Hämnaren (Mauritz Stiller, 1915)

Un catholique refusant d’épouser une juive qu’il a mise enceinte, celle-ci meurt et son enfant est recueilli par son fiancé « officiel ».

Primitivisme théâtral de la technique, absurdité de l’intrigue (le prêtre sollicité pour amadouer un Juif…), outrance des gestes des acteurs. C’est nul.

Les ailes (Mauritz Stiller, 1916)

Un vieux sculpteur prend pour modèle un beau jeune homme…

C’est la première adaptation du roman de  Herman Bangs Michael avant le beau film réalisé huit ans plus tard par Dreyer. La technique encore un peu primitive et le jeu pas toujours subtil des comédiens font que la mise en scène garde de fâcheux accents théâtraux. A noter un début et une fin « méta-cinématographiques » qui introduisent une sympathique ironie.

Dans les remous/Le chant de la fleur écarlate (Mauritz Stiller, 1919)

Amoureux d’une fille de ferme, le fils d’un propriétaire terrien quitte le domaine familial et devient flotteur de bois…

La nature n’est pas sublimée par la prise de vue comme elle a pu l’être dans d’autres films suédois, plus lyriques, de l’époque. Forêts, collines et torrents se contentent d’être le cadre réaliste d’un récit hautement moral agrémenté de plusieurs scènes pittoresques au premier rang desquelles figure une fameuse course dans les rapides.

Le meilleur film de Thomas Graals (Mauritz Stiller, 1917)

Un scénariste s’entiche d’une jeune fille mythomane et écrit un film en se basant sur les dires de celle-ci…

Le cinéma dans le cinéma -un motif déjà vu et revu en 1917- est ici source d’inventions formelles au service de la comédie, tel le jeu autour des flash-backs dont les intertitres contredisent l’image, procédé qui exprime drôlement le mensonge du personnage qui raconte. La virtuosité pétulante et mouvementée du style rappelle les comédies d’Allan Dwan à la Triangle. Ainsi, le jeu de Victor Sjöström dans Thomas Graals bästa film est aussi dynamique que celui de Douglas Fairbanks circa 1916. Brillant.

Amour et journalisme (Mauritz Stiller, 1916)

Pour connaître les projets d’un explorateur, une journaliste se fait engager par lui comme bonne à tout faire.

Certains historiens du cinéma ont pu exagérer l’apparentement de la comédie américaine des années 30 à Amour et journalisme: si son canevas est similaire à celui d’un film comme L’amour en première page, ce film suédois, à mi-chemin entre primitivisme et classicisme, reste dénué de la richesse de détails réalistes ou saugrenus qui donne sa saveur aux plus fameux représentants du glorieux genre. Le milieu du journalisme n’est ici pas exploité en tant que tel. C’est des jeux de séduction entre leurs deux protagonistes que les auteurs font leur miel. Le charmant naturel des acteurs et l’aisance du découpage font alors merveille. D’où la fraîcheur et la vivacité inaltérées de cette petite comédie de Mauritz Stiller.

Johan/A travers les rapides (Mauritz Stiller, 1920)

Contre l’avis de sa mère, un propriétaire épouse sa jeune servante. Bientôt, un marin arrive au domaine et se voit offrir l’hospitalité…

Mauritz Stiller a ici adapté le classique de la littérature finlandaise Juha qui sera refilmé quatre-vingts ans plus tard par son compatriote Aki Kaurismäki. Le peu de personnages et l’absence d’environnement social font pencher le film vers une certaine abstraction théâtrale. Cette impression est heureusement équilibrée par des scènes où on voit les protagonistes au travail (écaillage des poissons, coupage du bois) et par l’importance des décors naturels (rivières, lacs, plages, forêts) qui, sans être poétisés comme dans d’autres films suédois, ont le mérite d’ancrer l’action dramatique dans une réalité drue. Ainsi le basculement dans l’adultère s’incarne t-il dans une course sur les rapides.

