Les sept déserteurs ou la Guerre en vrac (Paul Vecchiali, 2018)

Six déserteurs se réfugient dans des ruines au milieu de la forêt où ils trouvent une nonne…

Paul Vecchiali s’attaque au film de guerre mais l’hommage initial à Wellman et Fuller ne saurait nous tromper sur la marchandise: comme tous les derniers films de son auteur, Les sept déserteurs est avant tout une oeuvre conceptuelle. Décharnée et théorique, elle n’a aucune prise avec la réalité autre qu’un décor naturel de clairière dont Philippe Bottiglione a joliment capté la lumière. A tous les étages de la mise en scène, le volontarisme anti-« naturaliste » empêche l’éclosion du romanesque larvé des dialogues (les personnages se révélant au fur et à mesure des figures archétypales comme les affectionne cet amateur du cinéma français des années 30: l’ancienne prostituée, les deux amoureux…). Le pompon est le colifichet moderniste de la fin, tarte à la crème « distanciatrice » indigne de Paul Vecchiali. A noter cependant un générique parmi les plus élégants jamais vus.

Le roi de Camargue (André Hugon, 1922)

En Camargue, un guardian protège sa fiancée contre une bohémienne qui veut se venger parce qu’elle lui a refusé de l’huile d’olive.

Adaptant le poète méridional Jean Aicart, André Hugon a réalisé un très bon film grâce à son sens du décor naturel. La large place accordée à la sansouïre désertique où évoluent des troupeaux guidés par des hommes à cheval donne au Roi de Camargue des allures de western. La mièvrerie de certains traits est estompée par le réalisme documentaire des nombreuses scènes folkloriques et par l’épatante dernière partie où la violence extraordinairement réaliste et brutale d’une bagarre dans la lagune succède au tragique d’un enlisement dont la poésie visuelle évoque immanquablement La nuit du chasseur.

L’ordre et la sécurité du monde (Claude d’Anna, 1978)

Dans un train, une jeune femme échange par mégarde son passeport avec celui d’un journaliste enquêtant sur un coup d’état fomenté par la France et les Etats-Unis dans un pays africain.

Il y a Bruno Cremer, des plans urbains et industriels admirablement composés, la mélancolie habituelle des films d’espionnage « sérieux » et une séquence d’action digne d’un bon film américain mais il n’y a aucun sens du rythme narratif. Dommage.

Du samedi au dimanche (Gustav Machatý, 1931)

Le samedi soir venu, une dactylo accompagne sa collègue dans boîte fréquentée par des hommes riches.

Aux côtés des Hommes le dimanche, de Treno populare ou de l’excellent Solitude, ce film tchèque s’inscrit dans ce courant des débuts du cinéma parlant qui, par sa légèreté et son côté documentaire, préfigurait les nouvelles vagues. Il y a un gros problème de rythme dans la narration puisqu’il ne se passe pas grand-chose pendant une heure de film avant que le drame ne se noue effectivement dans le dernier quart d’heure. Pendant les longues séquences de fête, les coquetteries du découpage (Machaty aime filmer des objets pendant que les protagonistes parlent hors-champ) ne parviennent pas à susciter l’intérêt pour des personnages parfaitement inconsistants. Dans la dernière partie, il est loisible de considérer que les incertitudes d’une technique aventureuse insufflent une fraîche poésie aux séquences tragiques mais m’est avis que les nombreux laudateurs de Du samedi au dimanche ont rapidement fait fi de ses -lourds- défauts et ont exagéré ses -attachantes-qualités.

Et la tendresse?…Bordel! (Patrick Schulmann, 1979)

Les évolutions d’un couple « phallocrate », d’un couple « romantique » et d’un couple « tendre » montrées en parallèle.

Entre Fluide glacial et André Breton, ce film étonne et amuse grandement par ses gags nombreux, grossiers et variés (ils sont basés sur les dialogues mais aussi sur les objets ou le montage) même si, pour utiliser une expression dans son ton, son propos ne pisse pas loin. Mention spéciale à l’inénarrable Jean-Luc Bideau en perpétuel obsédé.

