Jody et le faon (The yearling, Clarence Brown, 1946)

En Floride après la guerre de Sécession, le fils d’un couple de fermiers se lie avec un faon.

Cette ligne de synopsis peut laisser imaginer un film niais mais il n’en est rien. Jody et le faon est un récit d’apprentissage parmi les plus âpres qui soient. Dès les plans du début où la sévère mère se recueille sur les tombes de ses enfants décédés en bas-âge, la Mort alimente le récit. Plus tard, la relation entre l’enfant et l’animal naît dans le sang.

Cette dureté, qui correspond à la vie des pionniers décrite par le film, est contrebalancée par la splendeur lyrique avec laquelle sont filmés les décors naturels. Tenant à tourner en Floride, la MGM a mis cinq ans à boucler le film mais le résultat en valut la chandelle. Le Technicolor parmi les plus beaux de l’histoire hollywoodienne et les mouvements de caméra d’une ampleur minnellienne permettent à Clarence Brown de faire des séquences de chasse et de course autant de morceaux de bravoure qui exaltent la communion avec la Nature même si, à certains instants, la musique sirupeuse fait verser ces séquences dans le chromo.

Tant qu’on est dans le rayon des regrets, signalons aussi que Claude Jarman Jr est plus fade et moins émouvant que Dean Stockwell ou Roddy McDowall et que le montage aurait gagné à davantage de concision (même si on comprend qu’il soit difficile de couper des images qui sont plus belles les unes que les autres). Ces réserves empêchent Jody et le faon de se hisser au rang de chef d’oeuvre mais pas au rang de film magnifique et étonnant.

La mélodie du bonheur (Blue skies, Stuart Heisler, 1946)

Deux amis, un danseur vedette et un tenancier de salles, se disputent l’amour d’une danseuse.

Bonne comédie musicale dont les principaux atouts sont les excellentes chansons d’Irving Berlin, les numéros de Fred Astaire et, aussi, une relative crédibilité dans les scènes un peu dramatiques grâce notamment au poids de l’interprétation de Bing Crosby, qui engendre un beau contraste avec la grâce aérienne de son partenaire. La fin, façon Sérénade à trois, étonne.

Donde mueren las palabras (Hugo Fregonese, 1946)

Le vieil employé d’un théâtre de marionnettes noue une amitié avec un jeune pianiste qui découvrira son secret.

Difficile de partager l’enthousiasme de Lourcelles pour ce film assez mal construit (l’intrigue avec le sculpteur et le long ballet altèrent la densité du récit qui a la concision d’une nouvelle) quoique contenant quelques fulgurances (la fin qui montre un suicide et non un régénération du chef d’orchestre -première erreur de visionnage que je constate dans le fameux Dictionnaire des films). Le décorum apporte une tonalité gothico-sympathique et la musique classique un certain lyrisme mais tout ça est au service d’une réflexion sur l’art, la vie et la mort des plus bateaux.

Adieu chérie (Raymond Bernard, 1946)

Une entraîneuse aide un jeune oisif à échapper à la pression matrimoniale de sa famille.

Jacques Companeez et Raymond Bernard ont certainement voulu réitérer J’étais une aventurière car l’argument -la vérité des sentiments qui perce sous les faux-semblants de la chercheuse d’or- est fondamentalement identique. Cependant, la réussite est moindre. Se déroulant essentiellement dans un unique château et pâtissant de dialogues se voulant spirituels mais médiocrement conventionnels, Adieu chérie est un film nettement plus théâtral, dans le mauvais sens du terme. Le jeu entre comédie sociale et profondeur des états d’âme, qui est le sujet du film, n’est qu’entrevu à cause d’une écriture trop velléitaire. Cependant, l’audacieuse dernière partie relève le niveau et insuffle une consistance inattendue aux personnages, comme s’ils avaient été révélés à eux-même par l’intruse. C’est beau. Et ça l’est d’autant plus que la grande Danielle Darrieux brille de ses mille éclats, passant de la nargue à la mélancolie avec le même naturel qu’un adagio succède à un allegro dans une même symphonie de Mozart.

Quelque part dans la nuit (Joseph L. Mankiewicz, 1946)

Enquêtant sur sa propre identité, un soldat devenu amnésique se rend compte qu’il était mêlé à des affaires de truands.

L’interprétation, très moyenne, n’aide pas à intéresser à un récit complètement tiré par les cheveux. En plus, c’est excessivement long, eu égard au script de médiocre série B.

Le château du dragon (Dragonwyck, Joseph L. Mankiewicz, 1946)

Au XIXème siècle, la fille d’une famille puritaine s’installe chez un cousin qui règne en seigneur sur ses terres.

La beauté plastique, bien digne de l’âge d’or de la Fox, et une relative nuance dans la présentation du méchant n’empêchent pas ce drame, très théâtral, d’apparaitre un peu poussif.

Je ne regrette rien de ma jeunesse (Akira Kurosawa, 1946)

Des manifestations étudiantes de 1933 à la défaite de 1945, l’histoire de la fille d’un professeur libéral amoureuse d’un agitateur radical.

