Trop jeune pour elle (I Could Never Be Your Woman, Amy Heckerling, 2007)

Une productrice de télé divorcée s’entiche d’un de ses acteurs, nettement plus jeune qu’elle…

Quelques scènes marrantes, un certain piquant satirique contre l’illusion de la jeunesse éternelle et le charisme des deux acteurs, Paul Rudd et la toujours très belle Michelle Pfeiffer, rehaussent l’intérêt de cette comédie opportuniste, pusillanime (la différence d’âge entre les amants aurait dû être plus importante) et globalement poussive (le pire étant le parallèle avec la fille qui vit ses premières amours).

La rédemption de Rio Jim (The return of Draw Egan, William S. Hart, 1916)

Un bandit en cavale accepte un poste de shérif dans une ville en proie au désordre…

De par la qualité de sa mise en scène, The return of Draw Egan fait indéniablement partie des meilleurs westerns de son temps. La sophistication d’un découpage très signifiant insuffle du poids à chaque geste de la star (le roulage d’une cigarette est aussi dramatisé qu’une fusillade) et concrétise la louable ambition des auteurs qui était de retracer l’évolution psychologique du héros plutôt que d’exciter le spectateur avec des chevauchées. En effet, à l’exception d’un début sur les chapeaux de roues, l’essentiel du film se déroule en milieu urbain. Toutefois, on ne m’empêchera pas de préférer la vive spontanéité des Cheyenne Harry de John Ford à la pesante précision des Rio Jim. L’austérité puritaine de William S. Hart aurait fait de lui un comédien idéal chez Dreyer mais rend son western quelque peu monotone. Je chicane parce que je pense que le grand air, le mouvement et la variété des registres conviennent mieux au genre que les intérieurs, les postures étudiées et le sérieux affiché mais The return of Draw Egan n’en demeure pas moins un très bon film, emblématique des génies de Hart et de la Triangle.

L’école Shiinomi (Hiroshi Shimizu, 1955)

Le père d’un petit infirme ouvre une école pour enfants handicapés…

Cette fois, les intentions édifiantes écrasent le film. Le découpage de Shimizu, où abondent les plans longs et mobiles, n’a rien perdu de son élégance et quelques scènes sont touchantes mais le scénario se contente de dérouler un programme qui asservit les personnages au message. L’acmé dramatique finale n’émeut guère tant elle apparaît comme un artifice larmoyant.

Michel Strogoff (Victor Tourjansky, 1926)

Le tsar envoie un officier derrière les lignes tatares pour rétablir les communications russes…

Certes, cette superproduction fertile en morceaux de bravoure et effets de montage est un des films où Tourjansky affirme le plus clairement sa maîtrise du cinéma, pas du tout évidente à déceler dans Calvaire d’amour ou Volga en flammes. Il n’en reste pas moins que les péripéties assommantes et les scènes de longueur excessive sont bien trop nombreuses. En dépit des couleurs au pochoir, des jolis paysages enneigés filmés en Lettonie, des charges de cavalerie et des courses-poursuites, les trois heures de Michel Strogoff sont donc dures à enquiller !

Les enfants du nid d’abeilles (Hiroshi Shimizu, 1948)

Dans le Japon dévasté de l’immédiat après-guerre, un jeune soldat démobilisé entreprend d’emmener une bande de gamins abandonnés à l’orphelinat où il a grandi…

Le nom de sa société de production (« Les films du nid d’abeilles ») ainsi que le fait que Hiroshi Shimizu a recueilli des orphelins après la guerre laissaient à penser que le présent opus lui tenait à coeur. Juger sur pièce aujourd’hui confirme ce pressentiment. Les enfants du nid d’abeille est un des films les plus émouvants que j’ai jamais vus.

Shimizu transfigure l’esthétique néo-réaliste -qu’il avait inventée dans les années 30- en traitant ce sujet brûlant d’actualité avec un sens poétique inné. Ainsi son découpage transforme t-il les bords de mer, les routes de campagne, les ruines de Hiroshima, les rivières et les montagnes en autant de caisses de résonance venant accueillir les tourments de ses petits héros victimes du chaos de l’après-guerre. Une foultitude d’idées visuelles matérialise l’émotion latente d’un récit des plus ténus. En faire la liste serait laborieux et gâcherait le plaisir de la découverte.

