Monsieur Coccinelle (Bernard-Deschamps, 1938)

Monsieur Coccinelle est un petit fonctionnaire qui vit avec sa femme dans une petite maison. Quoique son épouse soit parfois agaçante, sa vie se déroule paisiblement jusqu’au jour où sa tante, restée dans le souvenir d’un grand amour avec un prestidigitateur, meurt…

Monsieur Coccinelle
est une oeuvre tout à fait extraordinaire. La fantaisie que laisse augurer le titre est bien présente tout le long de cette sorte de conte de fées pour adulte. La mise en images de Bernard-Deschamps est d’une folle inventivité. De multiples trouvailles de découpage et de son donnent au travail du cinéaste des allures de dessin animé. Cette poésie est au service d’une peinture tendre et cocasse de la condition petite-bourgeoise. Ainsi, le foisonnement visuel et narratif ne le cède jamais à la justesse du propos. C’est là toute la différence avec le travail d’un Jean-Pierre Jeunet dont les images ne renvoient à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Voir par exemple ce bref plan-séquence digne de Fluide glacial synthétisant l’inefficacité des administrations. Tantôt drôle, tantôt mélancolique, finalement lumineux, Monsieur Coccinelle est un film vivant et libre. L’acuité du regard de Bernard-Deschamps sur l’étroitesse d’esprit d’une certaine bourgeoisie est heureusement toujours contrebalancée par sa tendresse envers son magnifique héros interprété par Pierre Larquey pour une fois dans un rôle à la mesure de son talent: le premier.

Les flambeurs (California split, Robert Altman, 1974)

Un joueur professionnel se fait un pote autour d’une table de jeu et l’entraîne avec lui.

Un film en roue libre aussi bien du point de vue narratif que formel. Très typique du cinéma américain des années 70. Les personnages n’ont aucune substance, le jeu n’est rien de plus qu’un décorum. Insignifiant et très ennuyeux. Mieux vaut revoir Passion fatale de Siodmak, autrement vertigineux et angoissant.

Pirates et guerriers (King Hu, 1975)

Sous l’empire Ming, des pirates japonais ravagent les côtes chinoises. L’empereur envoie des guerriers mettre fin aux exactions des pirates.

Le film n’en raconte pas plus que ces deux phrases. Les personnages n’ont aucune consistance. Pirates et guerriers est une succession de combats rapprochés, de plus montés sans souci de continuité. Il n’y a pas de transition entre les séquences. D’où l’impression de confusion qui vient se superposer à l’impression d’ennui.

Pattes blanches (Jean Grémillon, 1949)

Dans un village breton, une femme amenée de la ville par le patron de l’auberge est manipulée par le fils naturel du châtelain qui entend ainsi se venger de son demi-frère.

Autant l’affirmer d’emblée, Pattes blanches est un chef d’œuvre du cinéma français. D’abord, le script élaboré par Jean Anouilh est parfait. Les relations de cinq personnages principaux à la psychologie et aux origines sociales variées sont patiemment suivies et leurs destinées sont subtilement entrelacées jusqu’à une inévitable tragédie. Il n’y a pas vraiment de gentil ou de méchant; chacun a ses raisons et même un personnage de garce, comme en regorgeait le cinéma français d’alors, connaît son instant de grandeur, touchée qu’elle est par une sorte d’attendrissement nuptial. On pardonnera aisément la langue parfois un peu trop soignée de ses dialogues au responsable d’un échafaudage dramatique aussi fin et implacable. Ensuite et surtout, le style de Jean Grémillon entre réalisme folklorique et romantisme vénéneux donne à cette histoire romanesque un cachet absolument unique.

