Un étrange voyage (Alain Cavalier, 1981)

A la gare de l’Est, un homme attend sa mère qui a pris le train à Troyes. Elle n’est pas là. Pour la retrouver, il va parcourir à pied 300 kilomètres de voies ferrées. Sa fille, étudiante boulimique et gauchiste, décide de l’accompagner.

En partant d’un extraordinaire fait divers, Alain Cavalier et sa fille Camille ont écrit une sorte de road-movie pédestre dans lequel ils ont, plus ou moins consciemment, projeté leur relation. Comme à son habitude depuis Le plein de super, le cinéaste a travaillé en équipe réduite en décors naturels. Ici, il a tourné le long des voies ferrées et dans des petits villages du pays d’Armance. En a résulté un film simple, pur, direct et d’une justesse imparable. Jean Rochefort, qui venait de perdre sa maman, tient ici ce qui est peut-être son plus beau rôle au cinéma. Il est bouleversant.

Martin et Léa (Alain Cavalier, 1978)

Un ouvrier passionné de chant tombe amoureux d’une Eurasienne qui vit en fournissant des filles à un riche monsieur de sa connaissance.

Selon un processus cher à Alain Cavalier, Martin et Léa intègre des éléments véridiques de l’histoire du couple véridique présent à l’écran au scénario de la fiction dont ce couple est ici l’objet. Si certains enchaînements narratifs ne sont pas convaincants (le drame du dernier acte apparaît très, trop, soudain), la peinture des deux amoureux brille par sa justesse. Quoique son style reste foncièrement réaliste, le cinéaste a ôté de son film un maximum d’éléments sociologiques pouvant le contextualiser trop précisément. Sa représentation de l’amour atteint ainsi une sorte d’universalité et de pureté incandescente qui rappelle Frank Borzage d’autant plus que, à l’instar de l’auteur de Ceux de la zone, Cavalier ne manque pas d’humour. Très beau.

Mise à sac (Alain Cavalier, 1967)

Un homme réunit des malfrats et leur propose de mettre à sac une petite ville isolée en Savoie en une nuit…

Claude Sautet et Alain Cavalier ont brillamment transposé un roman de Donald Westlake en Savoie. Mise à sac est peut-être le meilleur film de casse français (devant Du rififi chez les hommes) et un des meilleurs films de casse jamais tournés, principalement pour deux raisons. La première est l’excellente restitution de l’espace par le réalisateur. La présentation d’un bref schéma au début et, surtout, un découpage d’une parfaite clarté font que le spectateur se représente le village aussi bien que les voleurs de la fiction. De ce fait, il ressent les enjeux dramatiques, des enjeux qui sont tous plus ou moins liés à cet espace, avec une force peu commune. Ainsi du péril entraîné par le retard d’un personnage au moment de la fuite.

Cette épure du découpage va évidemment de pair avec l’épure de la narration. Le scénario est dégraissé, la majeure partie du film est consacrée à la progression du travail et finalement, Cavalier montre ses voleurs comme il montrerait une équipe chargée de la construction d’un pont, avec les différents corps de métier qui la constituent . Il y a ici le maître d’ouvrage, le chef d’équipe, les perceurs de coffre, les guetteurs…Heureusement, la mise à sac d’une ville est évidemment plus imprévisible qu’une construction de pont.

Cette absence de fioriture n’empêche pas les personnages d’avoir une consistance certaine et c’est là la deuxième qualité majeure du film. Au sein même du processus de mise à sac, les auteurs ont tissé de jolies ramifications narratives.  Une idée très intéressante -et assez inédite- est que les voleurs sont obligés de séquestrer temporairement les personnes susceptibles de donner l’alerte. Flics, pompiers et jolies standardistes sont gardés par un malfrat le temps que ses complices dévalisent la ville. Ces confrontations entre des voleurs déterminés mais pas malveillants et leurs prisonniers donnent lieu à des scènes incongrues voire à des intrigues sentimentales sans pour autant faire verser le film dans la comédie. Simplement, Cavalier insuffle une épaisseur humaine à sa mécanique là où beaucoup de films du genre ennuient à force de montrer des types déjouer des systèmes d’alarmes et percer des coffres. L’aspect mélodramatique de Mise à sac, car il y un aspect mélodramatique dans Mise à sac, reste assez schématique car le développer aurait sans doute nuit à l’ensemble de la narration. Il pourra donc décevoir. Mise à sac n’en reste pas moins le meilleur film avec Michel Constantin, aux côtés du Trou. C’est du cinéma d’action purement français quoiqu’on n’en voit trop peu en France.

