L’impure (Paul Vecchiali, 1991)

Dans les années 30, la maîtresse d’un riche homme d’affaire est diagnostiquée lépreuse et décide de tout quitter pour un hôpital aux antipodes.

Télésuite en deux parties, d’après Guy des Cars. La première partie est très belle, montrant l’évolution heurtée d’une héroïne souvent antipathique, avec un habile mélange de mélodrame, d’exotisme et de mystère. On songe à Vaudou, à Frontière chinoise, à Amok…En revanche, la seconde partie figure l’aboutissement de ce qui s’est avéré un chemin de croix de la façon la plus univoque et redondante qui soit, quoique parfois sublime (le plan devant la statue dans le jardin).

Le grand paysage d’Alexis Droeven (Jean-Jacques Andrien, 1981)

Dans les Fourons, un homme enterre son père, figure des syndicats agricoles locaux.

Je ne suis pas sûr qu’un cinéaste aussi attaché à l’identité wallone que Jean-Jacques Andrien apprécierait d’être rattaché à la peinture flamande et pourtant, ce qui frappe d’abord ici, c’est une lumière et des cadres dignes de Vermeer. Est-ce dû aux brumes crépuculaires du pays filmé? Cette qualité plastique n’est pas esthétisme mais a à voir avec l’inscription des personnages dans un pays, à travers notamment des plans larges de western. Quelques mesures de Monteverdi et une narration épistolaire qui rappelle Les deux Anglaises et le continent accentuent le lyrisme d’un film qui reflète par ailleurs les conflits politiques qui agitaient la région à la fin des années 70 (Flandre vs Wallonie, agriculteurs vs CEE..). Il est dommage que, finalement, le récit échoue à développer et unifier les multiples thèmes qu’il ambitionne de brasser pour réduire sa dramaturgie à un dilemme conventionnellement posé: « le fils va t-il reprendre la ferme de son père? ». Bref, quoiqu’inabouti dans son écriture, Le grand paysage d’Alexis Droeven est une jolie découverte.

Mystery train (Jim Jarmush, 1989)

A Memphis, plusieurs histoires vaguement liées à Elvis Presley.

Les « histoires » sont particulièrement sous-développées et sont agencées dans un concept fumeux qui fait office de cache-misère de l’écriture: elles se passent simultanément mais sont montées successivement. Avec ce film d’une terrible vacuité dont la substance se réduit à des clins d’oeil pour initiés (apparitions de Joe Strummer, Tom Waits, Screamin’ Jay Hawkins…), Jim Jarmush a accompli l’exploit de réaliser un film autour d’Elvis Presley qui soit chiant. Chapeau l’artiste !

Avril, avril (Detlef Sierck, 1935)

Un fabricant de pâtes et son épouse, imbus de leur réussite, sont victimes d’un poisson d’avril: un ami se fait passer pour un prince souhaitant visiter l’usine.

Ce premier long-métrage du futur Douglas Sirk est une comédie plus enlevée que d’autres comédies allemandes des années 30 (comme celles de Hanns Schwarz), grâce notamment à une caméra relativement dynamique. Pas si mal, malgré des acteurs qui n’ont pas la prestance de leurs homologues américains.

Eve paie sa dette (The lady pays off, Douglas Sirk, 1951)

Une professeure reconnue mais malheureuse va jouer au casino et perd. Pour rembourser sa dette, elle accepte de donner des cours particuliers à la fille du gérant.

Sympathique comédie romantique même si la pulpeuse Linda Darnell n’est pas très crédible dans un rôle de vieille fille. Vite vu, vite oublié.

L’homme aux lunettes d’écaille (Sleep, my love, Douglas Sirk, 1948)

Via l’hypnose, une femme riche est poussée au suicide par son mari.

D’un récit abracadabrantesque, Douglas Sirk tire un film qui fait mieux que tenir la route grâce à ses qualités de mise en scène: précision, ampleur, réalisme, fluidité. En effet, le décor, qui ressemble beaucoup à celui de Tout ce que le ciel permet, est filmé d’une telle façon que l’oppression de la femme au foyer est aussi sensible que dans les grands « women dramas » ultérieurs. Quoique le scénario n’ait aucune ambition sociologique (on ne sait même pas la profession des héros), la continuité thématique entre ce film noir façon Rebecca et les futurs mélodrames sur la famille américaine est évidente grâce au style du cinéaste.

Douglas Sirk a un sens inné de la dramatisation du plan qui passe beaucoup par la composition dans la profondeur du champ et ne paraît jamais forcée (alors que ce genre de film est habituellement la porte ouverte aux dérives expressionistes les plus frelatées). Le jeu des acteurs, tout en sobriété, participe aussi à la suspension d’incrédulité. Enfin, chaque plan est beau, sans qu’on puisse jamais taxer le film d’esthétisme car cette beauté plastique va de pair avec un dynamisme permanent: les nombreux mouvements descendants de la caméra, notamment, concourent à immerger le spectateur en même temps qu’ils permettent d’économiser le nombre de plans.

