Jeunes filles en uniforme (Léontine Sagan, 1931)

Dans un pensionnat féminin strictement discipliné, une nouvelle élève tombe amoureuse d’une professeur.

Le film est signé Léontine Sagan mais a été techniquement supervisé par un vieux routier du cinéma allemand: Carl Froelich. Jeunes filles en uniforme frappe d’abord par l’audace de son sujet puisque l’homosexualité des personnages n’est même pas latente mais carrément évidente. Il frappe ensuite par son refus de la provocation sulfureuse. Quoique les valeurs d’ordre militaire soient clairement attaquées (ce qui dans une république de Weimar avec un parti nazi à 18% de sièges au Reichstag avait une toute autre portée qu’aujourd’hui) via l’inhumanité de la directrice, l’homosexualité féminine n’est pas la matière d’un brûlot mais celle d’un drame intime relaté avec finesse et sensibilité.

Les auteurs ont ainsi l’intelligence, en restant à une distance d’observateur rigoureux, de maintenir le mystère sur la nature des sentiments de la jeune héroïne: névrose née d’un environnement oppressif ou amour pur ? Sans doute un peu des deux et leur grandeur est de ne trancher ni dans un sens ni dans l’autre. Le magnifique plan final est d’ailleurs d’une hauteur de vue mizoguchienne. Enfin, le découpage est particulièrement sophistiqué : travellings rectilignes et vues en plongée employés avec brio insufflent à la mise en scène une force dramatique alors peu commune. Ce joyau des débuts du cinéma parlant est visible sur youtube avec sous-titres anglais.

Marcellino (Luigi Comencini, 1991)

Au XVIIème siècle en Italie, un bébé abandonné est recueilli par des moines.

Marcellino est un film plein de tendresse où Comencini évite habilement les écueils qui auraient pu être les siens avec un tel sujet (mièvrerie…). Tout au plus, l’épilogue appuie t-il un peu trop l’aspect édifiant de la fable. Des gags rafraîchissants, surtout dans la première partie, compensent le sentimentalisme mignon de l’oeuvre. La partie avec le comte est racontée un peu grossièrement mais le magnifique dénouement rattrape le tout. Ce qui reste le testament de Luigi Comencini est un joli film humaniste qui sans figurer parmi ses chefs d’oeuvre est tout à fait digne de son auteur.

Une bringue d’enfer (Fandango, Kevin Reynolds, 1985)

Avant le mariage ou le départ au Viet-Nam, la virée dans l’Ouest de quatre jeune diplômés.

Les multiples trouvailles de montage, la beauté évanescente de Suzy Amis, les embardées semi-oniriques, l’utilisation des grands espaces américains et, surtout, la finesse d’une narration suggestive plus qu’explicite insufflent un romantisme secret et rendent particulièrement attachante cette classique comédie de passage à l’âge adulte. Et il y a évidemment la révélation du grand Kevin Costner.

L’équipage (Anatole Litvak, 1935)

Pendant la première guerre mondiale, un pilote d’avion et son jeune observateur sont amoureux de la même femme.

L’équipage est un film inégal qui contient de très belles scènes. L’expression des sentiments des jeunes tourtereaux est ratée à cause d’une certaine raideur, d’un manque de lyrisme intime dans la mise en scène qui frôle l’académisme sans toutefois y tomber. Chose étrange: le couple ne s’embrasse jamais. Ainsi, Litvak préfère figurer le déchirement de l’adieu avec des surimpressions…En revanche, les moments graves et dignes, tels ceux ayant trait aux blessures secrètes du formidable personnage de Maury, sont plus inspirés notamment grâce à la superbe interprétation de Charles Vanel. Quelques pertinents mouvements d’appareil et la beauté pleine de douleur contenue d’Annabella contribuent aussi à insuffler de l’émotion à cette honorable adaptation de Kessel.

Enlevez-moi (Léonce Perret, 1933)

Un homme qui croit refiler sa maîtresse à un ami lui refile en fait sa soeur.

La désuétude de cette opérette n’empêche pas une certaine liberté de ton. Il y a de la fantaisie mais le travail de Léonce Perret est routinier.   Le surjeu des comédiens et les facilités de l’intrigue empêchent toute forme de vraisemblance mais Arletty jeune (et jolie) est déjà remarquable. Comme le montre le final où l’équipe technique est filmée, personne n’est dupe dans cette entreprise. Enlevez-moi n’est pas franchement nul mais sa portée est tout de même limitée.