Loin de se limiter à un découpage plan-plan comme l’aurait fait un artisan de la qualité française, Grémillon pense chacune de ses scènes de façon à lui insuffler un maximum de naturel et/ou de lyrisme. Ainsi de ces nombreuses séquences débutant par un travelling latéral qui, avant de se focaliser sur l’action dramatique, présente le contexte géographique et social de celle-ci. La Bretagne n’a donc jamais été aussi bien filmée qu’ici et ce quoique Pattes blanches soit dénué de toute fioriture décorative ou pittoresque. Plus qu’aucun autre réalisateur français des années 40 (si ce n’est Jacques Becker et Roger Leenhardt), Grémillon mérite d’être appelé « metteur en scène » car son travail met en évidence l’influence du milieu sur le drame comme personne ne le faisait alors. Voir encore ce plan-séquence extraordinaire qui interrompt le mariage pour montrer le demi-frère suivre le cortège nuptial depuis la falaise.

D’abord solidement réaliste, l’oeuvre flirte régulièrement avec le fantastique gothique sans jamais s’y abandonner car toujours conduite par la ferme rigueur du cinéaste normand. Plusieurs passages sont d’une poésie extraordinaire. Une servante bossue s’admirant seule dans sa chambre entrain de porter la robe somptueuse que lui a offerte un seigneur, une jeune mariée jetée d’une falaise la nuit de ses noces, une vieille femme en emmenant une plus jeune cueillir des herbes dans l’arrière-pays pour servir les sombres desseins de son fils…Tous passages au service du récit et admirablement servis par la sombre photographie de Philippe Agostini et une utilisation lyrique et insolite de la musique (signée Elsa Barraine).

Les acteurs sont tous excellents mais deux jeunes quasi-débutants se distinguent particulièrement. D’abord, il y a Michel Bouquet dans son premier rôle important au cinéma composant admirablement un personnage de demi-fou qui aurait pu si vite verser dans la caricature. Ensuite, il y a Arlette Thomas en amoureuse humble et transie. Elle est adorable. Son regard profond et sa voix si douce donnent toute sa dimension à une fin sublime dont la sècheresse ne fait qu’accentuer le lyrisme, lyrisme déchirant, lyrisme révélant le sens profond de ce qui s’avère un magnifique poème d’amour fou.

Fille d’amour (Traviata ’53, Vittorio Cottafavi, 1953)

Un fils de bonne famille s’entiche d’une demi-mondaine…

Adaptation contemporaine de La dame aux camélias, Fille d’amour est un mélodrame très classique, limite convenu mais correctement réalisé. Les mouvements de caméra sont judicieux et quatre ans avant Ascenseur pour l’échafaud, on note qu’une trompette jazzy accompagne l’errance nocturne d’une jeune femme dans une grande ville même si cet accompagnement a ici une fonction plus dramatique que chez Louis Malle. Par ailleurs, la satire des noctambule branchés au début préfigure La dolce vita. Bref, loin d’être un chef d’oeuvre dans son genre, Fille d’amour est quand même assez intéressant.

Atlantic city (Louis Malle, 1980)

A Atlantic City, un escroc vieillissant et minable trouve une énorme quantité de drogue et en profite pour tenter de réaliser ses rêves.

Atlantic city est un beau film car, tout en montrant le pathétique d’un sexagénaire se rêvant caïd, il n’a aucun mépris pour lui ni pour sa nostalgie un brin faisandée. On le voit repasser ses cravates, promener le chien de sa vieille maîtresse, retrouver un vieux copain cireur de chaussures dans un hôtel de luxe. Ses désirs irréalistes mais ô combien compréhensibles tel celui de posséder sa jolie voisine de trente ans plus jeune que lui le rendent profondément attachant. Sa faiblesse est humaine et le rendra paradoxalement capable d’actes sublimes. Burt Lancaster est magnifique et la jeune Susan Sarandon délicieuse quoique presque trop distinguée pour son rôle. Malle mène son film avec simplicité, ancrant son histoire dans le décor de la ville nouvelle d’Atlantic city où les casinos en construction sont un écho concret à la mélancolie de son héros. Bref, ce film doucement désenchanté est un des plus beaux et des plus justes qui soient sur le rêve américain. C’est aussi le meilleur de Louis Malle.

