His picture in the papers (John Emerson, 1916)

Risquant de voir l’héritage lui passer sous le nez, le peu industrieux fils d’un industriel spécialisé dans la nourriture végétarienne fait en sorte d’apparaître dans le journal pour promouvoir les produits de son père.

Sympathique comédie qui décolle dans sa partie finale, en même temps que sa star le voltigeant Douglas Fairbanks.

La fille du ranch (The gun woman, Frank Borzage, 1918)

La dure tenancière d’un saloon fond pour un mystérieux étranger.

Ce western allie la liberté narrative des primitifs à la sophistication formelle typique de la Triangle. A 25 ans, Frank Borzage, à peine plus vieux que son art, a déjà une remarquable maîtrise de la mise en scène de cinéma. Le sens du clair-obscur, comme celui de la durée des plans, intensifie le drame. Le placement des acteurs dans les trois dimensions de l’espace explicite leurs rapports, complexes et dénués de manichéisme, sans qu’il n’y ait besoin de verbaliser. Le récit est surprenant et déjà typique du réalisateur car il place l’évolution sentimentale d’une femme au centre du western: imaginez un croisement entre La dame aux camélias et Le vengeur (ou L’homme des hautes plaines pour les non familiers de William S.Hart qui ne savent pas ce qu’ils perdent). Aussi improbable que ce soit, ça ne fait jamais forcé: les rebondissements, parfois tétanisants, sont justifiées par la logique, passionnelle et non morale, de l’héroïne. Peut-être manque t-il à la vedette, l’ancienne chanteuse de cirque et future tenancière de speakeasies Texas Guinan, la grâce d’une Pauline Starke ou d’une Bessie Love. En l’état, The gun woman est déjà un film formidable. La filmographie de Frank Borzage est décidément inépuisable.

Pillars of society (Raoul Walsh, 1916)

Un armateur novégien considéré comme un pilier moral de sa communauté rejette une faute de jeunesse sur son meilleur ami.

Contrairement à Douglas Sirk dans Stützen der Gesellschaft, Raoul Walsh, quoique produit par la Triangle de Griffith, a échoué à insuffler une beauté cinématographique à la pièce d’Ibsen, à l’ancrer dans une réalité tangible, à faire passer l’image et le mouvement avant le texte (et à la débarasser de ses relents puritains). D’où un film pesant et longuet malgré un atout typique de la Triangle: d’excellents acteurs, au jeu sobre et expressif, pas du tout théâtral.

La vengeance de Jim (Wolf Lowry, William S.Hart, 1917)

Un rude cow-boy tombe amoureux d’une squatteuse.

Encore un superbe western de William S.Hart produit à la Triangle. Cette fois-ci, la rédemption de son personnage a les sombres atours d’une cruelle histoire d’amour. La hauteur de vue du récit -riche de rebondissements mais profondément logique- n’a d’égale que la brutalité de la mise en scène: les plans sont brefs et intenses. Outre de judicieux gros plans, il y a tout un remarquable travail de dramatisation autour de la lumière. Voir par exemple le prélude à l’affrontement dans la cabane. Joe August a concocté beaucoup d’images très sombres, parfois lardées de saisissants coups de feu (comme dans Un lâche dont il avait aussi signé la photo). A voir ici.

Le piège (Until they get me, Frank Borzage, 1917)

Un fermier qui a tué en état de légitime défense est poursuivi par un jeune officier de police montée…

Ce western Triangle est remarquable à plusieurs titres. D’abord, il y a la vivifiante fraîcheur si typique du genre dans ces années-là. Les séquences sont concises, les acteurs suffisamment dynamiques et expressifs pour minimiser le nombre de cartons, les extérieurs sont photographiés avec autant de simplicité que de beauté. Un exemple parmi d’autres de cet art, poétique mais prosaïque, pourrait être ce plan centré sur une rivière où un cavalier surgit par le haut de l’image; c’est donc, tout naturellement, par son reflet dans l’eau qu’il se signale d’abord à l’oeil du spectateur.

Ensuite, il y a une liberté dans la narration d’autant plus souveraine qu’elle ne s’affiche pas: quarante-trois ans avant Psychose, le personnage principal change au cours du récit. Deux fois plutôt qu’une. Ainsi, le film de traque se focalise soudain sur l’éclosion d’une jeune fille dans une garnison. Borzage est, déjà, l’auteur…Ces changements de point de vue n’apparaissent pas comme un défaut de structure car l’unité de l’oeuvre est concrétisée dans la bienveillance avec laquelle sont montrés trois personnages qui ont, chacun à leur manière, tragiquement failli.