Le déroulement de ce drame moral demeure quelque peu pesant et austère mais Stiller parvient à nous y intéresser grâce à sa mise en scène d’une souveraine précision. D’excellents acteurs et un découpage d’une parfaite rigueur restituent aussi bien la fraîcheur d’une jeune fille cueillant des baies pour son amoureux (moment qui rappelle la merveilleuse partie centrale des Proscrits) que la violence d’un tabassage à coups de rondins. Le tout est raconté avec une hauteur de vue qui tranche d’avec le manichéisme hollywoodien: si la tentation adultérine est désavouée, l’enfer conjugal de la jeune femme est rendu sensible également, ce qui nuance la portée du dénouement. Johan relève donc d’un un art d’une absolue maîtrise quoique, venant après Les proscrits et Terje Vigen, un tantinet appliqué.

Vers le bonheur (Erotikon, Mauritz Stiller, 1920)

L’épouse d’un entomologiste est courtisée par un jeune sculpteur et un riche baron…

Remarquable succès en son temps, cette fantaisie mondaine montra au public étranger que les Suédois avaient plus d’une corde à leur arc. Si le cosmopolite Stiller avait déjà plusieurs comédies à son actif lorsqu’il entreprit d’adapter la pièce de Ferenc Herczeg, il a été dit (par Billy Wilder notamment) que c’est Erotikon qui influença Ernst Lubitsch d’une façon capitale lorsque le film fut présenté à Berlin au début des années 20. Et il est vrai que le joyeux immoralisme du propos ainsi que le jeu autour des archétypes du mari et de l’amant ont quelque chose de lubitschien. En dehors de ça, Erotikon reste une simple adaptation de théâtre de boulevard interprétée avec talent mais dénuée des observations réalistes d’un Cecil B. DeMille (Why change your wife?). Par ailleurs, l’exposition est longuette et un ballet est intégré au film et symbolise l’action dramatique. Procédé lourdaud s’il en est. Si Erotikon a probablement une importance historique non négligeable, c’est donc un film plutôt médiocre.

La légende de Gösta Berling (Mauritz Stiller, 1924)

En Suède au XIXème siècle, plusieurs femmes se perdent pour un prêtre défroqué…

Dramatisant des oscillations entre déchéance et rédemption typiques des récits de Selma Lagerlöf, La légende de Gösta Berling est une foisonnante saga dont les articulations ne sont pas toujours claires et où les coïncidences dramatiques abondent. Précisons que les nombreuses coupes pratiquées par les différents distributeurs n’aident pas à la compréhension. Il n’empêche : à le découvrir aujourd’hui sur grand écran, on comprend aisément que La légende de Gösta Berling ait été et soit encore considéré comme le chef d’œuvre terminal du cinéma muet suédois. Il s’agit aussi du chef d’œuvre baroque de cette école d’esprit globalement classique. De même que l’inspiration visuelle (c’est le plus beau des quatre films de Mauritz Stiller que je connaisse), le souffle hugolien de la narration ne faiblit jamais. Une séquence comme la fuite nocturne du traîneau poursuivi par les loups sur le lac gelé est à faire figurer dans toutes les anthologies du cinéma muet. La légende de Gösta Berling est également illuminé par la présence d’une étoile alors naissante : Greta Garbo.

Hotel imperial (Mauritz Stiller, 1927)

Pendant la première guerre mondiale, une garnison russe s’établit dans un hôtel où un soldat hongrois se cache…

Devant ces soldats impériaux qui n’aiment rien tant que boire du champagne et lutiner les bonnes, devant ce style élégant plein de belles métonymies, on songe aux films de l’autre grand immigré embauché par Erich Pommer à la Paramount: Ernst Lubitsch, qui a d’ailleurs reconnu l’influence du fameux cinéaste finno-suédois. Grand virtuose gérant habilement les considérables moyens mis à sa disposition (à commencer par Pola Negri qui s’est, une fois n’est pas coutume, très bien entendu avec son réalisateur), Mauritz Stiller passe de la comédie au drame avec aisance et décontraction. On se serait bien passé du bête retour à la convention qu’est l’épilogue. Hotel Imperial est certainement un film mineur de l’auteur du Trésor d’Arne mais, considéré dans le cadre circonscrit de la commande qui fut celle assignée à Stiller alors qu’il venait de se faire virer de la MGM et donc n’en menait pas large à Hollywood, n’en demeure pas moins une honorable réussite.