La ville de la vengeance (The restless breed, Allan Dwan, 1956)

Pour venger son père, un homme nettoie une ville des bandits qui s’en sont accaparés.

Si ce film réalisé par Allan Dwan en parallèle à sa fructueuse collaboration avec Benedict Bogeaus ne bénéficie pas de la somptuosité formelle conférée par les géniaux artisans de la R.K.O (Van Nest Polglase, Louis Forbes et autres John Alton), il n’en reste pas moins un très bon western dans lequel le cinéaste déjoue la convention avec l’humanisme simple et sans atours qui est le sien. Ainsi, The restless breed est des très rares films américains où l’élimination des méchants par le héros n’est pas vue comme un geste complètement positif. A l’habituelle thématique de la loi et l’ordre, Dwan a greffé un itinéraire moral qui voit son héros vengeur aller vers une certaine sérénité au contact des villageois. Le fade Scott Brady n’est pas l’acteur idéal pour retranscrire cette évolution mais les digressions orchestrées par Dwan, les moments suspendus qui s’articulent autour d’enfants, de chant, de religion et, aussi, de sensualité latine, pallient cette insuffisance. Figurez-vous un scénario de Borden Chase mis en scène par Leo McCarey. Il y a un peu de ça dans cette série B nimbée d’une saveur primitive qui, elle, n’appartient qu’à Allan Dwan.

The fearmakers (Jacques Tourneur, 1958)

De retour de Corée, un vétéran se rend compte que son institut de sondage a été accaparé par des lobbyistes pacifistes sans scrupule…

Guerre froide oblige, les militants anti-armement sont donc les méchants. Peu nous importerait s’ils n’étaient aussi caricaturaux et surtout si le passionnant sujet, c’est à dire la manipulation de l’opinion par le marketing politique, était traité avec un minimum d’intelligence. Or ce traitement est tout à fait conventionnel. Tout est réduit à une enquête policière où le héros cherche et trouve des preuves d’un crime écrites noir sur blanc dans un fichier central puis pète la gueule aux méchants. Entre-temps, il a évidemment séduit la secrétaire. Plusieurs flash-backs ont beau montrer qu’il est revenu traumatisé de Corée, ces traumatismes mais n’ont en fait aucune incidence sur le déroulement de l’histoire. Bref: The fearmakers aurait pu être une pépite de la série B subversive, c’est un produit convenu tout juste convenable dont l’intérêt est certes rehaussé par la prestation du toujours impeccable Dana Andrews et par un noir & blanc joliment stylisé.

La méprise (Alan Bridges, 1973)

Une jeune veuve de l’aristocratie anglaise retrouve le goût de la vie grâce à un chauffeur…

Cela commence comme une jolie bluette mais c’est en fait un mélodrame très cruel parce que ce qui était promis par le début n’adviendra pas. Sarah Miles est excellente, comme toujours lorsqu’elle tient ce genre de rôle. C’est sans doute la relative platitude de la mise en scène d’Alan Bridges qui a empêché cette palme d’or de passer à la postérité. Pas indigne mais pas génial non plus.

Marie-Martine (Albert Valentin, 1943)

Un romancier exploite le malheur d’une fille perdue par une riche famille pour écrire un livre.

La construction excessivement alambiquée camoufle un temps la profonde convention de l’intrigue mais le tout reste superficiel. Renée Saint-Cyr n’est pas aussi fraîche qu’Odette Joyeux ou Danièle Darrieux, Jules Berry cachetonne mais Saturnin Fabre, au cours d’une scène purement digressive, nous régale d’une composition exceptionnelle de fantaisie et de vérité humaine. C’est aussi ça la grandeur du cinéma français classique.

