Avril, avril (Detlef Sierck, 1935)

Un fabricant de pâtes et son épouse, imbus de leur réussite, sont victimes d’un poisson d’avril: un ami se fait passer pour un prince souhaitant visiter l’usine.

Ce premier long-métrage du futur Douglas Sirk est une comédie plus enlevée que d’autres comédies allemandes des années 30 (comme celles de Hanns Schwarz), grâce notamment à une caméra relativement dynamique. Pas si mal, malgré des acteurs qui n’ont pas la prestance de leurs homologues américains.

Aysel la fille du marécage (Muhsin Ertuğrul, 1935)

Une fille violée se fait embaucher dans une ferme…

Remake turc de La fille de la tourbière qui avait également été filmée par Douglas Sirk en Allemagne. C’est dire l’universalité d’une histoire qui évoque aussi Pagnol et Mizoguchi. La concision de la narration (ça dure moins d’une heure dix), l’ancrage réaliste -la présence de la campagne, de la pierre, des moutons- et la jolie sobriété des comédiens rendent le film prenant, malgré des approximations du découpage et un dénouement peu crédible qui affadit le drame.

Les révoltés du Bounty (Frank Lloyd, 1935)

A la fin du XVIIIème siècle, la révolte de l’équipage du Bounty contre la cruauté du capitaine Bligh.

En son temps considéré comme un classique, ce film d’aventures maritimes a rapidement été dépassé par ceux de Michael Curtiz, infiniment plus fougueux (ses collaborations avec Errol Flynn) ou puissants dramatiquement (Le vaisseau fantôme, chef d’oeuvre encore trop méconnu). Cependant, l’académisme de Frank Lloyd a au moins deux mérites. D’abord un savoir-faire qui assure une qualité minimale tant au niveau du dessein d’ensemble (rythme qui n’est pas mou malgré la longue durée) que du détail (brillante distribution, qualité des nombreuses et très cinégéniques scènes d’action sur le bateau). Ensuite, son approche purement routinière du sujet lui permet de filmer avec une égale distance les marins soumis à la tyrannie du capitaine, l’admirable sang-froid de celui-ci lors de sa traversée héroïque après avoir été abandonné et la dureté des lois sur le nouveau Bounty. Cela sort la dramaturgie du manichéisme qui la plombait durant toute la première partie où la méchanceté de Bligh était filmée sans la moindre nuance.

A travers l’orage (Way down East, Henry King, 1935)

Dans la campagne américaine, le fils d’un fermier puritain tombe amoureuse de la nouvelle servante, au passé mystérieux.

Nouvelle adaptation de la pièce immortellement adaptée par D.W Griffith en 1920. Le film d’Henry King est l’exact contraire du classique muet. D’abord, il est presque deux fois moins long. Les vicissitudes de l’héroïne avant son arrivée à la ferme sont épargnées au spectateur. Le découpage, quoique mettant joliment en valeur la campagne, est un modèle de concision, sans le caractère brouillon de certains passages du film de Griffith. De plus, à l’opposé du manichéisme outrancier de l’auteur du Lys brisé, Henry King ne surappuie jamais la dramaturgie voire insuffle de belles nuances qui enrichissent l’humanité des protagonistes (confer la différence capitale dans la célèbre séquence finale). Enfin, Henry Fonda, superbe révélation de ce film, est plus convaincant que Richard Barthelmess dans le rôle du jeune amoureux.

Pourtant, en dépit de ces qualités, il n’est pas étonnant de constater que ce remake ait été, au contraire de son prédécesseur, oublié: si A travers l’orage version King est une perfection d’équilibre et de finition, il est également dénué de tout génie. Or celui de Griffith, secondé par Billy Bitzer à son sommet, fut un grand pourvoyeur d’images puissantes et sublimes donc inoubliables. Et évidemment, la gentille Rochelle Hudson ne fait pas le poids face à Lilian Gish, personnification de la mater dolorosa la plus incandescente de l’histoire du septième art.