Le sens de l’espace du cinéaste n’a d’égal que son sens de la durée, tel qu’en témoigne l’étonnante dilatation de l’ascension finale. Le plus stupéfiant est que le lyrisme intense de cette mise en scène n’altère jamais la sensation de libre évidence propre aux grands films de Shimizu. La caméra se promène toujours autant. Les acmés émotionnelles -que le naturel de ses jeunes interprètes rend d’autant plus déchirantes- cohabitent avec des passages légers comme ce tabassage du maquereau rendu presque comique par le jeu sur le bord de cadre.

Bref, grâce à la pureté d’un style qui accorde suprêmement les paysages, l’évocation sociale et les destins individuels, Hiroshi Shimizu fait passer son message humaniste avec mille fois plus de force qu’un Vittorio de Sica. Alliant le génie de la mise en scène à la dignité du ton, il s’affirme à mes yeux comme un des plus grands artistes de l’Histoire du cinéma.

La maison des otages (Desperate hours, Michael Cimino, 1990)

Un psychopathe évadé du tribunal avec deux complices s’installe dans une maison bourgeoise et prend la famille qui y vit en otage…

Les tenants de la politique de l’auteur pourront facilement rattacher cette commande au reste de l’oeuvre de Michael Cimino grâce à l’avalanche de signes faisant de la famille attaquée la famille américaine par excellence mais aussi et surtout grâce à des échappées du huis-clos vers les canyons du Far-West qui sont magnifiques de sérénité. Néanmoins, ce qui fait de cette nouvelle version de La maison des otages un film méritant nettement mieux que la réputation désastreuse accolée par certains fans du cinéaste déçus par  l’absence d’ambition apparente du projet, c’est l’éclat d’un style parvenant à oblitérer l’artifice de plusieurs prétextes dramatiques: l’élégance des mouvements de caméra, la sécheresse précise du montage, la sensibilité à la beauté des paysages, l’expressivité des éclairages et la somptuosité hermannienne de la musique dénotent l’implication du maître d’oeuvre et confèrent à ce modeste polar une allure des plus classieuses.

Sally, fille de cirque (Sally of the sawdust, David W. Griffith, 1925)

Un bateleur accompagné de sa fille adoptive se rend dans une foire organisée par les grands-parents de cette dernière qui ne la connaissent pas car ils ont renié leur fille lorsqu’elle s’est mariée un artiste de cirque.

Contrairement à ce que ce rocambolesque résumé pourrait laisser croire, Sally, fille de cirque, adaptation muette d’une comédie musicale, n’est pas à proprement parler un mélodrame. En effet, les péripéties liées à la mère reniée puis mourante sont expédiées dans une rapide exposition et l’essentiel du film oscille entre l’action truculente -les bastons du bateleur avec les gens qu’il escroque- et le lyrisme délicat-le recueillement de Sally sur la tombe de sa mère, les retrouvailles musicales avec sa grand-mère. Cette tendresse du ton, discrètement sous-tendue par une vision très caustique de la société américaine, insuffle à cette oeuvre mineure de Griffith une beauté chaplinesque. Je parle d’ « oeuvre mineure » plutôt que de « joyau caché » car même si Sally, fille de cirque demeure un film attachant, je regrette que l’auteur de Naissance d’une nation ait plaqué artificiellement ses sempiternels trucs de montage parallèle pour relancer la dramaturgie lors du dernier acte.

I love you, je t’aime (A little romance, George Roy Hill, 1979)

A Paris, deux enfants surdoués, la fille d’une riche Américaine et le fils d’un chauffeur de taxi, tombent amoureux…

Adaptation du best-seller E=Mc² mon amour. En dépit de personnages secondaires affreusement caricaturaux, la première partie est pas mal, contenant son lot de scènes drôles ou justes et illuminée par la fraîcheur de la jeune Diane Lane aussi bien que par le lyrisme de Georges Delerue. Cela fait penser à du Truffaut hollywoodianisé. La suite, envahie par le cabotinage de Laurence Olivier, donne l’impression que les auteurs se sont réfugiés dans la fantaisie en toc pour éviter de traiter franchement leur sujet. Le plan-climax du baiser est tout de même touchant par sa sobriété.

Le héros de la Marne (André Hugon, 1938)

Grâce à la guerre, un père de famille se réconcilie avec toute sa famille.

Rocambolesque mélodrame qui mêle très grossièrement et très platement Dieu, la famille et la patrie. C’est de surcroît découpé n’importe comment (mais peut-être cette impression est-elle due au lamentable état de la copie, le négatif ayant été détruit par les Allemands). Une ou deux jolies images de la moisson et quelques plans d’intérieur éclairés avec une surprenante sophistication n’empêchent pas que Le héros de la Marne soit globalement nul.

