koronel. La brutalité de l’action* est contrebalancée par une narration volontiers digressive qui, comme le titre l’indique, fait la part belle à l’exploration des bas-fonds de Manille. Plus saisissante que jamais, la critique sociale de l’auteur est parfaitement fondue dans le moule du mélodrame. Dur, lyrique et splendide.

 

*un making-of projeté après le film a montré que les normes de sécurité sont (étaient ?) de toute évidence moins contraignantes aux Philippines qu’à Hollywood

L’usure du temps (Shoot the moon, Alan Parker, 1982)

Note dédiée à Murielle Joudet

Un bourgeois américain quitte sa femme et ses quatre enfants…

Shoot the moon pourrait n’être que la chronique d’un divorce et ce serait déjà pas mal tant ce sujet éternel est abordé ici avec justesse. Ainsi, je sais gré à Alan Parker d’éviter presque constamment les explications à base de clichés psychologico-sociologiques (une exception : la scène où les anciens amants se retrouvent au lit, peut-être parce que c’est la seule où les protagonistes du drame analysent leur comportement) et de se contenter d’enregistrer des faits en respectant ses personnages et les contradictions qui les fondent. Le réalisateur est admirablement servi par l’excellente interprétation de ses comédiens (en particulier Albert Finney). La séquence d’introduction, montrant simplement le lever des enfants, suffit à faire sentir combien peut être insupportable la vie avec quatre gamines à la maison pour un homme trompant déjà son épouse. Au sein de la chronique bourgeoise, il y a deux séquences au lyrisme malaisant, deux séquences où une soudaine explosion physique montre combien la violence d’une séparation amoureuse est irréductible à toutes les procédures légales censées l’ordonner. Elles suffisent à faire de Shoot the moon un film qui compte.

Starman (John Carpenter, 1984)

Un extraterrestre ayant pour mission d’établir le contact avec les humains prend la forme du défunt mari d’une belle campagnarde.

Le récit est assez frustrant car il n’est pas avare en raccourcis et, finalement, ne fait que survoler le potentiel dramatique de l’argument initial. Le message de la fable est beau même si exprimé parfois naïvement (l’apprentissage du vocabulaire). Quoiqu’il en soit, la lumière bleutée avec plein de halos, la musique lyrico-planante de Jack Nitzshe et, surtout, surtout, le charme infini de Karen Allen achèvent de faire de Starman le film le plus attachant de son auteur.

L’envoûtement (Split Image, Ted Kotcheff, 1982)

Un brillant étudiant américain est happé par une secte…

Une série B « engagée » qui fait penser à du Fuller d’entrée de gamme. Il y a des scènes grossières mais une certaine honnêteté permet aux auteurs d’aborder franchement les contradictions dialectiques de leur sujet. Ainsi, le dégoût de son milieu qui a poussé l’étudiant a rejoindre la secte n’est ni éludé ni artificiellement résolu.

La fille aux yeux d’or (Jean-Gabriel Albicocco, 1961)

Un cynique séducteur tombe amoureux d’une mannequin sous la coupe d’une créatrice de mode.

C’est une adaptation contemporaine du roman de Balzac. Le style d’Albicocco est celui d’un esthète baroque, ce qui assure une certaine tenue au film mais en limite la vérité dramatique à certains endroits.

Le roman d’un mousse (Léonce Perret, 1914)

Un usurier et un mari ruiné escroquent une veuve seule avec son enfant…

L’archaïsme de la première partie laisse présager une régression formelle par rapport au formidable Enfant de Paris mais à partir du moment où le gamin est enlevé, à partir du moment où Le roman d’un mousse se transforme franchement en film d’aventures, la mise en scène se fait soudain plus inventive et plus variée. C’est comme si, chez Léonce Perret, l’aération faisait naître l’inspiration. Le réalisme des poursuites sur les remparts de Saint-Malo filmées à contre-jour et des séquences sur le bateau donne du corps au feuilleton mélodramatique. Enfin, le dénouement, fondé sur un véritable montage parallèle, annonce clairement les fameux morceaux de bravoure de Griffith.