Le vieux manoir (Mauritz Stiller, 1923)

Un jeune violoniste qui a fui le vieux manoir familial entreprend de convoyer un troupeau de rennes.

L’histoire, tirée comme beaucoup de classiques du muet suédois d’un livre de Selma Lagerlöf, manque d’unité dramatique et certains développements sont naïfs. Plusieurs procédés de montage visant à figurer ce qui se passe dans la tête d’un personnage montrent l’étendue de la palette du réalisateur mais apparaissent aujourd’hui désuets. Le vieux manoir n’en reste pas moins un fort beau film.

Mauritz Stiller fut, avec son collègue Victor Sjöström, le premier à comprendre (dès les années 10) que le cinéma est l’art de l’ancrage du mythe dans les éléments concrets, l’art de l’incarnation de la légende dans la matière, l’art de la mise en scène. Toutes ces qualités sont ordinairement attribuées au western, genre cinématographique par excellence, et Le vieux manoir a un aspect westernien. En témoigne les impressionnantes séquences de transport de rennes. Je ne vois que le convoyage du bétail dans La rivière rouge pour rivaliser avec une telle ampleur.

Ce sont ces images de rennes par milliers qui ont assis la notoriété du Vieux manoir auprès des critiques français d’avant-guerre mais la beauté du film ne s’arrête pas là.
La chevelure solaire de l’égérie de Stiller (la magnifique Mary Johnson), le reflet du visage de cette dernière dans un lac troublé par des ondes, les immenses plaines glacées soufflées par le vent…fascineront tout amateur de cinéma primitif.
D’une manière générale, c’est le génie de la composition picturale du cinéaste qui, en inscrivant les personnages dans un environnement naturel, donne une réelle présence à ce qui n’aurait pu être que des clichés sur pattes.

L’oubli dans lequel est tombé Mauritz Stiller tandis que les éditeurs dits culturels sortent, avec la bénédiction de l’ensemble des media spécialisés, des films de Lucio Fulci et des pornos (soi-disant géniaux parce que sortis dans les 70’s) par dizaines n’est pas le moindre des signes que quelque chose de pourri s’est installé dans le royaume de la cinéphilie.

Le trésor d’Arne (Mauritz Stiller, 1919)

Dans la Suède du XVIème siècle, une jeune fille tombe amoureuse d’un des trois hommes qui massacrèrent sa famille.

Pourquoi, en dépit d’une intrigue lourdement moralisatrice et d’une narration parfois encombrée d’intertitres, ce classique du cinéma muet suédois n’a t-il guère vieilli? Parce que la mise en scène donne une véritable présence aux éléments filmés. Ce qui frappe quand on regarde Le trésor d’Arne, c’est le poids de la matière qui en fait le contraire d’une oeuvre de conventions. Les gueules burinées, les barbes perlées de glace, les traits évanescents des jeunes filles (superbe Mary Johnson!), la neige, le vent qui balaye tout ça, la puissance dramatique de certains cadrages, le pittoresque parfaitement dosé des scènes de genre…A la manière du western, l’inscription de la légende dans un cadre géographique et social déterminant lui donne une consistance profonde et inspire à Mauritz Stiller des séquences magistrales. Je songe à l’évasion du début, scène d’action au déroulement parfait, aussi bien qu’à la sublime procession finale sur la mer gelée. Un très beau film.