Les jurés de l’ombre (Paul Vecchiali, 1989)

En se vengeant des meurtriers de son fils, un journaliste met à jour une vaste conspiration.

Télésuite policière en sept parties réalisée par un parangon du cinéma indépendant français, Les jurés de l’ombre interroge sur « la part de l’auteur » dans la commande télévisuelle. D’abord, il faut préciser que, à en croire ses mémoires, Paul Vecchiali souhaitait adapter le roman de Patrick Hutin depuis deux ans lorsqu’un producteur travaillant avec Antenne 2 le lui a, providentiellement, proposé. Quelques frictions avec l’écrivain n’empêchèrent pas le réalisateur de Femmes femmes d’être content de son travail et fier de son oeuvre. Il voulait alors sortir de son image de « cinéaste intimiste ».

Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’action, aussi « décomplexée » que dans un blockbuster hollywoodien (mais dont la mise en scène a malheureusement plus à voir avec Hollywood night qu’avec John McTiernan). Cascades, explosions, fusillades et bastons se succèdent généreusement, voire gratuitement. La surenchère de violence ne va pas sans complaisance; ce qui nuit à l’intensité tragique (déjà limitée par les limites de l’acteur principal, qui n’est pas Alain Delon) et étonne de la part d’un cinéaste si prompt à condamner ses collègues pour leur fautes morales. Exemple: lors de l’exécution du type dans son lit, comment justifier le fait que la victime avait un pistolet caché sous son oreiller (comme dans un mauvais western spaghetti) si ce n’est par facilité pour rendre le vengeur sympathique aux yeux du spectateur?

De plus, force est de constater que cette action manque parfois de clarté dans sa restitution visuelle. Admirateur de Budd Boetticher et Michael Curtiz, Paul Vecchiali n’a pas leur science topographique. Les scènes d’action, nombreuses et dilapidatrices de douilles, sont inégales. Au mieux, le côté rentre-dedans de certains plans et le heurt des raccords peuvent évoquer le Samuel Fuller des derniers (télé)films, contemporains des Jurés de l’ombre et également produits par la télévision française. Pas le meilleur de son oeuvre, donc. La musique, synthétique et répétée en boucle, ne contribue pas à réhausser le niveau esthétique.

La clarté manque également à une narration trop souvent obscurcie à dessein. Devant ce feuilleton qui met aux prises un gentil avec des conspirateurs criminels à travers divers affrontements et courses-poursuites dans Paris, on songe aux Vampires de Feuillade: même surenchère, ludique et assomante, de rebondissements et de scènes d’actions. Cette surenchère engendre la confusion et éloigne le film de ce que j’ai identifié comme ses deux sujets profonds: d’abord, la douleur d’un homme qui venge la perte de son fils: cette douleur est surtout évoquée par d’intermittents flash-backs qui sont occasionnellement touchants; ensuite, la trouble analogie entre la croisade du héros et celle de ses ennemis, idée éminemment dialectique qui passionna donc certainement Vecchiali. Malheureusement, elle se retrouve comme diluée dans un fatras.

Dynamique et ancré dans le Paris de son époque, ce fatras est certes divertissant et l’expression de ma déception devant une oeuvre que je rêvais de voir depuis des années ne doit pas vous laisser croire à un navet: combien de télésuites françaises des années 80 se laissent aujourd’hui regarder avec intérêt? Je ne sais car je n’en regarde jamais mais je doute qu’il y en ait beaucoup.

Le sous-marin mystérieux (Douglas Sirk, 1950)

Après la guerre, la veuve d’un officier allemand émigrée en Amérique doit se disculper d’accusations d’espionnage car elle a été enlevée par d’anciens nazis à bord d’un sous-marin.

Quoiqu’on puisse faire des rapprochements entre l’histoire de cette femme et la biographie du réalisateur, ce premier film de Douglas Sirk tourné à Universal est une bande d’espionnage des plus conventionnelles. La double loyauté de la femme -à la mémoire de son mari et à son pays- aurait pu donner lieu à un dilemme tragique mais celui-ci n’est même pas effleuré. Le spectateur n’a jamais aucun doute sur l’innocence fondamentale de l’héroïne. Nonobstant, le traitement enlevé et fantaisiste, aux frontières de la bande dessinée, est préférable à la pesanteur des Maudits. Exemple de la foncière supériorité d’Hollywood.

La séductrice aux cheveux rouges (Take me to town, Douglas Sirk, 1953)

En cavale, une chanteuse de saloon se réfugie dans une petite ville où elle s’occupe des enfants du prêcheur.

Un John Ford aurait donné plus d’épaisseur humaine et dramatique à ce qui reste ici du domaine du western d’opérette, à part lors de quelques scènes intimistes qui sonnent juste, notamment grâce à la science de l’éclairage. Le tout demeure sympathique.