Le harpon rouge (Tiger shark, Howard Hawks, 1932)

Un pêcheur épouse la jeune maîtresse d’un de ses hommes, décédé en mer.

Mineur. Howard Hawks n’est pas aussi à l’aise avec le pittoresque populiste qu’un Raoul Walsh ou un John Ford, Zita Johann n’est pas à la hauteur de Marlene Dietrich qui reprendra son rôle dans le bon remake que Walsh réalisera dix ans plus tard et la composition de Edward G.Robinson en immigré portugais est caricaturale (il sera bien plus convaincant, débarrassé de son accent de pacotille, dans le remake). Toutefois, les séquences documentaires sur la pêche -réalisées par le fidèle Arthur Rosson- insufflent une certaine vérité à l’intrigue.

Danton (Andrzej Wajda, 1983)

De retour à Paris, Danton inquiète le comité de salut public.

Wajda a fait de Robespierre et Danton les deux faces de la Révolution: l’un est le monstre totalitaire et froidement sanguinaire tandis que l’autre est le sincère ami du peuple qui souhaite en finir avec la guillotine. Même si l’implacable démonstration de la folie criminelle des révolutionnaires a le mérite de remettre quelques pendules à l’heure (à commencer par celle du commanditaire François Mitterrand qui sortit furieux de la projection), cette schématisation a la tort d’être déroulée de façon prévisible. Dans sa globalité, le jeu des acteurs accentue l’impression de théâtralité qui émane d’une écriture très didactique et d’une mise en scène peu subtile. Cependant, quelques séquences -tel celle où Robespierre se prépare pour la fête de l’Etre suprême- se distinguent d’un ensemble assez académique grâce à leur beauté funèbre et étrange à laquelle contribue grandement la musique de Jean Prodromidès.

Rhapsodie hongroise (Hanns Schwarz, 1928)

En Hongrie, un officier désargenté convoite la fille d’un intendant agricole.

La convention assez mièvre du récit fait que la splendeur du Mensonge de Nina Petrovna n’est pas encore atteinte mais la finesse de l’ensemble des interprètes -y compris Dita Parlo- et la sophistication de la mise en scène transfigurent cette convention. Plusieurs séquences de ce film court (à peine plus d’une heure) révèlent le talent d’un grand cinéaste. L’ample vivacité de sa caméra n’a d’égale que l’allégresse avec laquelle il varie les registres.

La vipère (The little foxes, William Wyler, 1941)

Dans le Sud des Etats-Unis, une femme fait pression sur son mari malade pour obtenir l’argent nécessaire à une affaire industrielle menée avec ses deux frères.

Au début, l’arrière-plan historique, les digressions avec les serviteurs Noirs et l’impressionnant travail sur la profondeur de champ rappellent carrément La règle du jeu et laissent penser que William Wyler a transformé la pièce de Liliane Hellman en oeuvre cinématographique digne de ce nom. Malheureusement, cette impression s’avère vite trompeuse car rarement le temps et l’espace auront été aussi mal restitués dans un film; des séquences censées se dérouler à des milliers de kilomètres de distance se succèdent comme si les personnages n’avaient fait que changer de pièce. La mise en scène n’est finalement qu’un écrin décoratif enrobant les dialogues d’une demi-douzaine de personnages univoques qui délayent très longuement un drame cousu de fil blanc. Poussiéreux.

La reine Margot (Patrice Chéreau, 1994)

En 1572, le mariage entre Marguerite de Valois soeur du roi de France et Henri de Navarre, chef protestant, déclenche la Saint-Barthélémy.

La reine Margot est un film écartelé entre la volonté de Patrice Chéreau de faire savoir à son public qu’il est un artiste concerné par les grands maux de la société et son tempérament lyrique qui l’incline à ne s’intéresser qu’à des corps. C’est ainsi que l’oeuvre échoue à nous faire comprendre quoi que ce soit des guerres de religion: accumuler des images sanguinolentes ne saurait suffire à concrétiser un point de vue sur « l’intolérance » ni, à plus forte raison, sur le complexe contexte politique de l’époque. Si cette adaptation de Dumas est assez fidèle à l’Histoire et si les dialogues dispensent toutes les informations nécessaires au déroulement de l’intrigue, pour tout saisir, mieux vaut s’être rafraîchi la mémoire avant la projection avec un bon livre sur le sujet.

