Zigomar contre Nick Carter (Victorin Jasset, 1912)

Le détective Nick Carter pourchasse le méchant Zigomar.

Un « cross-over » avant la lettre. Sans doute que le manque de clarté dans la conduite d’un récit très simple est dû à la perte de plusieurs plans et séquences. Ce film clairement primitif se suit quand même avec plaisir car il y a pas mal d’idées (plus visuelles que dynamiques) qui apparentent le film à une bande dessinée (ce que les oeuvres originales n’étaient pas). La plus notable est celle d’un salon de jeux se transformant en salle de concert grâce à des accélérés. Fritz Lang s’en souviendra dix ans plus tard lorsqu’il réalisera Docteur Mabuse.

Le coeur et l’argent (Louis Feuillade, 1912)

La fille des propriétaires d’une auberge, bien qu’amoureuse d’un jeune homme, est mariée à un riche client de ses parents…

Les acteurs sont relativement sobres, le cadre fluvial, élargi par les panoramiques de la caméra, donne un joli naturel à l’idylle de convention et l’utilisation des surimpressions et du split-screen pour figurer les réminiscences des personnages se révèle pertinente. Le coeur et l’argent est un bon mélodrame.

 

Onésime horloger (Jean Durand, 1912)

Pour hériter rapidement de son oncle, Onésime accélère le temps.

Onésime horloger est un parfait témoignage de l’art de Jean Durand et de sa troupe, les Pouittes. Réalisés au sein de la très bourgeoise Gaumont, ses films ont introduit dans le cinéma hexagonal un burlesque littéralement dévastateur et un sens de l’absurde, plus anglais que français, franchement malaisant (Onésime qui se trimbale avec ses poumons à la main dans Onésime et l’étudiante). Le jusqu’au boutisme destructeur de ces mises en scène se situe à l’opposé de la fadeur bon teint des comédies de Louis Feuillade. Sa folie salace fait de lui le plus authentique précurseur des Marx Brothers.

Ici, l’utilisation de l’accéléré pendant les trois quarts du métrage, en plus de subjuguer le spectateur par la rapidité de l’enchaînement des gags, donne une portée métaphysique à la vision du monde anarchisante de Durant.

Erreur tragique (Louis Feuillade, 1912)

Après l’avoir aperçue dans un film d’Onésime avec un autre homme, un mari se met à soupçonner son épouse…

Ce film de 1912 est évidemment intéressant du fait que le drame commence avec un film dans le film. Grâce à cette mise en abyme, les auteurs ont trouvé un moyen visuel et percutant de suggérer, tout en restant mystérieux, une éventuelle infidélité de leur personnage féminin. Cette trouvaille est joliment exploitée dans un « mélodrame bourgeois » bien mené et bien réalisé. Formellement parlant, on note une photographie parfois assombrie qui est alors en accord avec les tourments du mari jaloux (embryon d’expressionnisme) et un petit montage parallèle qui dramatise judicieusement le dénouement.

Bandits en automobile (Victorin Jasset, 1912)

Une bande de bandits en automobile accumule les braquages sanglants…

En mettant en images -et en romançant à peine- les forfaits de la bande à Bonnot (renommé ici « Bruno ») qui défrayait alors la chronique, Victorin Jasset invente pour ainsi dire le film de gangsters. En effet, la narration se focalise sur le gangster plus que sur les policiers à sa poursuite. Lors de la reconstitution du siège de Choisy, l’accent est mis sur l’hubris délirante de Bruno, ce qui annonce la fameuse fin de L’enfer est à lui, l’absolu chef d’oeuvre du genre. D’ailleurs, la primauté donnée à l’action, le rythme soutenu, le vernis documentaire et le sens du tragique font de Jasset une sorte de tonton français de Raoul Walsh (qui n’avait alors même pas commencé à faire des films).

Aussi bien en terme de composition de l’image que de découpage, le cinéaste fait preuve d’un esprit d’invention tout à fait épatant. Ainsi d’une course-poursuite filmée en plan-séquence avec une caméra fixée sur une voiture lancée à toute allure. L’effet produit demeure stupéfiant. Qu’il soit mort en 1913 peut expliquer l’oubli dans lequel Victorin Jasset est tombé mais son apport au septième art semble capital et les programmateurs seraient bien avisés de lui consacrer une rétrospective plutôt que de célébrer le sempiternel et surestimé Feuillade (il y a plus d’intelligence du cinéma dans les trente minutes de Bandits en automobile que dans les six heures des Vampires, pourtant réalisés 3 ans après).

Le jardinier (Victor Sjöström, 1912)

Une jeune bonne est séparée de son amoureux, le fils de la famille qu’elle sert…

Cette première réalisation cinématographique de Victor Sjöström est tout à fait étonnante. Si l’abondance de péripéties mélodramatiques jure avec le format court du film (une trentaine de minutes), on se rend déjà compte des qualités, à un état certes embryonnaire, qui distingueront le réalisateur des Proscrits de ses collègues; à savoir le sens de l’inscription des personnages dans le décor naturel, la mise en valeur du paysage, la hauteur du ton. Voir pour se convaincre des deux premières qualités la séquence idyllique du début. Voir pour se convaincre de la troisième qualité tout le désespoir social qui émane du dénouement. Le jardinier fut d’ailleurs interdit de projection en Suède jusqu’en 1980.

Le mystère des roches de Kador (Léonce Perret, 1912)

Une homme endetté tente d’épouser sa cousine qui vient d’hériter…

Quelques westerns français et américains, quelques bandes des opérateurs Lumière, quelques films de Griffith, Capellani, Méliès et Max Linder constituent l’essentiel de ce que j’ai vu de la production cinématographique d’avant 1914. Autant dire que je connais très mal cette période où le cinéma français était le premier du monde. C’est pourquoi je ne saurais dire dans quelles mesure ce moyen-métrage de Léonce Perret est en avance sur son temps. Toujours est-il qu’il n’y a guère que dans certains courts de Griffith que j’avais déjà vu un découpage aussi souple et aussi assuré. Ici, les séquences ne se limitent pas à des tableaux comme c’est souvent le cas dans le cinéma primitif. La gestion d’un suspense tel que le moment où le fiancé se fait tirer dessus dénote de la part de Perret une compréhension intime des possibilités du septième art.

Les ressorts dramatiques sont parfois ceux d’un vulgaire mélo mais le décor naturel de Kador en Bretagne ancre le récit dans une réalité géographique, à la manière des futurs grands films américains et suédois. Trois ans avant Forfaiture, le travail sur la lumière, particulièrement variée, enrichit également la mise en scène. Mais toutes ces qualités ne sont pas encore ce qui impressionne le plus dans ce Mystère des roches de Kador. Ce qui impressionne le plus, c’est cette deuxième partie du film qui voit l’héroïne amnésique revivre son traumatisme grâce à la projection d’un film. Psychanalyse et méta-cinéma en 1912. Voilà qui devrait alimenter la glose de nos gloseurs professionnels si ceux-ci daignaient se pencher sur ce pan injustement méconnu du cinéma français.