La pagaille (Pascal Thomas, 1991)

Après sept ans de divorce, deux parents ayant chacun un nouveau conjoint ont envie de se remettre ensemble…

Co-écrit avec Age, le célèbre scénariste de la grande comédie italienne, La pagaille ne figure pourtant pas parmi les réussites majeures de Pascal Thomas. S’il ne mérite pas l’échec qui fut le sien à sa sortie, s’il est souvent drôle, truffé de seconds rôles farfelus et riche en gags, il est nettement moins bon que Le chaud lapin ou Mercredi, folle journée!. La faute en incombe à une mise en scène qui manque de naturel, à des personnages qui semblent des pantins téléguidés par la mécanique du scénario. On ne s’intéresse que lointainement à ce qui leur arrive. La situation des familles recomposées, thématique centrale du film, n’est donc que très superficielle traitée. Le rythme est de plus assez déséquilibré. Toute cette agitation, toute cette « pagaille »  peut en fait se résumer à un triangle amoureux. La pagaille reste une comédie correcte car amusante mais le grand Pascal Thomas nous avait habitué à mieux.

Timbuktu (Jacques Tourneur, 1959)

Au Soudan français, pendant un soulèvement des autochtones, un mercenaire américain joue un trouble jeu avec le commandant de la garnison, son épouse et le chef des rebelles.

La convention du film d’aventures coloniales est détournée par un script intelligent qui rend incertaines les motivations des principaux protagonistes. Une multitude d’enjeux (patriotiques, économiques et amoureux) pèsent sur leurs décisions. Les personnages y gagnent une densité humaine tout à fait inhabituelle. Leur vérité psychologique va de pair avec une certaine grandeur romanesque exprimée à travers plusieurs actions surprenantes. Yvonne de Carlo est magnifique et les yeux de cocker de Victor Mature insufflent une tristesse bienvenue à son personnage de mercenaire désabusé. Comme il en a l’habitude, la petitesse de son budget est retournée par le cinéaste à son avantage: beauté nue des cadres, épure du découpage, génie de la fulgurance. Pour s’en convaincre, voir ne serait-ce que l’excellente ouverture.
Bref: Timbuktu est une superbe réussite de Jacques Tourneur.

Bob & Carol & Ted & Alice (Paul Mazursky, 1969)

Deux couples de riches trentenaires américains voient leurs repère moraux vaciller suite au week-end de l’un d’entre eux dans une communauté hippie.

Comme le synopsis l’indique, c’est un pur film de société donc c’est assez daté. Néanmoins, le sujet est bien traité car la distance de l’auteur est juste. Bob & Carol & Ted & Alice n’est ni apologie ni condamnation de la liberté sexuelle mais subtile observation de personnages qui y sont confrontés. Il est intéressant et parfois drôle de voir ces trentenaires un peu trop vieux pour être au centre de la révolution sexuelle s’essayer à l’adultère consenti avec tout ce qu’il faut de bonne volonté avant de finalement buter devant le caractère absurde de cet oxymore: « amour libre ». Ce n’est cependant pas très passionnant car on les voit plus parler de leurs sentiments que les vivre effectivement (ainsi toutes les aventures ont lieu hors-champ). Vous pourrez me rétorquer que c’est aussi le cas chez Eric Rohmer, cinéaste souvent encensé sur ce blog. Seulement chez Rohmer, il y une science de la narration, un goût du suspense et une intelligence quasi-diabolique de la mise en scène à peu près absents ici. Bref, Bob & Carol & Ted & Alice brille essentiellement par sa justesse. Justesse des comédiens, justesse du déroulement des situations. C’est déjà pas mal et ça suffit à en faire un bon film.

Sortilèges (Christian-Jaque, 1944)

Une communauté montagneuse est perturbée par un meurtre crapuleux commis par le sorcier-guérisseur.