Volets clos (Luigi Comencini, 1951)

Suite à un appel au secours, une femme part à la recherche de sa soeur tombée dans la prostitution.

Le manque de concision du scénario rend certains passages ennuyeux mais la délicatesse de Comencini ainsi que l’ambiguïté inattendue du comportement de la soeur apportent une appréciable singularité au mélo. A posteriori, il est facile de déceler dans chacune des scènes avec des enfants la touche du futur réalisateur de L’incompris. Ainsi de cette brève séquence où une prostituée et son ami font sauter le fils de celle-ci à travers les marches de l’escalier qu’ils descendent. C’est une pure idée de mise en scène qui n’a rien d’anodin mais qui en l’espace de cinq secondes insuffle une incommensurable charge de tendresse au plan. Tout Comencini est déjà là.

Graffiti party (Big Wednesday, John Milius, 1978)

De la fin de l’adolescence à l’âge adulte, des morceaux choisis de la vie de trois amis surfeurs californiens entre 1962 et 1974.

Big Wednesday est une très belle chronique sur la fin de la jeunesse et l’évolution de l’amitié par-delà les années. A commencer par les distributeurs « francophones » qui ont tantôt appelé le film Graffiti party tantôt American party -deux titres aussi cons l’un que l’autre-, on songe à Americain Graffiti. Au style superficiel et nostalgique de George Lucas s’oppose le style vigoureux et grandiose de John Milius. Ainsi, le cinéaste insuffle énormément de lyrisme à son histoire. La dernière séquence, où une partie de surf est mise en scène comme un baroud d’honneur, est carrément épique. Cela se traduit d’abord par la musique parfois martiale, parfois élégiaque et toujours somptueuse de Basil Poledouris. Cela se traduit aussi par un montage savant où la récurrence des images de vagues déferlantes agit comme un contrepoint cosmique aux états d’âme des personnages. Parce qu’elle va de pair avec une droiture jamais prise en défaut (le traitement du conflit vietnamien est ainsi exemplaire), l’emphase du traitement, loin de la rendre ridicule, sublime véritablement cette histoire d’amitié et de jeunesse enfuie.

Heidi (Luigi Comencini, 1953)

Une petite fille adoptée par son grand-père montagnard est emmenée à la ville par sa tante.

Le début à la montagne est très beau avec les chants folkloriques, les paysages superbes, les chèvres, les enfants pleins de fraîcheur. La suite à la ville est moins pastorale et plus mièvre.

Retour à la bien-aimée (Jean-François Adam, 1979)

Pour retrouver sa femme, un pianiste réalise un plan machiavélique contre le nouveau mari.

Après avoir été assistant de Truffaut et Melville, Jean-François Adam a réalisé trois films avant son suicide en 1980. Retour à la bien-aimée est le dernier d’entre eux. C’est un polar basé sur l’amour fou tourné principalement -mais non exclusivement- en huis-clos. Dans une demeure bourgeoise grande et sinistre, un homme s’est introduit avec un unique but en tête: reconquérir la mère de son enfant. Le côté implacable de sa machination, le peu de péripéties qui viendraient interférer avec son projet ennuie légèrement à certains moments. Retour à la bien-aimée est un film assez abstrait qui ne se soucie guère de notations réalistes.

La mise en scène de Jean-François Adam rend l’oeuvre fascinante à bien des égards. Les sentiments sont exprimés par l’image et la musique avant de l’être par les mots. La superbe lumière (tendance impressionniste en extérieurs, tendance Rembrandt en intérieurs), la rigoureuse précision d’un découpage qui privilégie les lents et savants mouvements de caméra au champ-contrechamp, le jeu intériorisé mais très suggestif de Jacques Dutronc sont autant d’éléments qui nimbent le film d’un romantisme morbide et glacé tout en le faisant tendre légèrement vers l’opéra. On songe à Jean-Pierre Melville qui remakerait un Lang de l’après-guerre (disons La femme au portrait ou Le secret derrière la porte). Quoiqu’il en soit, Jean-François Adam était un réalisateur brillant. Le magnifique plan-séquence qui clôt ce Retour à la bien-aimée suffit à le prouver.

Mamma mia! (Phyllida Lloyd, 2008)

Une jeune fille invite ses trois pères potentiels à son mariage sur une île de la Méditerranée.

