Jaguar (Lino Brocka, 1979)

Un jeune homme des bidonvilles est engagé comme garde du corps par un fils à papa qui affecte de l’amitié pour lui.

Il y a la fatalité sociale mais il y aussi les corps qui se révoltent, montrés comme une explosion de cocotte-minute. Jaguar est un drame percutant, quoique trop long (j’eusse aimé voir la version internationale montée par Pierre Rissient), qui fait songer à du Fuller marxiste.

French postcards (Willard Huyck, 1979)

De jeunes Américains passent une année d’études à Paris.

Une relative fraîcheur, le plaisir amusant de voir de sympathiques seconds rôles français (Christophe Bourseiller, Marie-Anne Chazel, Anémone, Jean Rochefort…) parler Anglais et quelques bonheurs de mise en scène qui tournent tous autour de Marie-France Pisier rendent agréable le visionnage de cette très conventionnelle bluette.

Femme entre chien et loup (André Delvaux, 1979)

De son mariage en 1939 jusqu’à 1954, l’itinéraire d’une femme mariée à un nationaliste flamand engagé aux côtés des Allemands sur le front russe et qui eut une liaison avec un résistant planqué chez elle.

« Itinéraire » est un bien grand mot dans la mesure où le personnage évolue peu et demeure politiquement et psychologiquement pas très consistant. Fidèles à leur titre, les auteurs s’intéressent à une femme soumise à des forces antagonistes qui a peu de prises sur son destin. L’évocation du contexte historique se borne à quelques allusions et l’essentiel du film se déroule dans le foyer. Contrairement à ce que disait Michel Mourlet dans sa critique, le personnage du collabo n’est guère approfondi, restant dans son stéréotype de réprouvé aigri. D’irritants fondus au noir qui interviennent, dans la grande tradition d’une soi-disant modernité cinématographique, juste avant l’acmé des séquences, altèrent la fluidité du récit en même temps qu’ils neutralisent la dramaturgie.

En résulte un film trop mou compte tenu de son passionnant sujet (la présence de Rutger Hauer et l’ancrage flamand évoquent évidemment Paul Verhoeven) mais digne, notamment grâce à de beaux cadres larges, à la justesse parfois percutante des scènes prises isolément et à une Marie-Christine Barrault parfaite dans son rôle « koulechovien » (le champ sur une horreur de la guerre/contrechamp sur son visage -expressif mais pas trop- revient souvent dans le film).

CattIe Annie and little britches (Lamont Johnson, 1979)

Deux orphelines rejoignent une bande de hors-la-loi.

Western tardif intéressant dans sa confrontation entre deux jeunes filles et un vieil homme (plaisir de revoir Burt Lancaster dans le rôle de Bill Doolin) mais trop incohérent dans son mélange des tons et désinvolte dans sa mise en scène pour convaincre réellement: rythme inégal, manque de fluidité avec des séquences saugrenues (le base-ball) mal intégrées qui tirent le film vers la parodie, superficialité du récit, musique pas toujours accordée aux images. Last but not least: les fans de Diane Lane, particulièrement mal coiffée et en retrait par rapport à Amanda Plummer, seront déçus.

Un si joli village (Etienne Périer, 1979)

Tentant de confondre le patron d’une tannerie soupçonné du meurtre de son épouse, un juge d’instruction se heurte à la sourde opposition des villageois que la tannerie fait vivre.

Sur un schéma de « fiction de gauche » typique des années 70, Etienne Périer réussit son film grâce à la vérité de ses portraits et à son sens de la justice dramatique: les raisons de chacun sont exposées avec une objectivité premingerienne et le drame se nourrit d’un dilemme tragique plutôt que d’une charge antipatron même si le film est très précis dans sa description des rapports quasi-féodaux entre le patron et les autres villageois; ce notamment grâce à une belle galerie de seconds rôles. Un si joli village évoque un film de Chabrol où le cynisme narquois serait remplacé par une tendresse de moraliste. En dehors de certaines libertés avec la vraisemblance des comportements prises par les scénaristes pour boucler l’intrigue, c’est de la belle ouvrage, soutenue, comme il se doit pour ce genre de film, par un admirable face-à-face d’acteurs: le sympathique et inquiétant Victor Lanoux et, dans un contre-emploi étonnant, Jean Carmet qui insuffle une discrète mélancolie à son personnage de juge coriace possiblement inspiré de Columbo.