Enfin, Frank Borzage, qui démarrait alors une collaboration avec la firme fondée par Thomas Ince, a insufflé une réelle sensibilité. Grâce à l’invention exceptionnelle de sa direction d’acteurs, le futur « poète de l’amour fou » enrichit l’intrigue d’une épaisseur humaine, sentimentale et même érotique. Voir par exemple, à la fin, les gestes de tendresse mutine de Pauline Starke qui se révèle une des plus mémorables héroïnes de western, presque à la hauteur de Bessie Love dans The aryan.

Le justicier (The gunfighter, William S. Hart, 1917)

Un bandit surnommé « The killer » s’entiche d’une jeune fille et est embauché par le shérif pour qu’il élimine son ennemi, un bandit encore plus méchant que lui.

Cette nouvelle variation de Hart sur le bandit gentil au fond est particulièrement sombre et brutale, tel qu’en témoigne la scène du pillage final. Mise en scène toujours aussi mouvementée et précise; bref, impeccable.

Pour sauver sa race (The Aryan, William S.Hart, Reginald Barker & Clifford Smith, 1916)

Un jeune chercheur d’or devient un chef de bande haineux après qu’une entraîneuse l’a tenu éloigné de sa mère lorsqu’elle mourait.

Pourquoi, au sein de l’excellente production de William S.Hart à la Triangle -toujours riche d’un réalisme dru, d’une interprétation sobre, d’une dramaturgie complexe et d’un découpage concis- Pour sauver sa race est-il le plus réputé, reconnu comme un titre capital du septième art dès sa sortie par Delluc, Mitry, Cocteau et consorts? Il y a d’abord la forme narrative que prend ici l’itinéraire moral du héros. Une utilisation géniale de l’ellipse et l’hétérogénéité des situations dramatiques et des décors insufflent une dimension romanesque tout en présentant un large panel de scènes amenées à devenir canoniques pour le genre western. Le tout en moins d’une heure. Mais ce qui fait de Pour sauver sa race une oeuvre véritablement unique est que, en plus de péréniser voire d’inventer les conventions du genre, elle se paye le luxe d’en détourner certaines, pour un maximum de vérité humaine et de grandeur tragique. Voir ainsi la façon dont Rio Jim se débarasse de son gang, ou encore le dernier plan.

Il y a aussi une mise en scène d’une maîtrise exceptionnelle, mettant aussi bien en valeur le détail significatif que le dessein d’ensemble. Parmi mille bonheurs d’expression, citons ce plan du convoi avançant sur une ligne d’horizon accidentée, superbement photographié par Joe August, analogue à ces images qui enchantèrent tous les amateurs de John Ford et que, très possiblement, le réalisateur des Cheyennes a piquées ici. Enfin et surtout, il y a Bessie Love, aussi frêle et pure que Lilian Gish, qui s’avère la plus parfaite des partenaires féminines de William Hart car son charisme irradiant rend instantanément crédible la mutation morale dont elle est la vectrice.

Bref, plus de cent ans après sa sortie, la force expressive de ce classique fondateur du western (à mon avis le premier chef d’oeuvre du genre) n’a nullement été altérée par ses nombreux et souvent glorieux successeurs. Qu’une copie, fût-elle incomplète, ait été retrouvée après que l’oeuvre a été considérée perdue pendant 80 ans devrait, dans un milieu cinéphilique doté d’un juste sens des priorités, constituer un évènement capital. On voit bien qu’il n’en est rien.

Les parias de la vie (The good bad man, Allan Dwan, 1916)

Dans le Wyoming, un bandit qui donne ses butins aux orphelins retrouve l’assassin de son père.

La mise en scène enlevée et parfois grandiose (des plans très larges pleins de cavaliers) ainsi que l’interprétation bondissante de Douglas Fairbanks transfigurent une dramaturgie des plus conventionnelles.

Hoodoo Ann (Lloyd Ingraham, 1916)

Une pensionnaire d’un orphelinat est recueillie par un couple…

Comédie produite par Griffith qui fait mesurer combien sa mise en scène pouvait faire la différence. Rien, ici, n’élève un sujet niais au possible. Mae Marsh est trop vieille pour le rôle, la narration s’attarde trop longuement sur des péripéties sans intérêt, aucun sens du cadre et du décor ne vient enraciner l’action par ailleurs mal conduite. Bref, on n’y croit pas une seule seconde et on s’ennuie grandement malgré que ça ne dure qu’un peu plus d’une heure. De loin, Hoodoo Ann est le moins bon des films de la Triangle que j’ai pus voir.

The habit of happiness (Allan Dwan, 1916)

Un fils de bonne famille passant son temps à égayer les clochards est sollicité par l’entourage d’un milliardaire qui ne sourit jamais.