Longtemps conchié par les soi-disant tenants du bon goût, Abba a, en trente ans de succès commercial jamais démenti et de travail patient d’amateurs éclairés, été hissé au rang qui lui est dû: à savoir plus grand groupe de pop post-Beatles. Un film comme Mamma mia! est donc doublement condamnable. D’abord, son extrême-vulgarité ravive évidemment les clichés sur la musique d’Abba, clichés ordinairement véhiculés par des gens s’arrêtant aux vêtements ridicules des divins Suédois et n’ayant jamais pris la peine d’écouter leurs merveilleuses chansons. Ces chansons sont d’ailleurs ici allègrement massacrées. Evidemment, Meryl Streep n’a pas la sublime voix soprano d’Agnetha Fältskog mais les orchestrateurs de la bande-son qui ont transformé en soupe les foisonnants arrangements des enregistrements originaux sont à blâmer en premier lieu.

Ensuite, Mamma mia! est un film nul et, semble t-il, réalisé par des gens conscients de cette nullité. Je ne peux pas imaginer que réalisatrice, acteurs et équipe technique lorsqu’ils tournent la scène où Meryl Streep finit par plonger habillée ne se rendent pas compte qu’ils mettent en boîte des conneries pures et simples. Et qu’on ne parle pas de « fun décomplexé » tant les chorégraphies sont médiocres et n’ont rien d’entraînant! Ce bazar n’est pas plus amusant qu’un jeu télévisé de Lagaf’. Une photo criarde et un montage à la hache sont censés suppléer l’absence de mise en scène digne de ce nom tout comme l’hystérie des acteurs est censée suppléer l’absence d’enjeux dramatiques.

Un des aspects les plus déplaisants de Mamma mia! est d’ailleurs cette complaisance dans la représentation de bonnes femmes vulgaires et hystériques, ce que Phyllida Lloyd s’imaginait sans doute être son public. Non, je ne suis pas un vilain phallocrate pensant qu’une actrice doive être aussi belle que Cyd Charrisse pour avoir le droit de jouer dans une comédie musicale. En revanche, un cinéaste a le droit et le devoir de ne pas salir les gens qu’il filme en appuyant leurs travers à des fins démagogiques. Je vous renvoie au formidable Pique-nique en pyjama où Stanley Donen fait danser des prolos et magnifie Reta Shaw et Eddie For Jr, qui n’ont pas vraiment des corps de top model, avec simplicité et grâce.

Produit d’un parfait cynisme, méprisant aussi bien ses personnages que son public, Mamma mia! est donc un film sinistre et haïssable.

Donnez-lui une chance (Give the girl a break, Stanley Donen, 1953)

Trois femmes postulent pour être la vedette d’un nouveau spectacle à Broadway.

Give the girl a break est un parfait petit musical de la MGM. La rigoureuse convention de l’intrigue est vivifiée par l’extrême dynamisme de la mise en scène. Voir entre autres l’allégresse quasi-ophulsienne des mouvements de caméra. La fraîcheur et l’inventivité des musicals du jeune Stanley Donen (il n’avait pas trente ans) font de ceux-ci les films les plus proches de l’esprit de la Nouvelle Vague parmi ceux tournés au sein du Hollywood de l’âge d’or.

Neige (Jean-Henri Roger et Juliet Berto, 1981)

La neutralisation du dealer d’un quartier du Nord de Paris par la police y sème la pagaille.

Ce qui frappe d’abord dans Neige, c’est l’intensité de la présence des quartiers populaires parisiens où se déroule l’action: Pigalle, Clichy et autres Barbès n’ont jamais été aussi bien retranscrits au cinéma. Sans discours sociologique ni pittoresque, les plans-séquences inscrivent les personnages dans une réalité quasi-documentaire. Les trajectoires de ces personnages semblent au début assez chaotiques mais dessinent après la mort du dealer une sorte de tragédie auréolée d’une ironie déchirante.

Filmant un tel environnement, beaucoup de réalisateurs se seraient laissés aller à la complaisance dans le sordide. Ce n’est pas le cas de Juliet Berto et Jean-Henri Roger pour qui c’est au contraire l’occasion de célébrer la bienveillance, la grandeur d’âme et l’amour qui vous fait faire des bêtises. Ce, sans que rien ne paraisse forcé. Le sublime personnage interprété par Juliet Berto est d’autant plus plausible que, dans un contexte où les frontières morales sont aussi floues, son basculement est imperceptible.

