Le garçon perdu (Gueorgui Daniela, 1973)

Fuyant aussi bien son père alcoolique qu’une famille d’adoption oppressante, Huckleberry Finn descend le Mississipi avec Jim, l’esclave en fuite…

Le projet improbable que voilà ! Une adaptation du classique de Mark Twain par des Soviétiques. Le pari est pourtant tenu. L’artificialité du sud américain recréé dans les studios de Mosfilm insuffle au film une poésie dans la lignée de La nuit du chasseur. Il faut dire que décors et photo -la lumière est celle du chef opérateur de Tarkovski: Vadim Yusov- sont sublimes. Le ton du Garçon perdu est certes très éloigné de celui du grand écrivain américain. L’adaptation n’en est pas moins aussi respectueuse que personnelle de la part du cinéaste géorgien Gueorgui Daniela qui filme les nombreuses péripéties du roman avec un détachement comico-mélancolique qui parfois confine à l’absurde. Ainsi de la rapidité elliptique avec laquelle est traitée l’épisode de la vendetta. Ce style est parfois un frein à l’implication du spectateur dans le récit, surtout si celui-ci n’est pas familier avec l’oeuvre de Twain, mais il redouble sa fascination d’ordre plastique tant les images sont subtilement merveilleuses.

A lire: le post de Julien d’Abrigreon qui a beaucoup fait pour la récente exhumation de cette pépite géorgienne. Merci à lui.

Le jardinier (Victor Sjöström, 1912)

Une jeune bonne est séparée de son amoureux, le fils de la famille qu’elle sert…

Cette première réalisation cinématographique de Victor Sjöström est tout à fait étonnante. Si l’abondance de péripéties mélodramatiques jure avec le format court du film (une trentaine de minutes), on se rend déjà compte des qualités, à un état certes embryonnaire, qui distingueront le réalisateur des Proscrits de ses collègues; à savoir le sens de l’inscription des personnages dans le décor naturel, la mise en valeur du paysage, la hauteur du ton. Voir pour se convaincre des deux premières qualités la séquence idyllique du début. Voir pour se convaincre de la troisième qualité tout le désespoir social qui émane du dénouement. Le jardinier fut d’ailleurs interdit de projection en Suède jusqu’en 1980.

Passeport pour l’enfer (Boat people, Ann Hui, 1982)

Trois ans après la fin de la guerre et l’avènement du régime communiste, un reporter japonais engagé à gauche revient au Viêt-Nam…

S’éloignant peu à peu des cadres du parti qui supervisaient son travail, ce journaliste rencontrera des Vietnamiens appartenant à différentes couches de la société. Au fur et à mesure que se déroule le film, Ann Hui dessine ainsi une fresque mi-documentaire mi-thriller sur les horreurs totalitaires. Les observations précises de la réalité vietnamienne (déminage, pillage de cadavres après une exécution publique, arrestations arbitraires, camps de rééducation…) nourrissent un récit foisonnant qui ne dédaigne ni les artifices du thriller ni ceux du mélo.

Ce récit s’articule autour d’intrigues assez indépendantes les unes des autres et sa ligne directrice peut certes paraître manquer de fermeté. Le seul liant est en fait le personnage du journaliste et ce personnage reste longtemps en retrait de l’action dont il est témoin. Ce retrait est un choix judicieux car d’une part, le spectateur étranger au Viêt-Nam s’y identifie facilement et d’autre part, son parcours individuel n’élude jamais les souffrances de la population. Les gens qu’il rencontre ne sont pas ses faire-valoir. La réalisatrice ne s’attarde pas sur les cruelles désillusions qui sont les siennes mais qui ne sont rien en comparaison de ce qu’endurent ses amis vietnamiens sous le joug communiste.

Le filmage de Ann Hui, loin de faire redondance avec ce qui est représenté, est fluide, harmonieux et dénué de complaisance sordide: ampleur des mouvements à la grue, sûreté classique de la composition des plans. Cela n’en rend que plus frappant une violence qui arrive généralement sans ménagement. Son génie de la dramatisation à partir de données réelles, autrement dit son génie de la mise en scène, culmine dans un final puissamment lyrique où la cinéaste allie la maîtrise du suspense à l’inventivité graphique pour mieux faire ressentir la tragique horreur de la situation. On en ressort estomaqués.