Les habitués de ce blog savent que son auteur n’est pas fou d’Akira Kurosawa. La surprise a donc été agréable de découvrir une de ses premières oeuvres, moins célèbre mais également moins pesante, moins caricaturale et plus concrète que nombre de ses classiques. En effet, Je ne regrette rien de ma jeunesse est peut-être le film de Kurosawa où l’histoire et la politique sont montrés avec le plus de justesse, loin de l’abstraction de ses transpositions de Shakespeare dans un passé japonais lointain et à moitié mythifié. En dehors du discours final un peu trop explicite, la propagande libérale y est parfaitement intégrée à un itinéraire amoureux, amical et politique donc singulier, émotionnel et romanesque où les rapports entre « rouges », « libéraux » et gouvernement dictatorial évoluent au fur et à mesure du récit. Le personnage de l’ami qui travaille pour l’état apporte une salvatrice complexité dramatique.

Visuellement, le film alterne des parlottes un peu mornes mais où pointe parfois une vraie sensibilité (exemple: la scène de groupe où le seul découpage permet de se figurer les sentiments de l’héroïne avant qu’elle ne les déclare) et séquences plus lyriques dans la nature où Kurosawa, visiblement influencé par le cinéma soviétique, se la donne grave. C’est exemplairement le cas de la superbe -mais amère- dernière partie qui montre l’héroïne travailler aux côtés de sa belle-mère à la campagne. Enfin, cet admirable portrait de femme, jouée par Setsuko Hara (future égérie d’Ozu), que l’amour aura conduite à l’émancipation* et à la sagesse, nuance considérablement la réputation misogyne de l’auteur des Sept samouraï.

*Je ne regrette rien de ma jeunesse est un des très rares films de son époque, tous pays confondus, à montrer, sans jugement, un ménage non marié.

Strange impersonation (Anthony Mann, 1946)

Une chimiste teste sur elle un de ses produits et se retrouve embarquée dans une extraordinaire aventure…

Le caractère abracadabrantesque du récit est justifié par la plus attendue des pirouettes finales (et par un judicieux fondu enchaîné). Anthony Mann fait ce qu’il peut (découpage concis, vague expressionnisme le temps d’une scène) mais la modicité des moyens alloués à cette série B de 68 minutes a sans doute empêché sa dimension cauchemardesque de s’épanouir pleinement. Un remake par David Lynch serait intéressant.

La foire aux chimères (Pierre Chenal, 1946)

Par amour pour la partenaire aveugle d’un lanceur de couteaux, un graveur de billets excellent et défiguré se met à faire de la fausse monnaie…

Cet avatar tardif du réalisme poétique a le mérité d’être plus incarné que ses prédécesseurs: le drame a pour origines la chair meurtrie du personnage d’Erich Von Stroheim et les yeux inopérants de son amoureuse. Même s’il est fondamentalement conventionnel, le récit est -à l’exception du consternant dénouement- agencé avec suffisamment de précision pour que le spectateur y croit: à part quelques lignes de dialogues de Madeleine Sologne, le film est dépourvu du côté éthéré et fumeux des histoires d’amour de Prévert. J’ai beaucoup songé à Tod Browning, un petit peu à Chaplin (les auteurs de La foire aux chimères se sont certainement souvenus des Lumières de la ville). Pierre Chenal prouve encore une fois son talent de metteur en scène avec notamment un excellent sens du décor et de l’atmosphère, toujours au service de l’action, que ce soit à la fête foraine ou dans la somptueuse demeure destinée à accueillir la dulcinée. Si le film est une (petite) réussite, c’est en grande partie grâce à lui.

L’homme au chapeau rond (Pierre Billon, 1946)

Un veuf harcèle l’amant de son épouse.

Dostoïeveski rapetissé par Spaak, et Pierre Brive. Les adaptateurs ont été incapables de penser la transposition d’un médium vers un autre et leur film est une succession de scènes de parlotte dont la réplique finale donne un bon aperçu de la médiocrité: « on fait des choses terribles quand on est terriblement malheureux ». Outre davantage de mouvement, le cinéma appelait à préciser la nature de la relation entre les deux personnages principaux et à concrétiser leur environnement avec des détails justes or le principal apport de la mise en scène consiste ici en de vagues relents d’expressionisme fatigué. Raimu, dans son dernier rôle, compose plus qu’il n’incarne et Aimé Clariond fait du théâtre.

Child of divorce (Richard Fleischer, 1946)

Les parents d’une petite fille divorcent.

Un drame court, sec et juste. Voir un film hollywoodien montrer, avec autant de cruauté tranquille que chez Luigi Comencini ou Mikio Naruse, des parents se désintéresser de leur progéniture stupéfie. Coup d’essai, coup de maître pour Richard Fleischer.

Jericho (Henri Calef, 1946)

Le 6 juin 1944 dans une ville du nord de la France, cinquante otages sont arrêtés pour empêcher qu’un train crucial de l’Armée allemande ne soit neutralisé par la Résistance.