La malle de Singapour (China seas, Tay Garnett, 1935)

Sur son paquebot dont la cargaison d’or attire les pirates, un capitaine est poursuivi par la dernière femme qu’il a séduite au port et retrouve par hasard son ancienne fiancée de la haute-société…

Un film d’aventures dont la dramaturgie conventionnelle est épicée par le sexy duo Clark Gable/Jean Harlow, une atmosphère truculente typique de Tay Garnett et un petit parfum de lutte des classes qui nuance le manichéisme habituel.

La marmaille (Bernard-Deschamps, 1935)

Un veuf père d’une petite fille épouse la mère d’un petit garçon…

Cette étrange pépite du cinéma français des années 30 commence comme une évocation naturaliste nourrie de détails très concrets (les enfants qu’on met sur le palier pour pouvoir faire l’amour), continue comme un mélodrame au schématisme un peu expéditif et s’achève en beau conte de Noël. Non seulement les registres varient au fur et à mesure de la projection mais l’intérieur de chaque partie est équilibré par un contrepoint. Chaque plan, chaque phrase, chaque inflexion du récit contient sa propre critique. Ce sens dialectique culmine dans le double sens de la réplique finale. L’interprétation aux mille nuances de Pierre Larquey (fût-il jamais meilleur que chez Bernard-Deschamps?) et la justesse des enfants empêchent l’excès pathétique. La longue errance du personnage principal préfigure l’amertume de la dernière partie de Place aux jeunes;  d’ailleurs, La marmaille est un peu à Place aux jeunes ce que Place aux jeunes est à Voyage à Tokyo.

Le col du grand Bouddha (Hiroshi Inagaki, 1935)

Un samouraï possédé par le mal croise des proches de gens qu’il a assassinés…

Première partie d’une adaptation d’un roman-fleuve. Passant d’un point de vue à un autre sans logique évidente, la narration manque d’unité dramatique mais les samouraïs dans la montagne, la forêt et la neige sont joliment filmés. Il y  a même une ou deux évocations élégiaques.

Le jeune homme capricieux (Mansaku Itami, 1935)

Deux samouraï tentent de s’infiltrer chez un ennemi de leur maître…

Le jeune homme capricieux confirme à mes yeux le talent et la singularité de l’auteur de L’espion Kakita Akanishi. Le ton picaresque et comique, que des inventions de montage poussent jusqu’à la pure fantaisie,  brocarde allègrement les valeurs du bushido mais n’empêche pas les combats d’être filmés avec vivacité et la beauté des décors naturels d’être restituée. L’élégance de Mansaku Itami se traduit également par une célébration de l’intelligence qui préfigure les héros de John McTiernan.

Okoto et Sasuke (Yasujiro Shimazu, 1935)

Son jeune assistant tombe amoureux d’une professeur de shamisen aveugle.

La construction de ce mélodrame est assez bizarre dans la mesure où le drame, puissant, ne se noue qu’après pas mal de digressions qui montrent la professeur de musique, interprétée par l’excellente Kinuyo Tanaka, dans son école de musique et avec ses parents. Un aspect qui étonne, compte tenu de l’époque de l’oeuvre, est que l’héroïne tombe enceinte sans que personne ne sache le nom du père (pas même le spectateur) et que la narration ne s’en préoccupe guère. On acte que l’on va confier le bébé parce que la mère veut rester indépendante et on passe à autre chose. L’unité peine à se faire sentir dans cette oeuvre globalement terne mais les acteurs sont justes et le découpage soigné met en valeur la joliesse nippone (cerisiers en fleurs, façades de demeures traditionnelles…). Bref, c’est pas mal mais je n’en ferais pas un classique du cinéma japonais de l’époque.

Une fille à papa (René Guissart, 1935)

Une orpheline demande à un employé d’un hôtel de l’accompagner aux sports d’hiver en prétendant être son père.

