Meurtre en 45 tours (Etienne Périer, 1960)

La machination du riche époux d’une chanteuse pour casser la relation entre cette dernière et un jeune pianiste.

Un script aussi abracadabrantesque, signé Boileau-Narcejac, aurait mérité une réalisation plus enlevée ou plus baroque que celle d’Etienne Périer or la photo est très terne et des effets de manche poussifs (figuration d’un rêve de culpabilité, manipulation sonore des plus basiques…) constituent l’essentiel de la dimension cinématographique du projet. Si Danielle Darrieux s’en sort pas mal, Michel Auclair est aussi nul que d’habitude.

Un meurtre est un meurtre (Etienne Périer, 1972)

Un bourgeois dont l’épouse, qu’il trompait, est morte dans un accident louche se retrouve la cible d’un maître-chanteur.

Le thème du meurtre commis par un maître-chanteur est ici traité de façon beaucoup moins convaincante que dans La main à couper. La faute aux invraisemblances d’un scénario cousu de fil blanc, à la sous-intrigue hautement dispensable de la soeur frappadingue et à des comédiens qui, pour être célèbres, n’en manquent pas moins de crédibilité et d’intensité: Jean-Claude Brialy, Robert Hossein et Michel Serrault ne semblent pas à leur place.

La main à couper (Etienne Périer, 1974)

Rejoignant son jeune amant, une mère de famille bourgeoise le découvre assassiné.

L’univers, les situations, les personnages et la présence de Michel Bouquet évoquent le cinéma de Claude Chabrol mais le traitement est plus focalisé sur la résolution de l’intrigue que sur la critique sociale. En résulte un polar plaisant, où le trio exceptionnel Bouquet/Serrault/Blier fait de l’ombre à Léa Massari qui incarne pourtant le protagoniste principal.

Destination Tokyo (Delmer Daves, 1943)

La veille de Noël, un sous-marin américain part pour une mission secrète à Tokyo.

Dès cette première réalisation, Delmer Daves impose un ton: le film de propagande militaire est traité sous l’angle intimiste. L’accent est mis sur la nostalgie du foyer et la camaraderie, le personnage du capitaine joué par Cary Grant est un type bienveillant. Ce film qui inventa le sous-genre de film de sous-marin s’avère encore aujourd’hui, malgré une longueur un brin excessive, un de ses représentants les plus réussis: la sensibilité humaniste y va de pair avec la clarté documentaire et l’ampleur des scènes d’action.

France société anonyme (Alain Corneau, 1974)

Cédant à un lobby américain, l’état français légalise la drogue; ce à quoi s’oppose un gros trafiquant.

Ce premier film d’Alain Corneau fut un échec fort compréhensible tant il est raté. Les gags de la comédie noire tombent à plat et le thriller d’anticipation n’a aucune intensité. On dirait un pastiche du Godard littéral et grotesque de Week-end.

La forêt d’émeraude (John Boorman, 1985)

Alors qu’il supervise la construction d’un barrage en Amazonie, un ingénieur voit son fils enlevé par des Indiens. Dix ans après, il continue les recherches.

Douze ans après Délivrance, le traitement du thème cher à John Boorman du conflit entre l’homme et la nature a évolué dans un sens manichéen et obscurantiste: la tribu amazonienne, restée au stade préhistorique, est vue comme porteuse d’une harmonie perdue face à l’homme blanc qui détruit la forêt. Cette vision d’une confondante naïveté, impression renforcée par des surimpressions et des figurations d’expériences chamaniques forcément ridicules, altère la dimension tragique du récit: le drame psychologique du jeune homme écartelé entre deux cultures est en fait éludé et celui de son père n’est guère rendu sensible (la faute à un interprète, Powers Boothe, à l’expressivité limitée?). Que l’on est loin de la profondeur d’évocation de John Ford dans La prisonnière du désert ou Les deux cavaliers, westerns dont la trame était similaire à celle de La forêt d’émeraude.

Mais, lorsqu’on constate également les défauts d’une construction dramatique qui gère platement le parallélisme entre les actions et qui contient des péripéties artificielles (la tribu méchante) qui éloignent le récit de son sujet essentiel, on se dit que John Boorman s’intéresse ici moins à ce qu’il raconte qu’à ce qu’il montre: on le sent fasciné par son décor amazonien et par les divers rituels qui donnent lieu à de longues scènes quasi-documentaires contribuant également à diluer la force du récit. Cette fascination est transmise au spectateur par la mobilité de la caméra qui l’immerge dans la forêt, par la splendeur de la lumière captée par Philippe Rousselot, par des images de la tribu dont la beauté à la fois naturelle et composée rappelle évidemment le Tabou de Flaherty et Murnau.