Flic ou voyou (Georges Lautner, 1979)

A Nice, un flic se sert d’une guerre des gangs pour appréhender le commanditaire de l’assassinat d’un ripou.

Quand on voit un film comme ça, un film qui repose essentiellement sur l’humiliation de méchants réduits à des silhouettes par Bébel (caricature de Jean-Paul Belmondo) dans des séquences aussi minables que grotesques, on en viendrait presque à tomber d’accord avec Jacques Lourcelles qui accuse Sergio Leone d’avoir abaissé le niveau du public. Mais, outre l’abîme en termes de qualité formelle, la différence est que les séquences d’humiliation chez Leone, notamment dans Le bon, la brute et le truand, sont insérées dans une dialectique infiniment plus large que l’outrancière mise en valeur de la star au détriment de tous les autres personnages. Les caricatures puériles (cf la scène d’amour qu’on croirait tout droit sortie des séquences parodiques du Magnifique) et la dérision audiardesque désamorcent systématiquement les enjeux dramatiques d’un récit quand même basé sur la corruption et la vengeance tout en explicitant bêtement le propos politique sous-jacent à cette histoire de lutte du héros solitaire contre les « pourris », transformant le polar censément divertissant en tract gentiment facho. C’est ainsi qu’au-delà de la médiocrité de la facture (Flic ou voyou est ennuyeux car mal raconté, mal joué, mal découpé, mal monté, mal fichu ainsi qu’en témoigne le ridicule de ses scènes d’action), il y a dans ce sous-produit une bassesse singulière, bassesse dont est dépourvu son modèle avoué, L’inspecteur Harry où l’amertume du ton est préférée à la démagogie ricanante.

Du rouge pour un truand (Lady in red, Lewis Teague, 1979)

Pendant la Grande Dépression, une jeune fille chassée par son père fermier traverse diverses situations avant de rencontrer Dillinger.

Cette production Roger Corman, qui imagine une histoire autour de la jeune fille ayant servi au FBI pour identifier Dillinger à la sortie du cinéma où il fut abattu, dispose de deux atouts maîtres. Le premier est le scénario du débutant John Sayles qui retrouve la densité behavioriste des films américains « sociaux » du début des années 30. La crudité un brin complaisante, en matière de représentation sanglante et sexuelle, vient expliciter ce qui ne fut jamais que suggéré dans les films dits « pre-code ». Le second est la splendide Pamela Sue Martin.

 

Tueur de flics (The onion field, Harold Becker, 1979)

En mars 1963, deux malfrats enlèvent deux policiers qui voulaient contrôler leur voiture…

Chronique d’un fait divers et de ses répercussions où, encore une fois, après Les flics ne dorment pas la nuit et Bande de flics, le réalisme empathique de Joseph Wambaugh fait merveille. Tous les interprètes excellent. Partagé entre criminels procéduriers et victimes traumatisées, le récit tarde à trouver son unité mais c’est pour finalement accéder à une sérénité surprenante, quoique non dénuée de mélancolie. La séquence du déjeuner près du lac est un des plus purs instants de bonheur, de réconciliation avec le monde, montrés par le cinéma.

La bande des quatre (Breaking away, Peter Yates, 1979)

Au sortir de l’adolescence, quatre amis s’opposent aux étudiants bourgeois du campus de leur ville…

Le manque d’unité dramatique, des personnages parfois caricaturaux, l’abus de poncifs tel que la musique d’opéra sur les séquences de course à vélo, la facilité du dénouement qui escamote la lutte des classes présentée auparavant et certains raccords inopportuns dénotent l’absence d’un véritable auteur aux commandes de ce film qui se laisse quand même regarder et qui emporte l’adhésion du spectateur grâce à la dernière course qui est d’une belle intensité.

