La rivière des larmes (Kenji Misumi, 1967)

Deux soeurs sont empêchés de se marier car elles doivent s’occuper de leur père et qu’un frère indigne les tracasse.

Gendai-geki (ou shomin-geki?) assez lambda quoique la fin surprenne par sa force dramatique. Bien moins larmoyant que son titre français ne le laisse supposer.

Le lit conjugal (Marco Ferreri, 1963)

Un quadragénaire est épuisé par sa jeune épouse

Son début peut laisser croire que Le lit conjugal, coécrit par Pasquale Festa Campanile et interprété par Ugo Tognazzi, s’apparente à la comédie italienne. Mais assez vite, la lourdeur de la charge (anticléricale et antimatriarcale), le goût pour le grotesque et, bien plus significatif et préjudiciable, l’arbitraire d’un récit incompréhensible qui entend assimiler les humains à des insectes, réduisent l’oeuvre à du Ferreri pur jus. Malheureusement.

La légende de Zatoïchi : voyage meurtrier (Kenji Misumi, 1964)

Le guerrier aveugle Zatoïchi recueille le bébé d’une femme assassinée pour le conduire à son père. En chemin, il rencontre une voleuse qui l’aide à s’occuper de l’enfant.

Je découvre le cinéaste Kenji Misumi et la série Zatoïchi avec ce film. J’ai l’impression d’avoir vu un archétype de film industriel: bien ouvragé, sympathique dans son esprit, dénué de tout génie qui ferait sortir l’oeuvre des rails de la convention. La fin est assez amère puisque le héros rejette la fille mais on se doute que c’est pour que la série puisse continuer. Le manichéisme de la caractérisation des personnages est dénué de nuance et le récit souffre de la répétitivité des situations, tant dramatiques -les confrontations avec les méchants- que plus légères -les confrontations avec les couches du bébé.

Cependant, la rapidité des séquences d’actions -où Zatoïchi est représenté comme un superhéros- séduit et la dernière d’entre elles, avec les torches, fait montre d’une plaisante inventivité graphique. Le rythme est enlevé, ce qui, malgré la relative pauvreté narrative susmentionnée, permet de ne pas s’ennuyer. La dimension mélodramatique s’intègre naturellement au film de sabres, sans appesantissement. Le découpage est clair et, parfois, met en valeur l’ampleur d’un paysage. Bref, la facture est classique et en définitive, j’ai passé un bon moment.

Tu ne tueras point/L’objecteur (Claude Autant-Lara, 1961)

Un jeune chrétien refuse de faire son service militaire , par objection de conscience.

Le parallèle entre le procès de l’objecteur français et celui d’un prêtre allemand qui a tué un résistant pour obéir aux ordres aurait pu insuffler une certaine complexité dialectique à un film à thèse qui ne brille pas par sa finesse. Las ! A chaque geste, à chaque mot, à chaque intonation, on sent l’intention précéder l’exécution. Plus encore qu’aux niveaux de l’écriture et du découpage (le cinémascope noir-et-blanc est bien exploité et certains plans, tel ceux au parloir, apportent un peu de force réaliste à une dramaturgie très artificielle), c’est au niveau de l’interprétation que le bât blesse cruellement. 

L’homme en fuite (Stranger on the run, Don Siegel, 1967)

Dans une ville sous la férule de pistoleros de la compagnie des chemins de fer, un vagabond alcoolique venu voir une femme est faussement accusé du meurtre de cette dernière.

Un relatif mais regrettable manque d’ampleur visuelle, dû à sa nature de téléfilm, n’empêche pas ce western toutefois somptueusement distribué d’être intéressant et touchant, surtout dans ses à-côtés qui lui insufflent, de façon discrète mais prégnante, une dimension mélancolique: le shérif myope joué par Dan Duryea (son dernier rôle), les scènes entre Henry Fonda et Anne Baxter.

Chasse à la drogue (Riccardo Freda, 1961)

Un maître-chien et son chien enquêtent sur un kidnapping en Sicile puis sur un trafic de drogue à Rome.