Hitler, connais pas (Bertrand Blier, 1963)

Une dizaine de jeunes Français, d’horizons variés, parlent de leurs vies et de leurs visions du monde.

Pour son premier film, le jeune Bertrand Blier détourne le programme du cinéma-vérité alors en vogue. Il met en avant les artifices que ses collègues, tel Chris Marker et Pierre Lhomme, cherchaient à masquer. Il convie ses interlocuteurs, choisis sur audition, dans un studio, les filme dans un somptueux noir et blanc et use sans vergogne de l’effet Koulechov. Le mensonge introduit par ce dernier n’est que véniel dans la mesure où le carton d’introduction précise bien que les personnages ne se sont jamais croisés. De plus, la langue dans laquelle s’expriment ses personnages, quelle que soit leur origine sociale, est très soignée et plaisante à entendre. C’est lié aussi bien à l’époque, où la décadence linguistique n’était pas aussi entamée qu’elle l’est aujourd’hui, qu’au fait que Blier ait fait répéter ses interlocuteurs avant de les filmer.

Ce dispositif sophistiqué engendre de véritables types de cinéma. La dimension sociologique de l’échantillon de départ s’en trouve approfondie, nuancée et complexifiée. Le montage rapproche un prolo d’un fils à papa qui ont en commun d’avoir été livrés à eux-mêmes par leurs parents. Le cynisme vantard d’une jeune fille parlant de ses amants préfigure mai 68 tandis qu’à l’autre bout du spectre, les confidences d’une fille-mère sont d’autant plus poignantes qu’elles sont accompagnées par une belle -mais discrète- musique de Delerue.

Il en résulte un instantané de la jeunesse en 1963 aussi vain et artificiel que Chronique d’un été ou Joli mai mais infiniment plus intéressant et évocateur.

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle (Arthur Harari, 2021) 

Refusant de croire à la reddition, un lieutenant japonais resta trente ans à combattre sur une île philippine, avec sa section de guérilla.

Bien sûr, l’ambition d’un « jeune » cinéaste français qui part tourner dans la nature cambodgienne avec des acteurs japonais force le respect. De plus, ce cinéaste a un admirable sens du découpage, restituant la beauté des paysages divers sans esthétisme et la topographie des quelques scènes d’action avec une rare clarté. Mais après? Que raconte Onoda? Quel est le point de vue de l’auteur sur son personnage extraordinaire? Difficile à dire. Malgré qu’il dure 2h47, le film ne développe guère son formidable postulat; il le ressasse. L’absence de concision se fait ressentir d’autant plus cruellement. Voir par exemple la scène de la première rencontre avec le touriste dont la longueur finit par diluer le sel. Harari a la sens de l’espace (ô combien) mais, ici, le sens du rythme, tant interne à chaque séquence que global, lui fait défaut (Diamant noir était mieux géré de ce point de vue). La relative fadeur de l’acteur principal et le quasi-escamotage des conséquences violentes de son fanatisme (le véritable Onoda tua une centaine de Philippins après la fin de la guerre) participent également à ce sentiment de neutralisation académique d’un sujet extrêmement fort. Ceci étant dit, s’il ne faut pas confondre Onoda-1000 nuits dans la jungle avec Fièvre sur Anatahan, ses qualités déjà mentionnées en font un film non seulement estimable mais aussi, ponctuellement, frappant. La dernière scène est franchement, même si presque forcément, émouvante.

Raskolnikov (Robert Wiene, 1923)

Un étudiant tue sa logeuse.

Adaptation de Crime et châtiment à la mode expressionniste. Les décors déformés, typiques de l’auteur du Cabinet du docteur Caligari, insufflent au film une allure cauchemardesque qui s’accorde assez à l’univers de Dostoïevski. Même si certains plans versent dans l’esthétisme, l’ensemble demeure visuellement impressionnant et pertinent dans son caractère étouffant mais mouvementé. Ce qui manque, par rapport au roman, c’est la grâce, notamment celle apportée par le personnage de Sonia. Les acteurs, des caricatures du surjeu expressionniste bien trop âgées pour leurs rôles, manquent trop de naturel pour l’atteindre et les surimpressions et autres effets de manche du réalisateur ne sauraient compenser ce manque.