Flics, serveuses ou travelos, tous sont, en plus d’être admirablement joués, regardés avec une inconditionnelle empathie par la caméra. Ne serait-ce que pour ce magnifique travelling qui suit, à une distance parfaite, un prostitué en manque ravi par la perspective d’un shoot imminent remonter une rue en sautillant avant d’être cueilli par la police, Neige se doit d’être vu.

Enfin, il n’y a que deux scènes de violence mais leur sécheresse est absolument terrible. Rarement cinéaste aura fait ressentir avec autant de force  le caractère à la fois dérisoire et irréversible d’une balle dans la tête. Et c’est ainsi que Neige demeure peut-être le plus beau polar français des années 80.

L’Amour en première page (Love is news, Tay Garnett, 1937)

Une héritière lasse de voir sa vie amoureuse étalée en première page des journaux fait croire qu’elle va se fiancer avec un reporter.

Dans la meilleure tradition de la comédie américaine, la fantaisie la plus débridée irrigue un récit construit avec la plus parfaite des rigueurs. Le cinéaste met en scène avec un égal brio un passage comique frisant l’absurde tel celui où les deux personnages se retrouvent en prison et le moment décisif où l’inévitable coup de foudre a lieu. De Stepin Fetchit en chauffeur de course (!) à George Sanders en aristocrate décadent, une belle brochette de seconds rôles farfelus colore la mise en scène. Un couple de stars -Tyrone Power et Loretta Young- dont l’immense beauté n’a d’égale que la capacité d’abattage, l’extrême vivacité du rythme impulsé notamment par des travellings aussi rapides que les comédiens et une réjouissante truculence qui rapproche Tay Garnett de Raoul Walsh (le jeu de dames avec des verres d’alcool!) contribuent à faire de Love is news un joyau de la screwball comedy débordant de vitalité. Son talentueux et éclectique réalisateur n’ayant jamais été consacré comme un auteur, ce joyau est bêtement oublié. Merci à l’Action Christine de l’avoir ressorti.

L’attaque de la malle-poste (Rawhide, Henry Hathaway, 1951)

Des bandits séquestrent les occupants d’un relais en attendant la diligence chargée d’or…

Les ficelles dramatiques quelque peu artificielles du huis-clos confrontant honnêtes gens et malfrats sont transfigurées par la sécheresse inhabituelle de la mise en scène: sobriété heureuse de l’expression, dureté des scènes de violence, âpreté du noir et blanc. Reptile zébrant de son corps dégingandé ces images minérales, le formidable Jack Elam, qui faisait ici ses débuts de comédien, retient l’attention.

Le comte de Monte-Cristo (Robert Vernay, 1943)

Un homme que des rivaux ont fait emprisonner au château d’If revient 20 ans après se venger…

On retrouve dans Le comte de Monte-Cristo l’invraisemblance mais aussi le plaisir enfantin que peuvent procurer les récits de super-héros. Le 11 septembre 2001 pas encore survenu en février 1943 et un Lucien Rebatet n’ayant pas tout à fait les mêmes préoccupations qu’un Jean-Marc Lalanne, le film de Robert Vernay n’a pas bénéficié des pénétrantes analyses socio-historico-culturelles de la critique parisienne à sa sortie. Le style de mise en scène est à la frontière du classicisme et de l’académisme. C’est, disons, un classicisme peu inspiré, voire routinier, mais suffisamment solide pour que le film tienne à peu près la route en dépit des facilités du scénario qui sont franchement fâcheuses dans la seconde partie. Ainsi, il n’y a qu’à comparer la photographie de cette adaptation du roman de Dumas à celle de la version réalisée par le même Vernay dix ans plus tard pour mesurer la différence de qualité moyenne entre les productions françaises de 1943 et celles de 1954.

Papa longues jambes (Jean Negulesco, 1955)

Un milliardaire américain adopte une jeune Française puis la délaisse.

Le Cinémascope a rendu Jean Negulesco encore moins imaginatif qu’à l’accoutumée et sa mise en scène désolante de platitude ne sert guère un scénario prévisible. Les chansons sont de plus assez faibles et les numéros musicaux parfois vulgaires. Enfin, Papa longues jambes est un film d’une longueur intolérable (2h10, soit au moins une demi-heure de plus qu’il n’en faut).