Ne pas s’attendre à du Sciascia. Passé la percutante introduction, toute dimension politique ou sociale du phénomène mafieux est escamotée. La structure en deux épisodes très distincts apparenterait le film à une dramatique télévisuelle, n’était le sens de l’action et de la violence de Freda qui vient épicer un polar des plus conventionnels (et risible dans sa représentation du drogué -à la marijuana- en manque).

L’ange rouge (Yasuzo Masumura, 1966)

Pendant la seconde guerre mondiale, une infirmière japonaise se donne à un amputé, tombe amoureuse d’un chirurgien puis est affectée dans un camp dévasté par le choléra.

Succession de tableaux infernaux, admirablement composés en Cinémascope-noir et blanc (la couleur aurait été insoutenable), qui manque quelque peu de continuité narrative et, s’il n’y avait l’intrigue amoureuse avec le docteur qui apporte une petite lueur comme le font certains paragraphes dans le Voyage au bout de la nuit, se limiterait à un effet « dans-ta-face ». Certains dialogues dialogues qui généralisent le propos sonnent artificiel.

Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot, Joseph L. Mankiewicz, 1967)

Un esthète retranché dans son palais vénitien convoque trois femmes de sa vie et leur fait croire qu’il est sur le point de mourir.

Loin d’Hollywood, Mankiewicz laisse libre cours à ses penchants -théâtralité, dandysme, ironie- non sans une certaine complaisance. 2h11 pour une resucée post-moderne de Volpone, c’est long. La somptuosité du décor, la qualité de l’interprétation (Rex Harrisson, tellement moins cabotin qu’Harry Baur) et, surtout, une once de tendresse -patente dans le dernier plan- rendent Guêpier pour trois abeilles plus supportable et attachant que les films ultérieurs du maître: Le reptile et Le limier.

Ce merveilleux automne (Mauro Bolognini, 1968)

Dans une maison familiale de la bourgeoisie sicilienne, un jeune homme a une liaison avec sa tante.

Ce thème rebattu, habituellement propice à la nostalgie, est ici traité sans la moindre légèreté mais avec une surdramatisation uniformisante (via la musique étrangement stridente de Morricone, le visage perpétuellement fermé du jeune homme, les inserts qui figurent la pensée du personnage avec beaucoup de schématisme…) qui escamote -tant bien que mal- la faiblesse du récit au prix d’une grave torsion du naturel des scènes. Mais la joliesse floutée des images et Gina Lollobrigida au début de son automne ne sont pas désagréables à regarder.

Zorba le Grec (Michael Cacoyannis, 1964) 

Héritier d’une mine en Crète, un jeune intellectuel se lie d’amitié avec le contremaître grec qu’il a embauché, vieux mais plein de vie.

Débarrassée des tartines pseudo-philosophiques qui encombraient le prétendu chef d’oeuvre de Níkos Kazantzákis, son adaptation cinématographique s’avère moins assommante. La mise en scène est académique; ce qui signifie qu’elle est dépourvue de génie ou de surprise mais également qu’elle est suffisamment digne pour ne pas altérer ce qu’elle présente (sauf en ce qui concerne l’utilisation de la musique, parfois très déplacée): moutons, campagne, maisons blanches et femmes en noir sont toujours très cinégéniques, surtout en noir et blanc. Par rapport au livre, Michel Cacoyanis a aussi allégé la truculence de Zorba, ce qui est une bonne chose. Les tableaux de moeurs, particulièrement ceux autour de la cruauté des villageois, sont percutants mais l’ensemble manque d’ossature. Alors que c’était le coeur du roman, la relation entre les deux hommes manque de substance et leur amitié ne se concrétise de manière sensible que lors de la célèbre fin. C’est peut-être dû à l’inconsistance d’Alan Bates, bouffé par Anthony Quinn qui est très bon et moins cabotin qu’on eût pu le craindre.

Les oliviers de la justice (James Blue, 1962)

Pendant la guerre d’Algérie, le fils d’un colon parti en métropole revient au pays pour voir son père mourant.