Exemple typique -et glorieux- du cinéma féérique de l’Occupation, Sortilèges bénéficie d’abord d’une solide mise en scène d’un Christian-Jaque pour une fois inspiré. Le réalisateur donne une présence aux magnifiques décors naturels, fait exister la petite communauté et sait surprendre lors de l’inévitable morceau de bravoure final. Ses mouvements d’appareil pertinents, son sens du décor, les gueules pittoresques des personnages et la jolie photographie chargent le film d’un poids de concret qui fait cruellement défaut au scénario de Jacques Prévert (adapté d’un roman de Claude Boncompain).

En effet, la vision des jeunes amoureux selon le poète, amoureux qui déblatèrent des tirades ronflantes et généralistes plutôt que de se caresser, ressort du fantasme de vieille fille. Tout aussi frelatée est la caractérisation de l’inévitable « salaud » aux motivations aussi vagues et imprécises que la haine qu’il suscite chez les gentils. De plus, certains enchaînements d’action, tel la fin, sont dénués de logique. Bref, même s’il apporte l’univers particulièrement « cinégénique » autour duquel se déploie la mise en scène et que donc son apport aux qualités du film ne saurait être négligé, Prévert n’est pas un très bon scénariste.

En définitive,  s’il est difficile de prendre au sérieux une histoire aussi naïvement racontée et des personnages aux dialogues aussi faibles, la mise en scène pittoresque nimbée de poésie désuète insuffle à Sortilèges un charme suranné qui a tout de même bien mieux vieilli que l’abstraction vide et prétentieuse des Visiteurs du soir (autre préverterie de l’Occupation).

Eclairage intime (Ivan Passer, 1965)

Note dédiée à Jean Pop 2

Un soliste vedette de Prague est invité chez un des ses anciens camarades du conservatoire qui habite avec sa famille à la campagne…

Premier long-métrage de Ivan Passer, Eclairage intime est un film impressionniste qui repose sur un canevas narratif très ténu mais dont la mise en scène est d’une grande expressivité. On aurait vite fait de trouver ça anodin mais on aurait tort. La légèreté inouïe du trait ne fait qu’accentuer l’impression de vérité première qui se dégage d’images parfois sublimes. Le montage notamment est riche de sens. Le cinéaste montre la rencontre entre citadins et campagnards avec une sorte de doux détachement. En s’intéressant à des détails à peine incongrus au cours de scènes folkloriques, il restitue l’humanité profonde de ceux qu’il filme. Ainsi, la séquence de l’enterrement est magnifique. Ivan Passer s’y affirme en poète de la communauté aussi grand que John Ford ou Michael Cimino quoique son style soit radicalement différent des deux Américains puisqu’il se focalise plus sur des points périphériques que sur le centre de l’action. La grâce du film retombe quelque peu dans un dernier tiers où l’auteur essaye de développer son histoire d’amitié mais se montre assez superficiel, convenu et languissant. Eclairage intime n’en reste pas moins un petit miracle de cinéma qui en son temps attira à juste titre l’attention sur ce qui se tournait en Tchécoslovaquie.

Les gaz mortels (Abel Gance, 1916)

Pendant la première guerre mondiale, un scientifique humaniste est sommé par l’armée française de concevoir des gaz mortels.

C’est peut-être dû au fait qu’on était encore en pleine guerre mais le propos pacifiste est considérablement dilué par des intrigues rocambolesques liées à la famille du savant. Et ces intrigues sont d’un niveau de mélodrame de caniveau. Mais l’intérêt du film n’est pas là. Il est dans sa mise en forme. S’il n’y a pas ici le foisonnement créatif de La dixième symphonie tourné l’année suivante, le jeune Abel Gance montre qu’il a rapidement acquis les leçons de maître Griffith avec notamment une excellente gestion de climax basé sur le montage parallèle qui impose un fossé entre lui et les cinéastes français d’avant 1914. Ainsi, il n’y a qu’à comparer son film avec Germinal, très bon film du vétéran Albert Capellani tourné quelque deux ans auparavant mais qui semble appartenir à une autre époque du cinéma que ces Gaz mortels.

