Donde mueren las palabras (Hugo Fregonese, 1946)

Le vieil employé d’un théâtre de marionnettes noue une amitié avec un jeune pianiste qui découvrira son secret.

Difficile de partager l’enthousiasme de Lourcelles pour ce film assez mal construit (l’intrigue avec le sculpteur et le long ballet altèrent la densité du récit qui a la concision d’une nouvelle) quoique contenant quelques fulgurances (la fin qui montre un suicide et non un régénération du chef d’orchestre -première erreur de visionnage que je constate dans le fameux Dictionnaire des films). Le décorum apporte une tonalité gothico-sympathique et la musique classique un certain lyrisme mais tout ça est au service d’une réflexion sur l’art, la vie et la mort des plus bateaux.

Les sept tonnerres (Hugo Fregonese, 1957)

En 1943, deux évadés anglais se planquent dans le Vieux-Port de Marseille…quartier qu’Hitler a l’intention de raser.

Film anglais tourné par un Argentin en France et à Pinewood, Les sept tonnerres avait de quoi inspirer la suspicion. Mais, en dépit de quelques conventions mal digérées (la toute fin et, de façon générale, la romance), c’est un sommet de narration auquel les auteurs ont su insuffler nervosité, densité et (relative) authenticité. Le foisonnant enchevêtrement de personnages et de situations est si bien ficelé qu’on n’a jamais l’impression d’un film choral avec démultiplication artificielle et surplombante des protagonistes.

Le but de ce film trépidant n’est clairement pas de donner une leçon d’histoire et pourtant, plusieurs fois, à la faveur de l’action, Hugo Fregonese, grâce notamment à son sens de la suggestion et de la cruauté, donne à voir la vérité de l’époque avec une force que peuvent lui envier bien des auteurs plus apparemment ambitieux. C’est par exemple un soldat allemand paniqué qui engueule son collègue venant de commettre la plus affreuse des bavures. C’est aussi ce plan étonnant où le héros en fuite se mêle à la foule des réfugiés, point culminant d’une intégration de la petite histoire à la grande Histoire parmi les plus organiques jamais vues sur un écran.

Les acteurs, peu connus (le plus célèbre étant Stephen Boyd, futur Messala), sont tous très biens et insufflent une dimension humaine inattendue à des figures parfois stéréotypées (je pense par exemple à la matrone sympathiquement campée par Kathleen Harrison).

L’impasse maudite (One way street, Hugo Fregonese, 1950)

Un médecin s’enfuit au Mexique avec le magot et la maîtresse du chef d’une bande de braqueurs.

Après une première partie sur les chapeaux de roue, superbe condensé d’action sèche et nerveuse, ce film noir surprend en s’attardant dans un village mexicain où le héros trouvera l’occasion d’une rédemption. Cette rédemption est présentée avec un schématisme de série B et encombrée de scories narratives (les méchants frères) mais elle occasionne une poignée de plans frémissant de sensibilité, notamment ceux autour du départ avorté. De plus, le personnage de méchant, idéalement joué par Dan Duryea, a l’originalité d’être plus amoureux que vénal et son sentiment est montré avec finesse, sans appesantissement; la convention du genre est détournée pour gagner en épaisseur humaine. Enfin, encore une fois, Hugo Fregonese a mis en scène un récit aux allures de parabole. Mais la conclusion est un deus ex machina qui heurte le naturel de la narration. C’est dommage. En définitive, L’impasse maudite s’avère un bon film noir -original, percutant et attachant- mais quelques défauts de structure l’empêchent d’accéder au rang de chef d’oeuvre.

Mardi ça saignera (Black tuesday, Hugo Fregonese, 1954)

Le jour de leur exécution, des condamnés à mort s’évadent…

Un modèle de polar: la structure est simple mais orchestrée avec une habileté remarquable: le rythme est nerveux, il n’y a pas un plan en trop et ces plans sont beaux (noir et blanc contrasté de Stanley Cortez), denses (voir par exemple l’utilisation de la profondeur de champ dans la planque) et dynamiques: l’action est quasi-continue et l’espace parfaitement géré puisque clarifié et dramatisé.