Ce bref synopsis montre combien The habit of happiness fut conçu comme un manifeste à la gloire de sa star: Douglas Fairbanks, rayonnante incarnation de la vitalité, de l’enthousiasme et de la joie. Le contempler entrain de rire, de bouger, de faire le coup de poing est un plaisir euphorisant qui se suffit à lui-même mais les auteurs à son service ne manquent ni d’inventivité, tel qu’en témoigne le gag métacinématographique de l’intertitre avec les vagabonds, ni de maîtrise, tel qu’en témoigne la vivacité du rythme des images.

Le mensonge de Rio Jim (Keno Bates, Liar, William S. Hart, 1915)

Après avoir tué un homme qui voulait le braquer, un tenancier de saloon s’occupe de la soeur de sa victime.

C’est ainsi que la subversion du manichéisme emblématique des westerns de William S.Hart prend ici des atours particulièrement surprenants et touchants. Le mensonge de Rio Jim est probablement un des plus beaux films de sa période « deux bobines » (une petite demi-heure).

Le lourdaud (The clodhopper, Victor Schertzinger, 1917)

Le fils d’un banquier agricole se dispute avec son père trop sévère et s’en va tenter sa chance à Broadway…

Sobriété robuste des acteurs (Charles Ray est lumineux), simplicité directe du découpage, brio des éclairages, présence des décors naturels, bref le merveilleux classicisme de la facture Triangle insuffle une belle fraîcheur à la première partie qui est une tranche d’americana que n’aurait pas reniée Henry King. Quoique le poncif dramatique qui la sous-tende soit assez envahissant, la suite qui met aux prises le fils enrichi avec son père victime de faillite est menée avec habileté: les conventions sont digérées par une mise en scène réaliste et précise qui dédaigne toute sorte d’excès. Bon petit film.

The last of the Ingrams (Walter Edwards, 1916)

Dans une ville côtière puritaine, le dernier rejeton d’une grande famille, alcoolique et paresseux, risque de voir ses biens saisis par le banquier…

Encore une fois, la merveilleuse alchimie de la Triangle de Thomas Ince transfigure un matériau bancal. Il y a quelque chose d’un peu capillotracté et démonstratif dans cette histoire de déchéance et de rédemption d’un alcoolique faisant face aux Pharisiens et épaulant une Marie-Madeleine des temps modernes. De plus, la composition de William Desmond a tendance à alourdir la sauce. Mais la netteté du découpage, le dynamisme inventif des morceaux de bravoure et, surtout, le fantastique alliage de naturel et de sophistication dramatisante dans la lumière intensifient la présence de ce qui se déroule à l’écran tout en insufflant une profonde densité à la description critique d’une communauté puritaine.

Grand frère (The cold deck, William S.Hart, 1917)

En Californie aux alentours de 1860, un joueur professionnel accueille sa jeune soeur qui vient d’arriver en diligence…

Parmi les quelques westerns de William S.Hart que j’ai pus voir, celui-ci apparaît comme un des meilleurs. D’abord, c’est un des moins rigides. Le canevas n’est pas celui de la rédemption d’un chef de gang mais celui de l’itinéraire d’un joueur qui oscille entre le Bien et le Mal en fonction de ses affects et des soubresauts de l’action. L’ambiguïté morale est donc plus vivante et moins schématique que dans Blue blazes rawden ou La rédemption de Rio Jim. 

A l’exemple du plan où le contour d’une diligence lointaine se marie avec une branche feuillue devant la caméra, les images de Joe August frappent à la fois par leur fraîcheur réaliste et leur précision sophistiquée. Plusieurs fois, le spectateur est saisi par la vérité de l’instant qui vient transfigurer un récit rondement mené mais conventionnel. Je pense à ce moment où, après une longue cavale dans les bois, la vamp éconduite trouve la maison du héros et regarde son linge étendu et séché par le vent. Ce sublime champ-contrechamp cristallise une charge de mélancolie inversement proportionnelle à sa durée.

Un lâche (The coward, Reginald Barker, 1915)

Au commencement de la guerre de Sécession, le fils d’une grande famille sudiste désespère son père en désertant.

La première partie, avec le fils qui signe son engagement sous la menace du revolver de son père, annonce une puissante tragédie psychologique comme les affectionnait Thomas Ince. Le découpage renforce l’intensité dramatique des scènes grâce notamment à une utilisation judicieuse du gros plan et de la profondeur de champ. La suite du récit, avec un conventionnel revirement du lâche, déçoit mais permet à Reginald Barker de déployer tout son talent de cinéaste: courses-poursuites, chevauchées et batailles rangées sont filmées avec une ampleur, une clarté et un dynamisme saisissants. L’acmé est une fusillade dans un salon où les balles éteignent les chandelles: le réalisme le plus brutal permet un contraste dramatique entre la lumière et l’obscurité. C’est grand.