Pain, amour et fantaisie (Luigi Comencini, 1953) Pain, amour et jalouisie (Luigi Comencini, 1954)

Un maréchal des logis est affecté dans un village pauvre de l’Italie montagneuse. Ce vieux beau célibataire va être l’objet de l’attention des commères…

Ce merveilleux diptyque marque l’avènement du renouveau de la comédie italienne. Dans un environnement que l’on peut qualifier de « néo-réaliste », Luigi Comencini et ses scénaristes convoquent les éternels schémas de la comedia dell’arte avec une incomparable virtuosité. Le trait est moins acerbe qu’il ne le sera plus tard dans le genre car  la bienveillance de Comencini pour ses personnages est totale et le ton est globalement joyeux. Cela n’empêche pas les auteurs, et c’est là leur génie, de montrer toute la misère économique, sociale et morale qui pèse sur les villageois. Voir ainsi comment dans le second volet les vieilles traditions empêchent l’harmonie des coeurs promise par la fin du premier épisode. Je crois d’ailleurs que c’est un cas unique dans l’histoire du cinéma que ce happy end d’un film qui se voit remettre en cause par la suite de ce film.

Le récit est riche, plein d’intrigues qui s’emmêlent tout en étant mené avec concision. Les personnages sont denses et formidablement interprétés. Vittorio De Sica trouve ici son meilleur rôle d’après-guerre et Gina Lollobrigida son meilleur rôle tout court. L’humour n’empêche pas la prise au sérieux des tourments des protagonistes ni le surgissement de l’émotion. Bref, c’est du grand et beau cinéma populaire, mille coudées au-dessus du contemporain Don Camillo. Pain, amour et fantaisie et Pain, amour et jalouisie sont deux classiques en quelque sorte parfaits qui ne sont pas appelés à vieillir.

Les belles manières (Jean-Claude Guiguet, 1978)

Un jeune ouvrier entre au service d’une grande bourgeoise. De troubles rapports s’établissent.

Le sexe, les classes sociales, la mort. C’est la matière d’un mélodrame mais le style affecté et maniéré de Guiguet freine l’implication du spectateur. Une solennité du ton trop constante pour être honnête fait apparaître comme un exercice de style un peu vain ce qui aurait pu (du?) être un drame déchirant mâtiné d’une violente critique sociale. Les belles manières est une sorte de Violence et passion du pauvre.

Topaze (Marcel Pagnol, 1936)

Un instituteur idéaliste et naïf se corrompt au contact de deux notables.

Deuxième adaptation de la célèbre pièce de Pagnol et première version mise en scène par l’auteur lui-même, ce film n’est, à l’instar des deux autres, pas pleinement convaincant. La faute en incombe d’abord à une écriture abstraite et peu réaliste. Dans les chefs d’oeuvre de Pagnol cinéaste, la théâtralité était superbement mariée à un génie des lieux et des paysages naturels qui fait que les historiens du cinéma ont vu en lui, à juste titre, un précurseur du néo-réalisme italien. Or la moitié de Topaze -soit une heure de film- se déroule dans un bureau où deux personnages discutent. C’est d’ailleurs parce que Louis Gasnier et Léopold Marchand, responsables de la première adaptation, avaient osé couper dans ses abondants dialogues que Pagnol a réalisé lui-même ce nouveau Topaze. On ne voit jamais Topaze effectuer les actions qui le transforment moralement, on ne le voit qu’en parler à un tiers. En plus de produire une mise en scène statique et assez ennuyeuse à l’écran, ce recul analytique des protagonistes sur leur conduite, tout à fait invraisemblable, accentue la prééminence de l’auteur sur ses personnages et rend donc prégnant l’artifice de la construction de la fable.

De surcroît, cinématographiquement parlant, Pagnol expérimente ici son nouvel outil d’une façon pas toujours heureuse. Ainsi du premier dialogue entre Topaze et son directeur, découpé sous une bonne demi-douzaine d’angles différentes. Tsui Hark n’aurait pas fait plus brouillon.

Heureusement, la première partie dans l’école, qui rappelle le merveilleux Merlusse, ne manque pas de ce savoureux réalisme propre au meilleur de Pagnol.  Il y a aussi des dialogues succulents, toujours succulents, et un Arnaudy plus à son aise dans le rôle de Topaze que Louis Jouvet (peu crédible en instituteur candide) et Fernandel (pas très crédible en homme d’affaires véreux).