L’interprétation est excellente, avec à sa tête un grand Edward G.Robinson qui insuffle une épaisseur humaine à son personnage sans pour autant escamoter sa méchanceté. Le fait que les gangsters luttent pour leur vie confère d’emblée une grande intensité dramatique au film sans que les auteurs n’aient à se rendre complaisants vis-à-vis de crapules. Il y a certes le conventionnel « méchant un peu gentil » mais il est écrit et interprété -par Peter Graves- avec suffisamment de sécheresse pour ne pas que l’oeuvre bascule dans une sentimentalité de mauvais aloi.

Le film maintient jusqu’au bout sa grande dureté de ton, nonobstant de petites concessions*. Enfin, la concision du découpage n’empêche pas plusieurs trouvailles insolites, la première étant d’ouvrir le film sur un chanteur de blues dans le couloir de la mort; ouverture qui dévoile les ressorts profonds de ce polar de série: la mort et les sentiments de fatalité ou de peur qu’elle engendre chez l’homme, qu’il soit criminel ou honnête.

*malgré la violence qui me semble exceptionnelle pour l’époque, certaines conventions « de bonne moralité » demeurent, certaines compréhensibles (on ne touchera pas un cheveu du prêtre), d’autres moins: si l’assassinat de l’otage flic avait été fait de sang-froid et pas pendant qu’il fuit, le résultat narratif aurait été le même mais l’impact aurait été encore plus fort.

L’affaire de Buenos Aires (Hugo Fregonese, 1949)

A Buenos Aires, un employé de banque assume de passer six ans derrière les barreaux après avoir dérobé et caché une très grosse somme.

Film noir argentin aussi brillant que les équivalents hollywoodiens de la même époque, tel ceux de Jules Dassin. L’ancrage de la parabole morale dans une réalité économique n’empêche pas la nervosité du style.

Saddle tramp (Hugo Fregonese, 1951)

Suite au décès accidentel de son frère chez qui il faisait étape, un cow-boy solitaire prend en charge ses neveux…

La tonalité de Saddle tramp est assez originale en ceci que son côté enfantin ne désamorce jamais complètement les enjeux dramatiques. Hugo Fregonese a su intégrer les facéties un peu comiques des enfants au western sans que la crédibilité de la narration n’en pâtisse. Il y a ainsi quelque chose de « dwanesque » dans l’itinéraire de ce héros chez qui les circonstances développent des qualités de bienveillance et d’altruisme sans que cela n’apparaisse jamais forcé ou appuyé. Les courtes scènes où il retrouve sa famille ont une telle densité d’expression que l’évolution du personnage apparaît naturelle. Moins violent et moins dur que Quand les tambours s’arrêteront ou Passage interdit, Saddle tramp bénéficie lui aussi d’une somptueuse photo de Charles P. Boyle. Son Technicolor, à l’opposé de la sobriété réaliste en vigueur par ailleurs à Universal (dans les chefs d’oeuvre de Mann notamment), est plein de contrastes baroques qui donnent aux images un relief saisissant. Saddle tramp est donc une nouvelle réussite à l’actif de Fregonese malgré une dernière partie un peu décevante du fait que l’artifice des conventions y reprend le dessus, ce qui étrique quelque peu le récit.

Passage interdit (Untamed frontier, Hugo Fregonese, 1952)

Le turbulent fils d’un grand propriétaire terrien qui refuse que les immigrants traversent son territoire épouse une femme pour éviter qu’elle ne témoigne contre lui dans une affaire de meurtre.

Passage interdit est un western ambitieux qui n’est pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions. C’est d’abord un film d’une richesse narrative extraordinaire. En moins de 80 minutes, il raconte en fait deux histoires: celle du conflit entre migrants et grands propriétaires (analogue à celui de La porte de Paradis mais traité ici avec plus d’honnêteté intellectuelle que chez Cimino) et celle de l’introduction forcée dans la famille d’une étrangère. Ces deux intrigues ne s’interpénètrent finalement jamais et la première, celle qui donne son titre au film, passe rapidement au second plan pour resurgir maladroitement à la fin. C’est là que le bât blesse. Le scénario ne tient pas toutes ses promesses initiales à cause d’un dénouement expédié. Il y a un hiatus entre le format très court du film et un récit qui aurait mérité davantage de développements.