Le coeur et l’argent (Louis Feuillade, 1912)

La fille des propriétaires d’une auberge, bien qu’amoureuse d’un jeune homme, est mariée à un riche client de ses parents…

Les acteurs sont relativement sobres, le cadre fluvial, élargi par les panoramiques de la caméra, donne un joli naturel à l’idylle de convention et l’utilisation des surimpressions et du split-screen pour figurer les réminiscences des personnages se révèle pertinente. Le coeur et l’argent est un bon mélodrame.

 

Onésime horloger (Jean Durand, 1912)

Pour hériter rapidement de son oncle, Onésime accélère le temps.

Onésime horloger est un parfait témoignage de l’art de Jean Durand et de sa troupe, les Pouittes. Réalisés au sein de la très bourgeoise Gaumont, ses films ont introduit dans le cinéma hexagonal un burlesque littéralement dévastateur et un sens de l’absurde, plus anglais que français, franchement malaisant (Onésime qui se trimbale avec ses poumons à la main dans Onésime et l’étudiante). Le jusqu’au boutisme destructeur de ces mises en scène se situe à l’opposé de la fadeur bon teint des comédies de Louis Feuillade. Sa folie salace fait de lui le plus authentique précurseur des Marx Brothers.

Ici, l’utilisation de l’accéléré pendant les trois quarts du métrage, en plus de subjuguer le spectateur par la rapidité de l’enchaînement des gags, donne une portée métaphysique à la vision du monde anarchisante de Durant.

La rue des rêves (David W. Griffith, 1921)

A Londres, deux frères -un chanteur et un auteur-compositeur- se déchirent pour une danseuse…

La piètre réputation de cette deuxième adaptation de Thomas Burke par Griffith (après Le lys brisé) est injustifiée. Si le début, avec ses plates allégories, fait craindre que le cinéaste se soit laissé aller à ses pires penchants, le manichéisme initial se trouve pulvérisé au cours d’un récit retors aux accents magnifiquement dostoïevskiens. Si Carol Dempster n’a certes pas la grâce de Lilian Gish, l’exubérance de son jeu est parfaitement adaptée à son rôle de danseuse. Le metteur en scène a enrichi son découpage, toujours hyper-fonctionnel, d’une délicate poésie de studio qui préfigure le Kammerspiel. En somme, la représentation d’une humanité mythifiée selon l’auteur de Intolérance n’a rien perdu de sa force vive. Grand, évidemment grand.

Erreur tragique (Louis Feuillade, 1912)

Après l’avoir aperçue dans un film d’Onésime avec un autre homme, un mari se met à soupçonner son épouse…

Ce film de 1912 est évidemment intéressant du fait que le drame commence avec un film dans le film. Grâce à cette mise en abyme, les auteurs ont trouvé un moyen visuel et percutant de suggérer, tout en restant mystérieux, une éventuelle infidélité de leur personnage féminin. Cette trouvaille est joliment exploitée dans un « mélodrame bourgeois » bien mené et bien réalisé. Formellement parlant, on note une photographie parfois assombrie qui est alors en accord avec les tourments du mari jaloux (embryon d’expressionnisme) et un petit montage parallèle qui dramatise judicieusement le dénouement.

La trahison (Philippe Faucon, 2004)

En 1960 en Algérie, des informations du deuxième bureau amènent un lieutenant français à surveiller de près les quatre musulmans de sa section…

Philippe Faucon a réalisé un très bon film de guerre sans pour autant démarquer ses glorieux prédécesseurs car le travail -policier, social et urbain- des soldats en Algérie est très différent de celui des fantassins du Pacifique et appelle donc des options de mise en scène différentes de celles adoptées par les maîtres du genre que furent Walsh, Fuller et Schoendoerffer. En plus de montrer le tragique de la situation des Arabes tiraillés entre le FLN et l’armée française, le cinéaste fait particulièrement bien ressentir l’inquiétude perpétuelle et la méfiance absolue régnant des deux côtés de la barrière, une barrière inéluctable en dépit des illusions des uns et des autres.