Et la tendresse?…Bordel! (Patrick Schulmann, 1979)

Les évolutions d’un couple « phallocrate », d’un couple « romantique » et d’un couple « tendre » montrées en parallèle.

Entre Fluide glacial et André Breton, ce film étonne et amuse grandement par ses gags nombreux, grossiers et variés (ils sont basés sur les dialogues mais aussi sur les objets ou le montage) même si, pour utiliser une expression dans son ton, son propos ne pisse pas loin. Mention spéciale à l’inénarrable Jean-Luc Bideau en perpétuel obsédé.

The human factor (Otto Preminger, 1979)

Un bureaucrate du MI6 marié à une noire sud-africaine est soupçonné d’envoyer des renseignements à Moscou.

L’aspect visuel ingrat (très anglais) ne doit pas abuser le spectateur: après plusieurs semi-navets, le dernier film d’Otto Preminger fut digne de son auteur. Adaptant un roman de Graham Greene, le grand cinéaste viennois a retrouvé l’intelligence, l’élégance et la hauteur de vue emblématiques de ses chefs d’oeuvre. Ces qualités lui permettent ici de clarifier l’inextricable entrelacs de causes et de conséquences d’une affaire d’espionnage et de sèchement dramatiser la dialectique entre affaires d’état et affaires intimes. Retrouvant, conformément à la promesse de son titre, l’humanité au sein des rouages les plus cyniquement bureaucratiques des services secrets, The human factor montre combien l’idéologie peut ne pas importer dans le fait de servir un camp plutôt qu’un autre.

Cher papa (Dino Risi, 1979)

Un puissant industriel italien tente de renouer le dialogue avec son fils engagé dans le terrorisme gauchiste…

Pas si artificielle qu’il n’y paraît au premier abord, cette fable malaisante s’avère un des meilleurs films de Dino Risi car un des plus fins et un des plus profondément amers. L’expression de la noirceur ne passe plus par les vibrionnantes caricatures typiques du soi-disant âge d’or de la comédie italienne mais se retrouve tapie dans une larme venant ébranler l’absolue froideur d’un parricide. Par contrepoint, la chaleureuse interprétation de Vittorio Gassman rend d’autant plus patent le fossé irrémédiable entre les pères et les fils. Troublant.

Tess (Roman Polanski, 1979)

Dans l’Angleterre rurale de la fin du XIXème siècle, le destin d’une jeune fille de ferme à ascendance noble mise enceinte par un nouveau riche…

Lorsqu’ils ont adapté le roman de Thomas Hardy, Roman Polanski et Gérard Brach ont eu la bonne idée de simplifier la dernière partie du livre en évacuant de nombreux rebondissements qui accentuaient l’artifice du récit. Ensuite, le splendide travail de Geoffrey Unsworth (mort au cours du tournage) et Ghislain Cloquet a rendu justice à la verve panthéiste de l’écrivain:  les paysages français, captés dans une incroyable variété de lumières naturelles, n’avaient pas été aussi bien filmés depuis Une vie en 58. Chaque plan suinte la maîtrise tranquille d’un cinéaste qui privilégie l’image aux dialogues pour raconter son histoire.

Toutefois, un certain manque de lyrisme empêche à mon sens Tess d’être un chef d’oeuvre. Idéalement, ce sont les Powell & Pressburger de La renarde qu’il aurait fallu pour restituer la fougue païenne et érotique de Hardy; Selznick avait d’ailleurs eu le projet d’adapter Tess d’Urberville mais l’avait abandonné car sa femme était trop vieille pour le rôle. D’abord, aucun des deux acteurs masculins du film de Polanski ne possède le charisme nécessaire à son personnage: Leigh Lawson n’a pas la puissance virile de Alec d’Urberville et Peter Firth n’a pas la beauté apollinienne de Angel Clare. Ensuite, le découpage, à force de privilégier le plan d’ensemble, échoue à rendre pleinement sensible la passion qui anime Tess sous ses dehors de consentement à l’ordre établi (aussi jolie et aussi brillante soit Nastassja Kinski). Enfin, la relative froideur de Polanski évacue le bonheur simple, fait de pure camaraderie, qui aurait dû régner dans les scènes à la laiterie.