Quelques maladresses techniques (synchronisation des voix parfois médiocre…) et dramatiques (le personnage un peu chargé de la cousine) n’entachent guère la vérité d’une oeuvre, qui, par sa justesse d’appréhension des tourments les plus intimes, transcende les clivages politiques et atteint à l’universel. Superbes plans de l’Algérie d’alors, ville et campagne, tournés littéralement « à la volée », au nez et à la barbe de l’OAS et du FLN tous deux ennemis du film.

Comment réussir dans les affaires sans vraiment essayer (David Swift, 1967)

Suivant les conseils d’un livre, un laveur de carreaux gravit un par un les échelons d’une grande entreprise.

Comédie musicale joyeuse et parfois amusante dans ses pointes satiriques mais qui a le tort d’être trop longue et ne pas consacrer assez de place aux chorégraphies de Bob Fosse. Sans même parler de Fred Astaire (car nul ne saurait être tenu d’être un demi-dieu), Robert Morse n’est pas Gene Kelly quant aux qualités de danseur. En 1967, la décadence du genre était déjà bien entamée.

Madly (Roger Kahane, 1969)

Un jeune couple de marchands d’art accueille dans leur manoir une belle Antillaise rencontrée en boîte de nuit.

Alain Delon « sort de sa zone de confort » en s’attaquant au thème très à la mode de « l’amour libre » avec une sorte de comédie érotique -malheureusement ni drôle ni érotique- qui semble documenter sa relation avec Mireille Darc (qui fut d’ailleurs à l’origine du scénario). Cette rareté n’est malheureusement pas plus qu’une curiosité à cause de l’inconsistance du récit et du kitsch de l’inspiration.

La vie ardente (Florestano Vancini, 1963)

En vacances en Sardaigne, une adolescente fuit sa riche famille pour aller s’amuser avec deux jeunes hommes dans une cabane reculée.

Languissante bluette auquel le virage dramatique de la dernière partie apporte une vraie profondeur mélancolique.

Meurtre en 45 tours (Etienne Périer, 1960)

La machination du riche époux d’une chanteuse pour casser la relation entre cette dernière et un jeune pianiste.

Un script aussi abracadabrantesque, signé Boileau-Narcejac, aurait mérité une réalisation plus enlevée ou plus baroque que celle d’Etienne Périer or la photo est très terne et des effets de manche poussifs (figuration d’un rêve de culpabilité, manipulation sonore des plus basiques…) constituent l’essentiel de la dimension cinématographique du projet. Si Danielle Darrieux s’en sort pas mal, Michel Auclair est aussi nul que d’habitude.

Hitler, connais pas (Bertrand Blier, 1963)

Une dizaine de jeunes Français, d’horizons variés, parlent de leurs vies et de leurs visions du monde.

Pour son premier film, le jeune Bertrand Blier détourne le programme du cinéma-vérité alors en vogue. Il met en avant les artifices que ses collègues, tel Chris Marker et Pierre Lhomme, cherchaient à masquer. Il convie ses interlocuteurs, choisis sur audition, dans un studio, les filme dans un somptueux noir et blanc et use sans vergogne de l’effet Koulechov. Le mensonge introduit par ce dernier n’est que véniel dans la mesure où le carton d’introduction précise bien que les personnages ne se sont jamais croisés. De plus, la langue dans laquelle s’expriment ses personnages, quelle que soit leur origine sociale, est très soignée et plaisante à entendre. C’est lié aussi bien à l’époque, où la décadence linguistique n’était pas aussi entamée qu’elle l’est aujourd’hui, qu’au fait que Blier ait fait répéter ses interlocuteurs avant de les filmer.

Ce dispositif sophistiqué engendre de véritables types de cinéma. La dimension sociologique de l’échantillon de départ s’en trouve approfondie, nuancée et complexifiée. Le montage rapproche un prolo d’un fils à papa qui ont en commun d’avoir été livrés à eux-mêmes par leurs parents. Le cynisme vantard d’une jeune fille parlant de ses amants préfigure mai 68 tandis qu’à l’autre bout du spectre, les confidences d’une fille-mère sont d’autant plus poignantes qu’elles sont accompagnées par une belle -mais discrète- musique de Delerue.

Il en résulte un instantané de la jeunesse en 1963 aussi vain et artificiel que Chronique d’un été ou Joli mai mais infiniment plus intéressant et évocateur.