Une célébration de la Résistance et de la RAF qui, même si elle été réalisée au lendemain de la guerre, s’avère d’une grande subtilité. D’abord, la construction du récit est originale: l’absence de héros et la multiplicité des protagonistes permettent de varier les situations dramatiques aussi bien que d’éviter le romanesque de pacotille. Une technique sûre d’elle-même, pleine de mouvements d’appareil, fait le liant. Ensuite, les auteurs font preuve d’une belle hauteur de vue: à l’exception du trafiquant joué par Pierre Brasseur, aucun personnage n’est caricaturé et l’oeuvre s’attache plus à restituer la complexité de dilemmes tragiques qu’à asséner des vérités politiques. Par ailleurs, il y a une richesse et une finesse dans les détails qui renouvellent régulièrement l’intérêt au-delà du déroulement de l’arc narratif principal: le digne personnage de Larquey qui aurait pu si facilement sombrer dans le mauvais pittoresque, la scène vertigineusement ambivalente de la confession, le pendu…Enfin, le tout est transfiguré par l’extraordinaire morceau de bravoure final qui, aussi véridique et attendu soit-il, n’en donne pas moins des allures de film de miracle hollywoodien à la chronique de l’Occupation. Pour toutes ces raisons, Jericho est un bien beau film.

Naissance du cinéma (Roger Leenhardt, 1946)

Depuis la lanterne magique inventée au XVIIème siècle jusqu’au 28 décembre 1895, Roger Leenhardt retrace l’histoire de l’invention du cinéma.

Naissance du cinéma est d’abord un chef d’oeuvre de cinéma didactique car, au-delà de la présentation anecdotique des différents appareils ayant précédé le cinématographe, Roger Leenhardt rend sensible la progression intellectuelle et technique qui a présidé à l’invention des frères Lumière. Mélangeant avec brio images de « pré-films », animations pédagogiques et séquences reconstituées qu’il accompagne avec une voix-off parfaitement écrite, il émeut en quelques minutes lorsqu’il évoque le destin de Emile Reynaud et il donne à la naissance du cinéma des allures de grande conquête humaniste. En cela, il fait de cette commande du CNC un film d’auteur.

La victoire des femmes (Kenji Mizoguchi, 1946)

Dans le Japon de l’après-guerre, une jeune avocate défend une infanticide.

La thèse féministe du scénariste et communiste Kaneto Shindo se fait plus lourdement sentir dans les revirements de la fin qui font peu de cas de la logique individuelle que dans la première partie qui présente la ruine morale et économique du Japon d’après-guerre avec une nudité implacable et empathique bien digne de Mizoguchi. Le plan où la profondeur de champ révèle trois niveaux différents d’action témoigne élégamment de la stupéfiante richesse d’une mise en scène dont les maîtres mots sont condensation, pudeur et vivacité.

Amours, délices et orgues (André Berthomieu, 1946)

Amoureux d’une jeune fille aperçue à une fête de village, des pensionnaires d’internat provoquent des quiproquos.

La musique est en fait peu présente. Le jeu caricatural des acteurs est tout ce qu’il y a pour compenser la fade ineptie du script (de Julien Duvivier…). C’est raté.

Un ami viendra ce soir (Raymond Bernard, 1946)

Dans les Alpes sous l’Occupation, un chef de la Résistance se cache dans un asile…

Le manichéisme du discours, l’extrême caricature des personnages allemands, certes excusables compte tenu de l’époque du tournage, mais aussi et surtout la poussiéreuse dramaturgie reposant sur un mystère sans intérêt (« qui est le commandant parmi les fous? ») et la vaine hystérie de la mise en scène (acteurs en roue libre, contrastes saugrenus et cadrages de traviole) rendent ce film irregardable aujourd’hui.

Les assassins sont parmi nous (Wolfgang Staudte, 1946)

A Berlin après la guerre, une jeune femme de retour d’un camp récupère son appartement où s’est installé un ancien soldat du front de l’Est…

Pour filmer l’Allemagne de l’après-guerre, Wolfgang Staudte a adopté une esthétique d’avant-guerre: cadrages penchés, contrastes marqués, gros plans à gogos, musique assourdissante. Bref, un expressionnisme surdramatisant qui, allié à la convention du récit, fait que le film sonne terriblement artificiel en dépit du décor naturel et impressionnant de Berlin en ruines. De là que Les assassins sont parmi nous, premier film allemand sorti en France après la Libération, n’est pas resté dans l’Histoire du cinéma au contraire des chefs d’oeuvre contemporains de Rossellini dont la nudité s’accordait à ce qui était filmé.

Au petit bonheur (Marcel L’Herbier, 1946)

L’épouse d’un éditeur pourchasse son mari qu’elle soupçonne de le tromper…

Théâtre filmé poussif où l’hystérie des acteurs (épouvantable François Périer) est censée suppléer à la redondante nullité du scénario. Les préciosités visuelles de Marcel L’Herbier ne font qu’accentuer le sentiment de vacuité qui émane de ce navet.