C’est dommage d’autant que Passage interdit est par ailleurs magnifique. Les auteurs ont l’intelligence de ne pas montrer les propriétaires comme des monstres sanguinaires (ce que n’hésitait pas à faire Cimino dans La porte du Paradis) mais préfèrent présenter un conflit d’intérêts. Que ce conflit ne soit pas assez développé ensuite est un autre problème, déjà évoqué. De plus, les rapports entre cette famille et la jeune femme qui n’est pas de leur milieu sont assez fins et surprenants. Il y a évolution des personnalités de part et d’autre. Cette dialectique est certes, encore une fois, assez sommaire mais une scène magnifique comme celle où la femme assiste à l’encornage d’un cow-boy avant de le soigner vaut toute la virtuosité scénaristique du monde. Adoucir l’intransigeance du personnage à l’égard de la famille grâce à son empathie pour un de leurs employés est une idée lumineuse. A la fois logique, surprenante et pleine de grandeur. Il faut dire que Shelley Winters excelle dans ce rôle de fille pas très dégourdie qui s’insurge contre la pourriture morale de sa belle-famille.

Enfin, les lacunes du scénario sont largement compensées par le style du réalisateur argentin. Un style vif, percutant, dramatisant et discrètement baroque. La photographie est somptueuse. Les plans nocturnes sont grandioses. Les dominantes marrons et dorées donnent une tonalité hispanisante à l’image, la même que celle de Quand les tambours s’arrêteront; le chef opérateur, Charles Boyle, est le même et ça se voit. On a coutume de ranger Hugo Fregonese parmi les « petits maîtres ». Eh bien, il était au moins aussi maître que petit. Passage interdit, qui n’est pourtant pas son film le plus célèbre, est là pour en témoigner.

Les rayons de la mort du docteur Mabuse (Hugo Fregonese, 1964)

Un agent secret anglais est chargé de contrer un diabolique professeur qui a mis au point une arme redoutable.

Comme son résumé le laisse entendre, ce tardif opus de la série initiée par Fritz Lang est très influencé par James Bond qui faisait alors fureur. Des jolies filles en petite tenue, le décor agréablement touristique de l’île de Malte, l’arme surpuissante symbolisant évidemment la bombe atomique…Tout ceci est mis en scène avec ce qu’il faut de distance ironique pour rester amusant malgré l’évidente débilité de l’histoire racontée. Ajoutons au crédit du film qu’il y a des hommes-grenouilles. Les rayons de la mort du docteur Mabuse est donc une plaisante série B.

Savage pampas (Hugo Fregonese, 1966)

A la fin du XIXème siècle, en Argentine, un chef indien subvertit des soldats du gouvernement en leur offrant des femmes. Du coup, le chef du fort se voit chargé d’y escorter un groupe de prostituées.

Ce véritable western se déroulant, une fois n’est pas coutume, en Argentine rappelle le magnifique Convoi de femmes d’autant que l’excellent Robert Taylor joue ici aussi le rôle principal. L’époque (fin des années 60) fait que l’esthétique du film a plus à voir avec le baroque cheap des westerns italiens qu’avec la sécheresse des séries B réalisées par Hugo Fregonese lors de la décennie précédente. En témoignent la musique un peu kitsch et le sadisme de certaines scènes. Cependant, on retrouve la patte du metteur en scène argentin lorsqu’il filme les effets de l’action plutôt que l’action elle-même lors d’évènements cruciaux du scénario. Le cadre est original (pour qui a enquillé des centaines de westerns se déroulant en Amérique du Nord, c’est à dire tout cinéphile normalement constitué), le sujet intéressant et le récit dépasse les camps et idéologies préétablis pour affirmer une morale individualiste.

Quand les tambours s’arrêteront (Apache drums, Hugo Fregonese, 1951)

Une petite ville isolée est menacée par les Apaches.

Dernier film produit par Val Lewton (La féline, Vaudou, La septième victime…), Quand les tambours s’arrêteront jouit d’un certain prestige chez les amateurs de western. Il est vrai qu’il réunit les qualités propres aux meilleures séries B: subversion des codes du genre, évidence de l’exposition, rapidité de la narration, richesse des enjeux dramatiques, efficacité de la mise en scène. Qualités dont Hollywood a malheureusement perdu le secret depuis bien longtemps, l’inflation des budgets ayant entraîné l’inflation narrative.

