Les conspirateurs (Luigi Magni, 1968)

En 1825 à Rome, deux carbonari sont arrêtés pour avoir tenté d’assassiner un mouchard…

Malgré une distribution exceptionnelle et une musique lyrique, morriconienne en diable, de Armando Trovajoli, cette tragicomédie historique est ratée à cause d’une mise en scène faiblarde: l’inexistence à l’écran du décor romain, les artifices théâtraux de l’écriture qui régulièrement ramènent la comédie historique vers le vaudeville, le rythme mou et l’échec quant à la variation des registres ambitionnée (la perpétuelle gravité de Robert Hossein plombe le comique) désintéressent rapidement le spectateur.

Un bourgeois tout petit, petit (Mario Monicelli, 1977)

Un fonctionnaire du ministre des finances se décarcasse pour y faire entrer son fils.

L’amplitude des registres, propre à la comédie italienne, est poussée ici à un degré jamais atteint auparavant. Non seulement, le tragique succède au comique, la tendresse se mêle à la satire, mais de plus, l’oeuvre verse carrément dans l’horreur sans que cela n’apparaisse comme une fantaisie arbitraire des auteurs. Cela reste cohérent avec le contexte italien de l’époque et le destin d’un personnage dont le profond amour paternel équilibre voire justifie la médiocrité des aspirations. On retrouve le même genre de complexité que dans Il boom où c’est par amour conjugal que le même Alberto Sordi s’avilissait. Grâce à un acteur toujours aussi génial, dont le jeu est ici plus sobre que jamais, et à cette exceptionnelle richesse des tons, Un bourgeois tout petit, petit s’avère un des titres les plus bouleversants de ce qu’on hésite désormais à appeler « comédie » italienne. Après les diverses réussites de Risi et Comencini, il rappelle aussi que les auteurs de ce genre se sont montrés parmi les cinéastes les plus subtils et les plus empathiques lorsqu’il s’est agi de traiter la relation entre un père et son fils.

Nos maris (Luigi Filippo D’Amico, Luigi Zampa et Dino Risi, 1966)

Trois sketches:

  • L’épouse de Alberto Sordi se refuse à consommer le mariage. C’est le début d’une inversion progressive des rôles dans le foyer.  In fine, le dénouement hallucinant justifie un postulat quelque peu arbitraire. C’est le seul sketch en couleurs.
  • Jean-Claude Brialy, impuissant, ne peut donner d’héritier à la famille de Michèle Mercier. Pas mal, sans plus. Comme souvent chez Zampa, la voix-off dynamise le récit.
  • Ugo Tognazzi, carabinier, est chargé de séduire une femme des bidonvilles pour mettre le grappin sur son homme, voleur en cavale et très jaloux. C’est le meilleur des trois segments car, à partir des scènes entre le carabinier et la femme, les sentiments font joliment dérailler le programme. Pour autant, le dernier plan est d’un mauvais esprit bienvenu.

 

 

 

Détenu en attente de jugement (Nanni Loy, 1971)

De retour au pays, un ingénieur italien qui travaillait en Suède est arrêté et emprisonné sans raison.

Pour critiquer l’arbitraire d’un système judiciaire, faire un récit arbitraire n’est pas la solution adéquate. La mise en scène grotesque, pleine de zooms, en rajoute dans l’exagération et le film est donc tout à fait insignifiant.

Venise, la lune et toi (Dino Risi, 1958)

A Venise, un gondolier sur le point de se marier ne peut s’empêcher de séduire deux touristes américaines…

Une comédie mineure mais rendue tout à fait plaisante par l’abattage de Sordi qui joue un héros d’une veulerie étonnante, l’utilisation habile des ficelles éprouvées de la comedia dell arte (le baiser dans le noir!) et le charme de Venise mise en valeur par un Eastmancolor à la somptuosité inattendue (la luxuriance de certains plans est digne de Minnelli).