En effet, Chéreau ne se soucie guère de rendre intelligibles les tenants et aboutissants de la Saint-Barthélémy. La mise en scène, complètement focalisée sur les corps gesticulant et déclamant, n’inscrit jamais les personnages dans un cadre spatio-temporel. A la rigueur, pourquoi pas. Pourquoi ne pas s’intéresser exclusivement aux grands et à leurs désirs plus ou moins malsains? Le problème est que les longues séquences de massacre vont à l’encontre d’un tel parti-pris et que le tout apparaît comme un brouet hystérique d’où aucune ligne de force (et certainement pas celle annoncée par Chéreau dans ses interviews: la prise de conscience d’une princesse des horreurs qui l’entourent) n’émerge de façon sensible.

Seul l’effet de choc intéresse en fait le réalisateur, un effet de choc dispensé à grand renfort de trucs plus vulgaires les uns que les autres: complaisance doloriste, porno chic, musique dans la droite lignée de Era et interprétation dénuée de toute nuance; le pompon de la caricature revenant à Jean-Hugues Anglade.

Pour 100 briques t’as plus rien (Edouard Molinaro, 1982)

Motivés par l’actualité, deux chômeurs braquent une banque.

C’est drôle, piquant, bien rythmé, les acteurs sont fort sympathiques et l’esprit anarchiste des séquences à la banque surprend agréablement avant que la fin n’enlève la réjouissante ambivalence qui les nimbait pour clairement faire pencher la balance vers une morale du genre « tout le monde est pourri, sachons en tirer parti ». C’est quand même pas mal du tout.

Vive la France! (Roy William Neill, 1918)

Dans un village de France occupée par les Allemands, une infirmière aide un messager de l’armée alliée…

La grossièreté propagandiste de la dramaturgie (abondantes citations de Paul Déroulède sur les cartons…) n’empêche pas de prendre un vrai plaisir lors de la projection grâce à la « facture Ince »: pertinence de l’intégration des images documentaires, aspect réaliste du décor, habileté du découpage, clarté de la photo, science du cadre, ampleur des scènes de bataille, vivacité du rythme…En dehors de certains excès de l’interprétation, c’est un bréviaire de classicisme cinématographique qui n’a rien à envier à Griffith si ce n’est la mièvrerie.

Les enfants du placard (Benoît Jacquot, 1977)

A Paris, un jeune homme dispute sa soeur à son riche prétendant, associé de leur père qui fait des affaires louches en Afrique.

Que ce film étique et sinistre ait été largement salué en 1977 par les Cahiers du cinéma comme matérialisant leur réconciliation avec la fiction après le tunnel des années « Godard-Straub-Mao » montre combien la revue était partie loin. En revanche, le principal ressort dramatique (la mauvaise conscience d’un fils à papa bon à rien) qui l’anime  – aussi mollement soit-ce – fait bien des Enfants du placard un film 100% bourgeois. A croire qu’en ce qui concerne les critiques maoïsés, l’atavisme de classe fut plus fort que l’atavisme cinéphile.

Le bel Antonio (Mauro Bolognini, 1960)

A Catane, l’impuissance d’un soi-disant séducteur met en péril son mariage arrangé avec une fille sublime.

La satire du patriarcat sicilien recèle des moments amusants dont le meilleur est l’ellipse de la mort du père, sommet d’humour noir. La mise en scène de Mauro Bolognini met bien en valeur les jolis décors intérieurs mais elle est un peu amidonnée. Assumer pleinement le genre comique en insufflant plus de mordant et de vivacité n’eût pas nui à la force dramatique. Les acteurs -en particulier Pierre Brasseur- sont très bons mais on ne voit pas assez Claudia Cardinale (alors qu’on voit beaucoup Marcello Mastroianni).