Par ailleurs, l’influence du génial producteur se fait sentir dans une première partie ayant plus à voir avec le film d’horreur qu’avec le western. La gradation de la menace indienne est subtile. Les auteurs s’intéressent aux effets des attaques et non aux attaques elles-mêmes. L’essentiel de l’action a donc lieu hors-champ, ce qui permet de se focaliser sur les réactions des villageois tout en stimulant l’imagination du spectateur. A ce titre, il est dommage qu’une poignée de contrechamps déplacés percent le mystère un peu trop tôt.

La seconde partie, qui voit tous les survivants retranchés dans l’église affronter des guerriers apaches sortis d’un cauchemar, brille par son inventivité plastique. Le réalisateur argentin cristallise la terreur guerrière dans de saisissants tableaux façon Goya en Technicolor mordoré.

Bref, Quand les tambours s’arrêteront ne manque ni d’originalité ni d’intérêt. Pourtant, je n’y ai pas vu un chef d’oeuvre de la série B, un film de l’acabit des classiques d’Allan Dwan ou Budd Boetticher. La faute à plusieurs conventions mal digérées par les auteurs. La réconciliation des rivaux sous le feu de l’ennemi, l’arrivée deus ex-machina de la cavalerie…jurent avec l’ensemble. Il faut dire que les acteurs de deuxième ordre n’aident pas à incarner ces clichés.

Ainsi, sans prétendre au statut de chef d’oeuvre, Quand les tambours s’arrêteront est un très bon film.

Texte plus développé sur Inisfree

Man in the attic (Hugo Fregonese, 1953)

Découvrir un film signé Hugo Fregonese, petit maître d’origine argentine réalisateur de plusieurs joyaux de la série B hollywoodienne, est toujours intéressant. Mais malheureux qui comme le cinéphile oublie combien la frontière est mince entre secrète beauté et éventuelle insignifiance dans le cas de ces œuvres d’usine ! Ainsi de Man in the Attic, chronique sur Jack l’Eventreur qui s’avère ennuyeuse à cause d’un scénario convenu et lourdement psychologisant; le spectateur a généralement deux longueurs d’avance sur le personnage du flic de Scotland Yard. L’amateur appréciera cependant le rendu visuel des rues de Londres, (rien de tel que le fog pour l’ambiance gothico-fantastique, il est dommage que l’essentiel du film se passe en intérieurs), les fulgurances éparses de la mise en scène (le meurtre en caméra subjective) et surtout dans le rôle-titre, la présence de Jack Palance, la trogne la plus incroyable de tout le cinéma américain.

Le signe des rénégats (Hugo Fregonese, 1951)

Quel plaisir pour l’amateur que de se rendre compte que l’âge d’or hollywoodien est une mine qui n’a toujours pas fini de livrer ses joyaux ! Le signe des rénégats donc, rareté absolue -absente même de la rétrospective Fregonese programmée à la cinémathèque française en 2003- découvert grâce à France 3, s’avère être un très bon film de cape et d’épée, une oeuvre d’usine qui exhale la douce odeur du travail bien fait, une histoire conventionnelle mais racontée avec conviction par un artisan talentueux, j’ai nommé Hugo Fregonese. Hugo Fregonese, argentin d’origine, qui apporte une touche personnelle à ce récit rocambolesque qui se passe en Californie à l’époque de Zorro. En effet, si le scénario est une modèle de concision et d’efficacité narrative, si le réalisateur est parfaitement à l’aise dans la gestion des scènes d’action propres au genre, bien aidé en cela par un acteur principal bondissant en diable (Ricardo Montalban), Le signe des rénégats se singularise par son inhabituelle sensualité. Les rapports de séduction sont au centre de l’intrigue et Fregonese filme avec un égal bonheur le torse musclé de Montalban et les superbes gambettes de Cyd Charisse; le clou du film n’étant pas un duel comme à l’accoutumée dans ce genre du film mais un flamenco absolument éblouissant entre les deux vedettes.
un excellent article sur Hugo Fregonese