Mafioso (Alberto Lattuada, 1962)

Un ingénieur sicilien émigré à Milan revient dans le village de son enfance pour présenter sa femme et ses filles à sa famille mais aussi au Don local…

La sympathie de Alberto Sordi aidant, la satire de l’archaïsme sicilien est drôle sans lourdeur. Le surprenant virage policier est négocié avec une habileté telle qu’il apparaît tout à fait naturel. Ce film brillant, qui a la noirceur des comédies de Zampa sans leur côté démonstratif, n’appelle qu’une seule réserve: la longueur un peu excessive de sa partie new-yorkaise.

Un héros de notre temps (Mario Monicelli, 1955)

Dans la société italienne de l’après-guerre, le parcours d’un homme lâche et pusillanime.

C’est pas mal et assez précurseur par rapport au genre de la comédie italienne (Un héros de notre temps ressemble beaucoup aux films que Sordi tournera 5 ans plus tard) mais l’absence de nuance dans la caractérisation du « héros » empêche l’empathie du spectateur à son égard, étrique les enjeux du récit et rend patente la volonté démonstrative des auteurs. C’est une comédie plus sinistre que drôle.

 

Il boom (Vittorio de Sica, 1963)

Criblé de dettes, un père de famille vivant au-dessus de ses moyens se voit proposé de vendre son oeil par l’épouse d’un architecte borgne.

A partir d’une anecdote extrêmement cruelle dont, quinze ans plus tôt, ils auraient tiré un mélo misérabiliste, Cesare Zavattini et Vittorio De Sica ont réalisé une comédie qui compte parmi les plus malaisantes du genre. Tout en brocardant l’avidité de leurs concitoyens avec une acuité comique digne de Zampa, ils motivent la veulerie matérialiste de leur antihéros par une vertu: l’amour conjugal. Cette salvatrice complexité a pour double effet de nuancer la noirceur du constat et de redoubler le sentiment de tragique qui émane de la farce. Alberto Sordi, qui alignait alors les chefs d’œuvre, est l’interprète idéal du personnage, suscitant l’empathie tout en se livrant aux pires turpitudes. Un bémol: le découpage inégal, parfois chargé de zooms et de plans inutiles, accentue artificiellement le grotesque de plusieurs scènes (tel le dîner au début).

Bello, onesto, emigrato Australia sposerebbe compaesana illibata (Luigi Zampa, 1971)

Un travailleur italien émigré en Australie trouve une épouse calabraise en mentant dans une annonce matrimoniale…

Un regard aiguisé, source de gags aussi bien que d’amertume, sur une réalité méconnue (la solitude des immigrés italiens en Australie) et une Claudia Cardinale sublime et sublimée (on note que les cheveux mi-longs lui vont à ravir) permettent à cet inédit tardif de Luigi Zampa de rester plaisant en dépit de la paresse certaine de l’écriture (plusieurs péripéties artificielles) et de l’interprétation grimaçante d’un Sordi en roue libre.

Il vigile (Luigi Zampa, 1960)

Après avoir harcelé le maire pour obtenir le poste, un chômeur devient enfin motard…

Encore une fois, Alberto Sordi s’avère l’acteur idéal pour Luigi Zampa tant il incarne avec humanité la veulerie et l’opportunisme. L’auteur se fait ici le contempteur acéré d’une certaine tendance de la société italienne: passe-droits et petits arrangements font le miel de tout le monde, du chômeur au maire (excellent Vittorio de Sica) en passant par la vedette de passage en ville (cocasse apparition de Sylva Koscina dans son propre rôle). La drôlerie perpétuelle n’empêche pas l’amertume sous-jacente d’affleurer ici et là. La justesse maintenue de l’écriture et le naturel de la mise en scène évitent que les personnages de cette fable implacable ne soient réduits à des caricatures. Seule la scène du tribunal trahit quelque peu la vérité psychologique du (anti)héros. Elle n’empêche pas Il vigile de s’avérer un joyau méconnu de la comédie italienne.

L’art de se débrouiller (Luigi Zampa, 1954)

De 1912 à 1953, les différents retournements de veste d’un Sicilien opportuniste et corrompu.

L’histoire d’un royaliste qui devient socialiste avant de devenir fasciste puis communiste et, enfin, démocrate-chrétien. Le programme est très amusant et son déroulement tient ses promesses grâce au rythme entraînant stimulé par une bonne utilisation de la voix-off, à la verve comique intarissable des auteurs et, évidemment, au choix idéal d’Alberto Sordi pour interpréter cet anti-héros.

