Les seins de glace (Georges Lautner, 1974)

Sur la côte d’Azur, un écrivain pour la radio est séduit par une femme mystérieuse chapeautée par un avocat qui lui apprend qu’elle est une meurtrière.

Un problème: avec sa face simiesque, non mise en valeur par le maquillage, Mireille Darc n’est pas crédible en femme fatale, en tueuse à laquelle s’accrochent plusieurs hommes parfaitement renseignés sur sa dangerosité. Pourtant, le film est une étonnante réussite du film noir à la Française. C’est que si les scènes entre Claude Brasseur et Mireille Darc sombrent parfois dans une certaine trivialité, celles avec Alain Delon insufflent un romantisme sombre et douloureux mais d’autant plus beau qu’il reste latent jusqu’à la sublime explosion de mélancolie du dénouement. A noter que la star, si souvent brocardée pour son narcissisme, n’apparaît que près d’une demi-heure après le début du film et que son personnage est presque secondaire par rapport à celui de Claude Brasseur. Il y a cependant dans ses scènes avec Mireille Darc des gestes d’une tendresse poignante et vraie qui, avec le concours de la musique de Philippe Sarde, transfigurent le simple polar que Les seins de glace aurait pu être mais qu’il n’est de toute façon pas, de par l’audace discrète de son écriture: changement de personnage principal en cours de route, sentimentalité des héros…Le découpage de Georges Lautner, en dehors de quelques zooms malencontreux, est à la hauteur de cet ambitieux récit: sans beaucoup de données dramatiques, à partir d’un décor par exemple, le réalisateur sait engendrer la tension.

Mort d’un pourri (Georges Lautner, 1977)

Un homme se retrouve poursuivi par les assassins de son ami qui était député corrompu puis se retourne contre eux.

Voir ce film trois jours après Flic ou voyou appelle nécessairement la comparaison; même époque, même réalisateur, même dialoguiste, thème similaire…mais Delon vs Belmondo. Différence fondamentale: ici, la star-productrice ne phagocyte pas l’oeuvre mais est intégrée à un véritable film noir à la Française où le pessimisme et la complexité inhérents au genre ne sont jamais sacrifiés à son image. Une dialectique dramatique extrêmement ambigüe s’oppose au manichéisme puéril des polars de Bébél. Même le réquisitoire attendu est finalement dévié de sa cible, anarchisme d’Audiard aidant (« La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson »). On note que ce « héros » ne se tape même pas la fille, jouée par la sublime Ornella Muti…Les brillants seconds rôles, à commencer par Maurice Ronet, ont le temps et l’espace pour déployer leur talent bien que l’interprétation la plus impressionnante demeure celle d’Alain Delon, de par sa grande finesse. Travaillant pour lui, Lautner gagne en subtilité (les photos qui suggèrent le passé militaire et peut-être militant des deux amis) et Audiard en gravité. Quelques mots font un peu trop « auteur » tant ils reflètent certaine conception -désabusée- du monde mais ne relèvent nullement de la vulgaire vanne. La belle tenue stylistique se constate aussi dans la photographie et dans la musique -des solos de saxo mélancoliques joués par Stan Getz. Quant aux quelques scènes d’actions, elles ne sont pas géniales, non dénuées d’invraisemblances grossières, mais correctement troussées. Bref, sur le ring de la postérité des deux superstars du cinéma français, Delon gagne par KO cette manche.

Flic ou voyou (Georges Lautner, 1979)

A Nice, un flic se sert d’une guerre des gangs pour appréhender le commanditaire de l’assassinat d’un ripou.

Quand on voit un film comme ça, un film qui repose essentiellement sur l’humiliation de méchants réduits à des silhouettes par Bébel (caricature de Jean-Paul Belmondo) dans des séquences aussi minables que grotesques, on en viendrait presque à tomber d’accord avec Jacques Lourcelles qui accuse Sergio Leone d’avoir abaissé le niveau du public. Mais, outre l’abîme en termes de qualité formelle, la différence est que les séquences d’humiliation chez Leone, notamment dans Le bon, la brute et le truand, sont insérées dans une dialectique infiniment plus large que l’outrancière mise en valeur de la star au détriment de tous les autres personnages. Les caricatures puériles (cf la scène d’amour qu’on croirait tout droit sortie des séquences parodiques du Magnifique) et la dérision audiardesque désamorcent systématiquement les enjeux dramatiques d’un récit quand même basé sur la corruption et la vengeance tout en explicitant bêtement le propos politique sous-jacent à cette histoire de lutte du héros solitaire contre les « pourris », transformant le polar censément divertissant en tract gentiment facho. C’est ainsi qu’au-delà de la médiocrité de la facture (Flic ou voyou est ennuyeux car mal raconté, mal joué, mal découpé, mal monté, mal fichu ainsi qu’en témoigne le ridicule de ses scènes d’action), il y a dans ce sous-produit une bassesse singulière, bassesse dont est dépourvu son modèle avoué, L’inspecteur Harry où l’amertume du ton est préférée à la démagogie ricanante.

Le septième juré (Georges Lautner, 1961)

Dans une ville de province, un notable gagné par ses pulsions tente de violer puis étrangle une superbe jeune fille. Il est tiré au sort pour faire partie du jury devant juger l’amant de la victime, accusé du meurtre…

Les effets sont surappuyés, les personnages unidimensionnels, la critique sociale simpliste. Cet ennuyeux représentant de la « qualité française » n’intéressera que les amateurs de Georges Lautner. Si si, ça existe.