Hotel imperial (Mauritz Stiller, 1927)

Pendant la première guerre mondiale, une garnison russe s’établit dans un hôtel où un soldat hongrois se cache…

Devant ces soldats impériaux qui n’aiment rien tant que boire du champagne et lutiner les bonnes, devant ce style élégant plein de belles métonymies, on songe aux films de l’autre grand immigré embauché par Erich Pommer à la Paramount: Ernst Lubitsch, qui a d’ailleurs reconnu l’influence du fameux cinéaste finno-suédois. Grand virtuose gérant habilement les considérables moyens mis à sa disposition (à commencer par Pola Negri qui s’est, une fois n’est pas coutume, très bien entendu avec son réalisateur), Mauritz Stiller passe de la comédie au drame avec aisance et décontraction. On se serait bien passé du bête retour à la convention qu’est l’épilogue. Hotel Imperial est certainement un film mineur de l’auteur du Trésor d’Arne mais, considéré dans le cadre circonscrit de la commande qui fut celle assignée à Stiller alors qu’il venait de se faire virer de la MGM et donc n’en menait pas large à Hollywood, n’en demeure pas moins une honorable réussite.

Fantômes en fête (Scrooged, Richard Donner, 1988)

A Noël, un impitoyable patron de chaîne de télé qui produit une adaptation de Un chant de Noël est visité par les fantômes de ses associés…

La mise en abyme, le cabotinage de Bill Murray et la musique classieuse de Danny Elfman sont les principaux atouts de cette énième adaptation du conte moral de Charles Dickens. Anodin mais pas déplaisant.

Le trésor (Lester James Peries, 1970)

Au Sri Lanka, un héritier ruiné épouse une jeune femme sur la foi d’une légende qui prétend que la sacrifier lui apportera un trésor.

Avec le portrait de cet homme désoeuvré et vide de cœur qui ne pourra s’empêcher de saboter la chance de sa vie (le film est un flashback donc le spectateur sait dès le début que ça finira mal), Lester James Peries dépeint la décadence d’une classe. A la manière du Salon de musique, le somptueux raffinement des intérieurs fait ressortir la solitude et la décrépitude morale de l’habitant des lieux. Le cinéaste s’y entend à merveille pour exprimer l’obsession dans laquelle s’enferme son personnage. Quelques malencontreux coups de stabylo (zoom sur le rasoir pour rappeler les mauvaises pulsions qui animent le mari) n’altèrent guère une mise en scène globalement subtile, de haute tenue et même parfois éblouissante: un sublime mouvement de caméra suffit au cinéaste pour figurer la profonde bienveillance d’une femme.

Les deux acteurs principaux, Gamini Fonseka et Malini Fonseka, sont d’ailleurs parfaits, aussi justes qu’expressifs. Le fatalisme du récit est heureusement équilibré par la fraîcheur de l’épouse qui, peu à peu, séduit son mari. Leurs quelques scènes d’amour, que ce soit dans les bois ou au son du phonographe, sont aussi désarmantes que du Renoir. On songe d’ailleurs beaucoup à l’auteur du Fleuve et de la Partie de campagne devant l’aisance qui est celle de Lester James Paries lorsqu’il filme les rivières, les forêts, la lumière entre les feuillages ou les demeures bourgeoises. Très beau film.

Au royaume des cieux (Julien Duvivier, 1949)

Une jeune fille arrive dans une prison pour femmes régie depuis peu par une odieuse directrice…

Les personnages sont très stéréotypés et le propos sur l’éducation des jeunes délinquantes est sans intérêt car développé de façon simpliste mais cela importe peu car ce n’est pas le réalisme social qui préoccupe Julien Duvivier, également auteur du scénario. Le carton en exergue précise d’ailleurs que Au royaume des cieux n’est aucunement un « reportage romancé ». Le cinéaste a en fait utilisé les maisons de redressement comme contexte et prétexte pour une allégorie sur la pureté introduite en milieu vicié.

Se plaçant sur le terrain du mythe, il déploie au cours de son récit toutes les combinaisons du jeu dialectique entre vice et vertu. Ainsi, au contact de la nouvelle arrivante, les détenues impressionnées par la pureté qui guide son amour s’amadoueront…Dans le même temps, la directrice, produit d’une pureté dévoyée, leur fera subir les pires horreurs. Evidemment, la subtilité n’est guère de mise et, quoique soucieux de logique psychologique dans sa narration, Duvivier ne craint pas de forcer le trait. En virago refoulée, Suzy Prim s’en donne à cœur joie, agrémentant sa composition de quelques gestes homosexuels qui épicent la sauce.

Plus inspiré qu’il ne le sera jamais après-guerre, le réalisateur se donne les moyens stylistiques d’une telle outrance. Quelques coquetteries comme il les a toujours affectionnées n’empêchent pas que dans l’ensemble, sa virtuosité sert merveilleusement le drame et l’atmosphère. Le découpage fluide et le foisonnement d’idées plastiques compensent l’épaisseur de certaines ficelles. La superbe photographie charbonneuse et les décors à la fois réalistes et insolites, tel les catacombes qui servent de mitard, insufflent un lyrisme visuel rare dans le cinéma français d’alors. Plusieurs images inoubliables relèvent de la poésie pure: ainsi le village inondé avec les barques confectionnées à partir de bancs d’église voguant vers l’horizon.