De par son pessimisme sans concession, L’art de se débrouiller me semble un titre précurseur de la comédie italienne tel qu’elle sera abondamment pratiquée à partir des années 60. Toutefois, si c’est un bon film, il lui manque à mon sens le supplément narratif qui lui permettrait d’aller au-delà de ce programme (drôle mais un peu mesquin), le sens de la nuance et de la complexité humaine qui donne une toute autre ampleur aux chefs d’oeuvre que sont La grande pagaille ou Une vie difficile.

Les complexés (Dino Risi, Franco Rossi et Luigi Filippo D’Amico, 1965)

Trois sketches:

  • Un employé timide tente de séduire une collègue durant une journée de patronage
  • Un notable devient fou lorsqu’il apprend que sa femme a tourné dénudée dans un péplum
  •  Un homme extrêmement brillant mais doté d’une dentition chevaline postule pour présenter le JT

Le premier sketch s’étiole après un début prometteur, le deuxième est trop long et le troisième, avec un grand Alberto Sordi, est le plus drôle et le plus délirant.

Le signe de Vénus (Dino Risi, 1955)

Une dactylographe cherche le grand amour en compagnie de sa cousine, canon de beauté.

Le signe de Vénus est une sorte de transition entre les téléphones blancs et la comédie italienne des années 60. En plus d’être relativement ancrée dans la société de l’époque, la mise en scène du canevas à l’eau de rose -des jeunes femmes qui rêvent du prince charmant- a des accents satiriques; à l’image de la métamorphose de Vittorio de Sica, bellâtre emblématique de la comédie mussolinienne, en séducteur minable. L’inspiration comique est plus timide qu’elle ne le sera dans les chefs d’oeuvre ultérieurs de Risi mais le film étonne plusieurs fois par sa dureté assumée et son refus des conventions. Ainsi de la frappante amertume du plan final. De plus, la distribution est remarquable.

Une vie difficile (Dino Risi, 1961)

Dans les années d’après-guerre en Italie, les déboires d’un journaliste idéaliste avec son épouse…

Archétype de comédie italienne prodigieux de par l’esprit de synthèse qui a animé les auteurs. L’histoire de ce couple sert de cadre à une fable amère sur la fidélité et la compromission, le courage et la faiblesse, où l’ensemble des espoirs et désillusions de la société italienne d’après-guerre est brillamment satirisé. Cette folle ambition ne va pas sans un léger schématisme de l’écriture mais l’immense interprétation d’Alberto Sordi (le film a été écrit par son « scénariste attitré » Rodolfo Sonego) enrichit le film de mille nuances humaines tandis que la mise en scène en état de grâce accumule les morceaux de bravoure comiques et pathétiques avec un naturel et une aisance qui n’appartiennent qu’aux meilleurs des Italiens. Grand.

Il commissario (Luigi Comencini, 1962)

Alors que ses collègues se sont empressés de classer l’affaire pour profiter de leur week-end pascal, un policier décidé à faire carrière enquête sur la mort violente du leader de la démocratie chrétienne.

Cette excellente comédie policière s’articule autour de deux axes: l’enquête proprement dite et l’histoire du héros avec sa nouvelle fiancée, une histoire sans cesse contrariée par les nécessités de son travail policier. Outre qu’il génère de nombreux gags (les déjeuners où notre héros est attendu en vain par sa belle-famille), ce contrechamp féminin nuance et enrichit ce qui aurait pu se limiter à une satire de la tranquille corruption des milieux politico-judiciaires. Notre Don Quichotte est d’abord motivé par l’idée de briller aux yeux de sa hiérarchie, dût-il envoyer un innocent derrière les barreaux. Ainsi, les auteurs évitent le manichéisme et élargissent la cible de leurs moqueries, raillant aussi bien l’immobilisme intéressé des élites que l’arrivisme de certains fonctionnaires. Sans l’afficher de façon aussi bruyante que Le fanfaron (pour le meilleur) ou Ces messieurs-dames (pour le pire), Il commissario n’en exprime pas moins une vision profondément pessimiste de la société italienne de son temps.

