Dans le cadre du « blogathon » Early Hawks
Pourquoi regarder le Scarface de 1932 aujourd’hui ?
Auréolé d’une réputation sulfureuse dûe à ses démêlés avec la censure, quasi-invisible jusqu’au début des années 80, il jouit aujourd’hui d’un statut de classique quasi-indiscuté. Discutons donc cette réputation à l’aune de l’oeuvre de Hawks mais aussi à celle des films contemporains du même genre.
Si Howard Hawks aimait à dire qu’il considérait Scarface comme son film préféré, c’était sans doute pour des raisons extra-cinématographiques. Scarface ayant été réalisé avec son copain Howard Hughes contre un système hollywoodien que tous deux abhorraient, l’expérience est restée pour Hawks un idéal de travail en toute indépendance. Pourtant, d’un point de vue esthétique, le film est un des moins typiques de son auteur. Il est gorgé de symbolisme lourdingue et d’effets de style ostensibles (la mort de Boris Karloff au bowling, Raft qui joue perpétuellement à pile ou face…) dont la principale fonction depuis 70 ans est d’alimenter la glose des médiocres historiens du cinéma. Or ce qui caractérise les chefs d’oeuvre (non-comiques) de Hawks, c’est l’apparente disparition du style. La rivière rouge, Rio Bravo, Air force…sont des films dans lesquels tout le génie du cinéaste semble travailler dans une seule direction: nous faire oublier sa présence derrière la caméra pour mieux nous faire partager le quotidien extraordinaire des groupes d’aventuriers montrés. Scarface, lui, est très théâtral en dépit de ses séquences d’action nerveuses. Il avance par scènes. Son rythme, pas complètement maîtrisé, n’a ni la frénésie de La dame du vendredi ni la tranquille fluidité de La captive aux yeux clairs. En 1932, le cinéma parlant en est encore à s’inventer.
Certes audacieux pour l’époque, Scarface n’était toutefois pas le seul film du genre et ses difficultés avec la censure sont venues autant de l’instrumentalisation de la commission Hays par des moguls hollywoodiens empressés d’étouffer les velléités d’indépendance des cinéastes que du contenu réel du film. Par exemple, L’ennemi public de William Wellman, tourné la même année n’est pas beaucoup moins violent que Scarface. Il a de plus le mérite d’être plus sec, de ne pas faire dans le symbolisme ou la suggestion mais de proposer des plans percutants qui vont droit au but. Ainsi, aucune image dans le film de Hawks ne produit un effet aussi frappant sur le spectateur que la « livraison » finale du corps de James Cagney dans L’ennemi public.
Reste aujourd’hui un film de gangsters d’excellente facture mais dont les aspects les plus originaux ont été atténués par les exigences de la commission Hays: la relation incestueuse avec la soeur n’est plus que suggérée tandis que la mère, à l’origine une criminelle, devient moralisatrice pour que l’image des Italo-Américains ne soit pas trop froissée! Reste aussi un film qui a le mérite essentiel d’avoir inspiré le chef d’oeuvre opératique et moral d’Oliver Stone et Brian De Palma. C’est peut-être le propre des classiques que d’être copié mais aussi dépassé par des successeurs. Au contraire des chefs d’oeuvre qui eux, sans nécessaire postérité, ne peuvent susciter qu’un amour inconditionnel.