Trop pauvre en gags et en répliques piquantes pour être une bonne comédie, trop dérisoire dans son traitement (voir le cabotinage de Lucien Baroux) pour que l’histoire soit prise au sérieux pendant plus d’un quart d’heure, Une fille à papa est à peu près un navet. J’en viens à me dire que René Guissart n’est peut-être pas un génie du cinéma.

Le chemineau (Fernand Rivers, 1935)

Un journalier itinérant met une fille de ferme enceinte avant de repartir…

Après le beau film muet de Henry Krauss, voici une nouvelle adaptation de la pièce de Jean Richepin. Plus encore que le sobre Krauss, Fernand Rivers a magnifié la campagne française. La liberté du ton (ménage à trois en toute tranquillité), le lyrisme de la musique et, surtout, l’intégration des personnages aux paysages ensoleillés, renforcée par les travellings, confèrent à la première partie une sensualité lumineuse et panthéiste qui préfigure Une partie de campagne. La photographie de Jean-Pierre Mundviller ne se borne pas enregistrer la spendeur de la Nature mais dramatise plusieurs plans grâce à de superbes contrastes. Chantant, dansant ou doutant, Victor Francen interprète un personnage aux multiples facettes. Cette inspiration variée de la mise en scène permet de faire passer les artifices d’une dramaturgie qui reste fondamentalement théâtrale. Cette fois, même si je ne le partage pas à 100%, l’engouement de Paul Vecchiali (« une des oeuvres les plus fortes réalisées en France dans les années 30 ») est compréhensible.

Un oiseau rare (Richard Pottier, 1935)

Suite à un concours de publicité, le fils d’une oiseleuse et un riche héritier se retrouvent dans un hôtel des Alpes où leurs identités sont confondues.

En tant que scénariste, Jacques Prévert est surestimé car son manque de rigueur l’empêchait de construire correctement les récits. Les branlantes fondations d’oeuvres aussi diverses que Lumière d’été, Les visiteurs du soir et Sortilèges en témoignent. Face à Un oiseau rare, il y avait lieu d’avoir d’autant plus d’appréhension que la comédie, selon le lieu commun, « demande plus de travail que le drame ». Et il est vrai que Un oiseau rare ne brille pas par son ossature. Des coïncidences plus ou moins abusives font office de narration.

Pourtant, le visionnage s’avère franchement plaisant. Pour l’occasion, la « poésie » de Prévert se fait loufoquerie et, si elle eût gagné à plus de développements, l’intuition comique pallie le manque de fermeté narrative. La fantaisie n’est pas gratuite car elle nourrit une satire contre la veulerie face aux puissants, une satire que la désinvolture de l’auteur maintient toutefois bien inoffensive. La multitude de personnages instaure des enjeux dont la variété empêche l’attention du spectateur de complètement s’évaporer.

Enfin, sans étinceler, la distribution fait oublier l’absolue platitude de l’image. Madeleine Guitty ne vaut pas Pauline Carton, Pierre Brasseur bien que moins insupportable que d’habitude reste Pierre Brasseur mais revoir Jean Tissier est toujours un plaisir et Max Dearly s’avère bon comique de cinéma.

Soir de noces (King Vidor, 1935)

Un écrivain new-yorkais en panne d’inspiration retourne dans sa propriété familiale du Connecticut et la vend à des voisins paysans d’origine polonaise.

Après un début un peu anodin, le déroulement de la romance déjoue les attentes: l’épouse, notamment, surprend par sa dignité. Le virage mélodramatique de la fin est traité avec un lyrisme sublime digne de Frank Borzage. Ce basculement de tonalité met en exergue le sujet profond d’un film qui jusqu’ici manquait d’unité: la tragédie de l’écrivain qui vampirise les autres sans s’y mêler jamais vraiment. La grandeur pathétique de Gary Cooper est la même que dans L’adieu aux armes. Ce qui, me concernant, n’est pas peu dire. Bref, même si la confrontation culturelle qu’il orchestre est parfois caricaturale,  The wedding night est un des beaux films méconnus de King Vidor.