Le formidable Alberto Sordi trouve ici un rôle taillé à sa mesure, sachant rendre son personnage attachant jusque dans sa médiocrité. Contrairement à d’autres personnages de la comédie italienne, ce commissaire plein de défauts n’est jamais caricatural et toujours sauvé aux yeux du spectateur par la profonde humanité qui est la sienne. C’est un modèle de caractérisation comique. Il commissario est également plein de trouvailles cocasses qui, mine de rien, donnent de l’épaisseur au personnage: ainsi lorsqu’il interdit à son amoureuse de le toucher parce qu’il vient de se faire vacciner et qu’il a mal au bras. C’est inattendu, drôle et révélateur de la nature du policier.

Film où la verve comique n’a d’égale que l’équilibre de la construction, Il commissario est un des plus beaux fleurons de la comédie italienne.

Les nouveaux monstres (Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola, 1977)

14 sketches se moquant de divers aspects de la société italienne.

Bien qu’écrit (par les célèbres Age et Scarpelli) et réalisé par des maîtres reconnus de la comédie, Les nouveaux monstres est, comme beaucoup de films à sketches, inégal. Tous les types de comique sont représentés, de celui de situation à la farce vulgaire à base de baffes et de destructions d’accessoires. C’est parfois ennuyeux, parfois très drôle et très bien senti. C’est très féroce et la satire n’est jamais timorée. Les auteurs ne connaissent aucun tabou, n’hésitant pas à aborder le terrorisme ou la pédophilie. Dans ce dernier cas, c’est fait sans le moindre racolage, sans la moindre provocation de bas étage mais avec une irrésistible mécanique comique. La virulence de l’ensemble n’empêche pas certains segments d’être véritablement émouvants. Je pense au film sur la maison de retraite. Pour une fois, les personnages ne sont pas, malgré les apparences, complètement pourris et les auteurs montrent combien la situation est complexe et inextricable. Enfin, dernier point à l’actif de ces Nouveaux monstres: la présence dans deux sketches de la jeune et superbissime Ornella Mutti.

La fiancée de l’évêque (Nanni Loy, Luigi Magni et Luigi Comencini, 1976)

Un film à sketches comme il s’en tournait beaucoup lors de l’âge d’or de la comédie italienne.

Le premier segment est clairement le moins bon, il s’appuie sur une et une seule idée farfelue sans que celle-ci ne donne lieu à des ramifications narratives intéressantes. C’est une farce vulgaire aux ressorts comiques très grossiers.

Le deuxième, signé par un grand méconnu du genre, Luigi Magni, est nettement plus charmant. Il met en scène Nino Manfredi qui accueille une jeune Suédoise amie de la famille pendant que son épouse et sa fille sont parties en week-end. On a droit à tous les clichés de l’époque sur la Suédoise tellement libérée qu’elle se ballade nue dans la maison d’un type qu’elle n’a pas vu depuis dix ans. C’est croustillant, Manfredi est excellent en père de famille dépassé qui se remet en question, et plusieurs dialogues entre lui et sa fille font mouche même si, là encore, les ficelles du scénario ne s’embarrassent guère de nuance et de subtilité. C’est peut-être dû aux exigences du format court.

Le dernier film, réalisé par Comencini, est le meilleur. L’argument de base est simplissime; un  prêtre joué par Alberto Sordi est coincé dans un ascenseur avec Stefania Sandrelli un jour de canicule. Situation incongrue qui permet toutes sortes de gags, parfois un peu faciles, mais toujours efficaces. Ce qui distingue clairement ce dernier segment des deux autres sketches, c’est que quelque chose de profondément réjouissant se dégage de sa fin à tiroirs. Le film s’avère en définitive une exaltation des plaisirs de la chair mais aussi du plaisir intellectuel de jouer avec la morale pour l’adapter à notre situation. Il y a quelque chose qui tient de Diderot dans ce qui pourrait être un des épisodes de Jacques le fataliste. Ce n’est pas un mince compliment.