Utilisant un habile prétexte scénaristique, découpant dans le sens de l’épure et de la suggestion, maîtrisant le format Scope comme peu de ses collègues français, filmant la nuit et le petit matin avec une discrète et étonnante sensibilité plastique, Faucon finit par instaurer un véritable suspense enraciné dans une réalité sobrement et précisément reconstituée. Seuls une ellipse lors de la seule scène de bataille qui apparaît comme un volontariste refus du spectaculaire ainsi qu’un ou deux dialogues explicitant une problématique parfaitement exprimée par ailleurs altèrent la beauté de ce film sec et affûté comme le visage de son interprète principal, Vincent Martinez.

Rue des âmes perdues/Son dernier tango (The woman he scorned, Paul Czinner, 1929)

Parce qu’il s’y est engagé devant Dieu qui lui a sauvé la vie, un gardien de phare épouse une fille de bastringue…

Mélodrame des plus schématiques transfiguré par la virtuosité totale et le raffinement visuel de Paul Czinner. L’histoire n’est guère sophistiquée et souvent bêtement conventionnelle mais force est de constater que le cinéaste n’a besoin que de peu de cartons pour la raconter. Plusieurs scènes -la séduction ambiguë dans le bar- et plans -le travelling légèrement satirique sur la table du mariage, le dernier sur la plage- ont une force d’expression indépendante du récit faiblard qui les porte.

Le grand National (National Velvet, Clarence Brown, 1944)

Une petite fille se met en tête de gagner la course hippique du grand National…

Ce film édifiant et longuet ne raconte finalement pas grand-chose. Il est difficile de comprendre l’amour démesuré de la gamine pour son canasson. Heureusement, il y a la splendeur des images en Technicolor (paysages verdoyants, robe orangée du cheval) et, aussi, une bonne scène de course.

Protéa (Victorin Jasset, 1913)

Un ministre engage une espionne pour dérober le traité d’alliance entre deux pays ennemis…

Non seulement le cinéma de Victorin Jasset préfigure les serials de Louis Feuillade mais il a également atteint un niveau d’achèvement supérieur aux Vampires et ce, dès avant la Première guerre mondiale. Protéa, son dernier film avant son décès prématuré en 1913, frappe en effet par sa netteté dans la conduite de l’action et la perfection de son rythme.

Il n’y a aucune prétention psychologique ou politique dans le récit -quoique l’intrigue, mince comme du papier à cigarette, soit évidemment inspirée du contexte européen de l’époque- mais celui-ci est nourri par un perpétuel jaillissement d’inventions concrètes. Infiltrations, cambriolages et courses-poursuites s’enchaînent avec une vivacité et un sens du mouvement jamais pris en défaut. L’exploitation du décor et des accessoires à des fins narratives dénote une remarquable intelligence de la mise en scène. La deuxième moitié du film (ce qui reste du métrage aujourd’hui dure moins d’une heure) relève de l’action continue, à faire pâlir d’envie les auteurs de Mission: impossible.

De plus, ce premier film d’espionnage de l’histoire du cinéma est mené avec une fantaisie, une légèreté et un soupçon d’ironie -toutes qualités cruellement absentes des très sérieux Vampires– qui en font une sorte de lointain parent du Danger Diabolik! de Bava. Josette Andriot, égérie du cinéaste, et Lucien Bataille forment un couple d’espions aussi sympathiques qu’amoraux.

Avec sa grammaire encore rudimentaire (mouvements de caméra infimes, pas de gros plans), Protéa est, déjà, une sorte de chef d’oeuvre tant est éclatante l’adéquation entre l’ambition de Jasset et les moyens employés pour réaliser cette ambition: un constant divertissement qui puise ses sources dans le roman-feuilleton et où le cinéma se révèle l’art idéal pour retranscrire la jubilation de l’action.

Le chiffonnier de Paris (Serge Nadejdine, 1924)

Sous Louis-Philippe, la fille d’un chiffonnier est séduite par un officier dont la fiancée veut se débarrasser d’un bébé…

Mélodrame vieillot produit par Albatros d’après une pièce de Félix Pyat. Non seulement le scénario accumule les rebondissements faciles mais de surcroît, la mise en scène accentue leur ridicule en étirant les péripéties les plus grotesques, tel le suicide de la jeune fille. Dans ce genre de moment, le jeu outré de la fort peu gracieuse Hélène Darly (qui est comme l’opposé de Lilian Gish) n’aide pas à faire passer la pilule. Parmi la distribution, seul Nicolas Koline, dans le rôle-titre, tire son épingle du jeu. La direction artistique est de qualité et regarder les images, parfois jolies, atténue légèrement le pesant ennui provoqué par la projection de ce navet.