Ainsi, Tess frôle l’académisme sans toutefois y tomber tant la splendeur des images ne relève pas d’un esthétisme guindé mais révèle la sensibilité d’un artiste à la beauté des gestes d’une lieuse de blé, des rayons perçants d’un crépuscule ou de la brume s’élevant d’un champ fraîchement labouré.

I love you, je t’aime (A little romance, George Roy Hill, 1979)

A Paris, deux enfants surdoués, la fille d’une riche Américaine et le fils d’un chauffeur de taxi, tombent amoureux…

Adaptation du best-seller E=Mc² mon amour. En dépit de personnages secondaires affreusement caricaturaux, la première partie est pas mal, contenant son lot de scènes drôles ou justes et illuminée par la fraîcheur de la jeune Diane Lane aussi bien que par le lyrisme de Georges Delerue. Cela fait penser à du Truffaut hollywoodianisé. La suite, envahie par le cabotinage de Laurence Olivier, donne l’impression que les auteurs se sont réfugiés dans la fantaisie en toc pour éviter de traiter franchement leur sujet. Le plan-climax du baiser est tout de même touchant par sa sobriété.

The Rose (Mark Rydell, 1979)

Le tragique destin d’une chanteuse de rock qui voudrait raccrocher.

Plutôt que de retracer d’une façon attendue la carrière « ascension et chute » de cette star inspirée par Janis Joplin, les auteurs ont eu l’intelligence de concentrer leur récit sur une courte durée. Raconter Rose à travers sa dernière histoire d’amour leur permet de broder de multiples variations autour de la dialectique qui définit leur personnage: sex, drugs & rock&roll VS tentation de la fuite romantique avec un jeune homme apparemment « pur » rencontré dans des circonstances échevelées. A la manière de beaucoup de stars -j’ai bizarrement pensé à Gérard Depardieu-, Rose vit dans une sorte d’éternel présent qui contrecarre inlassablement ses velléités affectives à long terme. Cette opposition se traduit aussi bien par de longues scènes de comédie pleines de répliques bien senties où l’énergie tourbillonnante de Bette Midler se déploie joyeusement que par de brusques surgissements d’une tristesse enfouie. L’actrice se révèle un sensationnel petit bout de femme qui combine la capacité d’abattage d’une Katharine Hepburn et la verdeur d’une Mae West. Autour d’elle, les seconds rôles sont bons, surtout Alan Bates dont le personnage de manager n’est jamais caricaturé. Enfin, les concerts, filmés fastueusement, subliment les contradictions de la chanteuse. Bref, The Rose est un film attachant, clairement un des meilleurs sur le rock&roll, qui gagne à être vue dans une salle comble; comme les concerts du personnage.

Real life (Albert Brooks, 1979)

L’histoire de An american family, programme télévisuel qui montrait une famille américaine filmée toute la journée par les équipes de PBS.

Très bonne comédie qui brocarde l’aspiration au fameux quart d’heure de gloire ainsi que le cynisme des faiseurs de télé.  Avec une certaine jubilation, Albert Brooks pousse la satire envers la famille américaine modèle jusqu’au malaise. Il ne se contente pas de la moquerie et, ainsi que le montre l’ambivalence du producteur de l’émission, un type bienveillant, roué et finalement cinglé, atteint à une certaine profondeur dans l’évocation de la télé comme miroir grossissant des maladies de la société contemporaine. L’interprétation de l’auteur dans le rôle principal est excellente.