The last flight (William Dieterle, 1931)

Après la première guerre mondiale, les pérégrinations européennes de quatre camarades américains.

Plus qu’aucune adaptation d’Hemingway ou de Francis Scott Fitzgerald, The last flight est peut-être le film le plus emblématique de la Génération perdue. On y suit les beuveries de quatre copains à Paris puis à Lisbonne. Tous ont été meurtris par la guerre. Des tics signifient leurs blessures psychologiques. Et en plus il y a de la corrida. C’est dire si tout y est. Notons que Richard Bathelmess est excellent et que plusieurs scènes sont touchantes. D’où vient alors cette impression de vague déception? C’est que le film est peu dramatisé, qu’une fois le décor et les personnages (parfaitement) présentés, il ne raconte en fait pas grand-chose et que lorsqu’il s’y aventure, il ne dévie pas de la convention la plus éculée (voir tout ce qui touche au personnage du civil). Mais il a le mérite d’être court (80 minutes).

Profondeurs mystérieuses (Geheimnisvolle Tiefe, G.W Pabst, 1949)

La fiancée délaissée d’un scientifique féru d’archéologie épouse l’industriel qui convoite l’invention de ce dernier.

Canevas schématique, personnages unidimensionnels, film souvent ennuyeux quoique Pabst, auteur vingt ans auparavant de La tragédie de la mine et du sublime Piz Palu, sache encore insuffler un certain lyrisme dans les scènes de montagne et de grottes.

La rue de la mort (Side street, Anthony Mann, 1950)

A New-York, un modeste coursier dont la femme est sur le point d’accoucher dérobe de l’argent à son patron. La somme est cent fois plus importante qu’il ne l’avait prévu…

Comme la plupart des films noirs d’Anthony Mann, La rue de la mort commence par une excellente introduction simili-documentaire. Il montre ensuite le parcours d’un homme tout à fait banal (cette banalité est appuyée par la voix-off) entraîné dans une sale histoire. Malheureusement, un scénario tarabiscoté fait que le drame du personnage ne s’avère pas aussi intense qu’il aurait pu l’être. Plutôt que de développer ses rapports avec sa femme et avec la police, les auteurs ont inventé une histoire téléphonée de tueur en série homosexuel. L’ambigüité morale est donc rapidement levée et, malgré son forfait, notre protagoniste principal se retrouve rapidement dans une position de victime. Dommage. Reste la science du cadrage de Mann et quelques éclats dans la mise en scène tel une jolie course-poursuite finale dans les rues de Manhattan même si rien ici n’égale la force brutale de l’exécution à la moissonneuse-batteuse dans Incident de frontière.

In the meantime darling (Otto Preminger, 1944)

Une jeune femme récemment mariée à un soldat doit s’adapter à la vie de caserne.

Film de commande célébrant l’armée et la famille formaté de bout en bout sans le moindre embyron d’intérêt. Henry King eût sans doute mieux convenu à la réalisation d’un tel film qu’Otto Preminger.

L’enjeu (State of the union, Frank Capra, 1948)

Une femme à la tête d’un puissant lobby du parti républicain décide d’imposer son amant, qui a tous les atours d’un parfait candidat, dans la course à l’investiture pour le poste suprême mais il va falloir se coltiner l’épouse de celui-ci.

Le candidat en question, coeur pur utilisé par les lions de la politique, rappelle évidemment d’autres héros de Capra tels John Doe, Mr Deeds ou encore Mr Smith. Néanmoins, L’enjeu n’est pas un scénario original mais est adapté d’une pièce de théâtre. A ce propos, Mr Smith au sénat était déjà l’adaptation d’un roman, ce qui montre la faculté d’appropriation de matériaux d’origine diverses et variées qui était celle d’un auteur de cinéma tel que Frank Capra. L’origine théâtrale de L’enjeu se fait pesamment sentir lors de scènes avec portes qui s’ouvrent à chaque extrémité du plan pour faire apparaître opportunément un personnage qui va faire avancer l’intrigue. Le film est aussi très bavard et les dialogues parfois trop brillants pour être vraisemblables.