Gretchen the Greenhorn (Chester M. Franklin & Sidney A. Franklin, 1916)

Une jeune Hollandaise rejoint son père émigré à New-York…

L’exposition montre dignement divers individus formant le fameux « melting-pot » américain et la vie dans un quartier populaire au début du siècle donne lieu à des scènes émouvantes de précision (la mère qui envoie son fils mendier chez les voisins). A partir du moment où un ingrédient policier est introduit dans le récit, Gretchen the Greenhorn se fait plus conventionnel et artificiel. Néanmoins, le dynamisme des poursuites et le suspense entretenu par un complexe montage parallèle donnent une belle idée du niveau moyen de qualité du tout-venant de la Triangle (ce dont ce véhicule pour Dorothy Gish semble relever).

La rédemption de Rio Jim (The return of Draw Egan, William S. Hart, 1916)

Un bandit en cavale accepte un poste de shérif dans une ville en proie au désordre…

De par la qualité de sa mise en scène, The return of Draw Egan fait indéniablement partie des meilleurs westerns de son temps. La sophistication d’un découpage très signifiant insuffle du poids à chaque geste de la star (le roulage d’une cigarette est aussi dramatisé qu’une fusillade) et concrétise la louable ambition des auteurs qui était de retracer l’évolution psychologique du héros plutôt que d’exciter le spectateur avec des chevauchées. En effet, à l’exception d’un début sur les chapeaux de roues, l’essentiel du film se déroule en milieu urbain. Toutefois, on ne m’empêchera pas de préférer la vive spontanéité des Cheyenne Harry de John Ford à la pesante précision des Rio Jim. L’austérité puritaine de William S. Hart aurait fait de lui un comédien idéal chez Dreyer mais rend son western quelque peu monotone. Je chicane parce que je pense que le grand air, le mouvement et la variété des registres conviennent mieux au genre que les intérieurs, les postures étudiées et le sérieux affiché mais The return of Draw Egan n’en demeure pas moins un très bon film, emblématique des génies de Hart et de la Triangle.

Civilization (Reginald Barker, Thomas H. Ince et Raymond B. West, 1916)

Le cas de conscience d’un officier à qui l’on a demandé de torpiller un paquebot avec des civils l’amène à rejoindre les militants pacifistes.

Préfigurant Cecil B. DeMille, Thomas Ince et ses collaborateurs ont réussi à marier l’allégorie la plus générique au drame le plus intimiste pour réaliser leur grande oeuvre pacifiste et chrétienne. C’est la richesse d’invention dans le détail qui évacue le risque d’assèchement induit par l’abstraction d’un tel programme. Que ce soit dans le sentimentalisme mélodramatique des scènes de départ à la guerre, le lyrisme photographique des plans de la révélation faite aux bonnes soeurs ou encore l’inspiration dantesque des rêveries du héros entre la vie et la mort, la variété et la qualité de la mise en scène sont telles que la force expressive des séquences prime perpétuellement sur la littéralité de l’ahurissant scénario qui a procédé à leur élaboration. Ainsi, même si le spectateur a vu des centaines de film sur « l’horreur de la guerre », il ne peut qu’être frappé par ces deux plans où un cheval fait rouler le cadavre de son cavalier avec son sabot. Rarement dans l’histoire du cinéma, symbolisme et réalisme ont été aussi intimement mêlés, l’un décuplant la force de l’autre. Face à ce film essentiel et enthousiasmant qu’est Civilization, l’honnêteté me conduit tout de même à formuler une réserve: il y a quelques longueurs dans la redondante prise de conscience de l’Empereur.

Châtiment (The despoiler, Reginald Barker, 1915)

En Turquie, un officier allemand s’allie à des Kurdes sanguinaires pour mater le peuple arménien…

La version que j’ai vue -la seule ayant survécu- est un remontage français qui, en coupant des séquences et en changeant des intertitres, appuie la charge contre les empires centraux et fait par là même de Châtiment un des premiers films sur le génocide arménien. Dans l’oeuvre initiale, les nationalités étaient plus vagues, ce qui concorde avec le fait que, en 1915, les Etats-Unis ne s’étaient pas encore engagés dans la Première guerre mondiale. Même travesti par les services français de propagande, The despoiler demeure un des plus beaux témoignages de la maîtrise avancée de Thomas Ince et de ses sbires de la Triangle en matière de cinéma. C’est en effet un chef d’oeuvre de ligne claire où, en plus de manifester un goût très sûr pour la composition des plans, Reginald Barker emploie une grande variété de techniques savantes sans ostentation ni grandiloquence, toujours au service de la dramaturgie. Clair-obscur et montage parallèle déploient un récit furieux qui articule épopée collective et tragédie intime avec l’évidente simplicité des anciens classiques. Grand.