La bête à l’affût (Pierre Chenal, 1959)

Un détenu en cavale se réfugie chez une riche héritière…

Dans la première partie du film, plusieurs scènes d’action mal fichues m’ont sorti du film mais, c’est intéressant, leur fausseté peut s’expliquer au fur et à mesure des révélations du récit. La bête à l’affût demeure un polar à grosses ficelles qui n’a rien de la sécheresse documentaire du quasi-miraculeux Rafles sur la ville, précédente réussite de Pierre Chenal. Dans la dernière partie, les relations entre l’héritière et le bandit prennent un tour ambigu donc humain et intéressant mais l’avant-dernier plan, complètement téléphoné, fait retomber le film dans la pire des conventions.

La fille de la tourbière (Victor Sjöström, 1917)

Une fille-mère est embauchée par une propriétaire et son fils…

Il y a quelques invraisemblables facilités narratives mais l’intérêt est rehaussé par la dignité du ton et la représentation de la communauté campagnarde, d’un réalisme pittoresque. De plus, l’aisance et l’inventivité du réalisateur sont encore une fois à noter. Ici, son utilisation de la profondeur de champ notamment m’a semblé stupéfiante, compte tenu que le film est sorti en 1917.

Le livre de Selma Lagerlöf fut également adapté par Douglas Sirk en 1935.

American college (Animal house, John Landis, 1978)

En 1962, dans une université américaine, le conflit entre une fraternité d’étudiants et le directeur…

La distribution pleine de fraîcheur et de talent égaye considérablement cette comédie de campus aux ressorts attendus. A noter aussi un morceau de bravoure final particulièrement drôle qui concrétise intelligemment le potentiel subversif du film.

Le chevalier des sables (The sandpiper, Vincente Minnelli, 1965)

En Californie, une artiste peintre forcée par les autorités d’envoyer son fils en pensionnat séduit le directeur, un homme d’église…

Le genre de film qui fait amèrement regretter le temps révolu de la grandeur d’Hollywood. A l’exception des paysages naturels de Big Sur, tout ici respire la perfection somptueuse du film de studio, une perfection heureusement irriguée par la sensibilité d’un cinéaste authentiquement humaniste. Images de soleil couchant sur la mer en Cinémascope, voluptueuse bande originale (où Johnny Mandel a composé comme ça, au passage, un standard: The shadow of your smile), opulence de la direction artistique, précision classique du découpage.

Cette ode à l’harmonie est une leçon de mise en scène où Vincente Minnelli montre tranquillement sa supériorité sur ses jeunes (et moins jeunes) confrères européens. Toujours judicieusement, il sait nuancer ou appuyer le sens du scénario. En 1965, il n’y avait que lui pour bouleverser le spectateur avec une scène d’amour devant un feu de cheminée. Il réussit non pas en détournant le cliché mais en en rajoutant une couche: ainsi un oisillon vient-il se poser sur Liz Taylor pendant qu’elle est dans les bras de Richard Burton. C’est sublime et cela sonne juste (cet oisillon étant soigné par le personnage de Liz Taylor, sa fonction n’est pas décorative).

Le sentiment de plénitude qui se dégage à la vision du Chevalier des sables vient aussi de la noblesse d’un script où « chacun a ses raisons », de l’absence de caricature (la peinture de la communauté proto-hippie de Big Sur est infiniment plus juste que dans Seconds, film contemporain réalisé par un « jeune ») et de la grandeur des sentiments qui animent les personnages, fussent-ils dévoyés. Cet ultime chef d’oeuvre de Minnelli a ainsi des airs de film de Nicholas Ray revu par Leo McCarey.

L’année des méduses (Christopher Frank, 1984)

En vacances sur la côte d’Azur, une bourgeoise et sa fille succombent au charme d’un proxénète.

Ce semi-polar racoleur (Valérie Kaprisky n’est pas avare de ses charmes) aurait pu être un très bon thriller dans la lignée de ceux de Verhoeven si la mise en scène avait été à la hauteur. En l’état, ça se laisse regarder sans plus.

La traite des blanches (Luigi Comencini, 1952)

Dans un village italien pauvre, des jeunes femmes s’engagent dans un marathon de danse pour payer un avocat à leur mari arrêté suite à un cambriolage.

La photographie, très influencée par le film noir américain, est soignée et réussie mais le récit, partant un peu dans tous les sens, manque de concision et de densité. La pertinence du réquisitoire social est également amoindrie par la convention des situations.