La richesse et la complexité de l’histoire sont à la fois un atout et une faiblesse. C’est un atout car aucun caractère n’est abusivement simplifié (il n’y a pas vraiment de gentil ou de méchant), ce qui donne d’autant plus de force à l’amertume du tableau de la vie politique américaine que dresse le cinéaste. L’enjeu est riche d’enjeux dramatiques divers et variés. C’est aussi une faiblesse car l’intrigue est reine et le metteur en scène ne prend jamais vraiment le temps de faire vivre ses personnages, d’en privilégier certains par rapport à d’autres. Même une scène de ménage peut se clore par un discours édifiant, ce qui montre l’intempestivité des auteurs.

Heureusement, les acteurs donnent vie à cette critique politique qui n’a d’ailleurs rien perdu de son acuité (voir l’importance accordée à la télévision alors que le film ne date que de 1948!). Angela Lansbury (magnifique introduction qui la voit face à son père mourant!) et Adolphe Menjou sont très bons mais au final, c’est bel et bien l’alchimie du couple Tracy/Hepburn qui emporte la mise. Encore une fois.

Jofroi (Marcel Pagnol, 1933)

Dans un village provençal, un vieil homme qui a vendu son verger refuse que l’acheteur coupe les arbres.

C’est le premier film réalisé par Marcel Pagnol et tout l’univers du maître est déjà en place. Il y a d’abord la troupe de comédiens méridionaux qui reviendra de film en film pendant vingt ans, les formidables Poupon et Blavette en tête. Il y a ensuite le village et les paysages arides de la Haute-Provence qui fournissent un cadre d’une présence inouïe à l’histoire racontée. La truculence des premiers alliée à l’authenticité des seconds fait que Jofroi est un film d’un naturel sans commune mesure dans le cinéma français de l’époque. Il y a l’irrésistible drôlerie des répliques que s’envoient des personnages bavards et en perpétuelle représentation, pagnolesques en un mot. Enfin, l’anecdote tirée -déjà- de Giono a la simplicité et la profondeur éternelle d’une fable. De plus, ne dépassant pas cinquante minutes, Jofroi est un film de Pagnol d’une rare concision. Avec ce lumineux concentré d’humanité, Marcel Pagnol inaugurait superbement une oeuvre cinématographique parmi les plus essentielles qui aient été.

Gare centrale (Youssef Chahine, 1957)

A la gare centrale du Caire, un vendeur de journaux éconduit par une jolie fille se transforme en assassin.

Ce n’est que l’axe central d’un film qui se veut grouillant de vie. Et il est vrai qu’en moins de 90 minutes, Youssef Chahine présente beaucoup de personnages et d’intrigues. Le rythme est rapide, on ne s’ennuie pas. Malheureusement, la plupart des pistes narratives ne sont pas développées comme elles devraient l’être. Ainsi de l’histoire du syndicat. On perçoit la volonté du cinéaste d’embrasser l’ensemble des couches de la société mais cela reste à l’état d’intention car son film apparaît plus comme un exercice de style plus que comme une chronique authentique. Le style néo-réaliste n’est guère plus qu’un vernis, Gare centrale s’avérant un mélo-policier-psychologique tout à fait conventionnel (les conventions empruntent à divers genres mais n’en restent pas moins des conventions). On songe à la fausseté d’un De Sica. Ceci dit, si Gare centrale est un film superficiel, le réalisateur y fait preuve d’une indéniable virtuosité. Il y a aussi quelques trouvailles intéressantes (la collection de photos de pin-ups) et un ou deux moments justes et durs tels ceux où le marchand de journaux est rejeté par sa dulcinée (Chahine est un bon acteur).

Un avis plus enthousiaste ici