The player (Robert Altman, 1992)

Un décideur hollywoodien se retrouve impliqué dans le meurtre d’un scénariste raté.

The player est donc une satire du cynisme hollywoodien. Cette année là, Robert Altman était en forme et son film est maîtrisé. Ainsi, il y a des plans-séquences de plusieurs minutes où la virtuosité du réalisateur avec sa caméra est éclatante. De plus, la mise en abyme est très maline. Il faut dire qu’une cinquantaine de vedettes hollywoodiennes apparaissent sous leur vrai nom, piquant procédé qui accentue le flou entre spectacle et réalité.

Le problème est que le mépris sans appel de l’auteur pour chacun de ses personnages uniformise considérablement son film. Tout ici est soumis à la démonstration d’Altman: « tous pourris ». Une fois lancé, le film ne dévie pas plus de ses rails que les caméras du cinéaste. Il n’y a pas d’échappée, le film est verrouillé, et si le spectateur ne sombre pas dans l’ennui le plus profond, c’est bien parce que le scénariste a plus d’un tour dans son sac pour nous intéresser à sa mécanique (une mécanique qui n’est jamais plus qu’une mécanique). Tel le rebondissement final. Le cynisme de son héros semble aussi être celui de l’auteur. C’est toute la différence avec S.O.B où la virulence de la critique du milieu hollywoodien n’interdisait pas l’éloge de l’amitié. D’où un film plus hétérogène, plus varié, plus surprenant, plus audacieux et finalement bien plus passionnant que The player (sans même parler du génie comique de Blake Edwards).

Contrechamp ici

Humeurs et rumeurs (Paul Vecchiali, 2007)

Dans une villa du Var, une metteuse en scène qui a réuni des amateurs divers et variés essaye de monter une pièce de Corneille.

Humeurs et rumeurs est d’abord la suite de Corps à coeur puisqu’on y retrouve le personnage de Nicolas Silberg trente ans plus tard, hanté par sa passion de jeunesse. Néanmoins, il n’est ici qu’un personnage parmi d’autres, chacun avec ses drames, ses histoires, son histoire. Le film est hanté par la mélancolie de son auteur. Autoproduit dans la villa du cinéaste, Humeurs et rumeurs est vecchialien jusqu’au bout des ongles. On y retrouve le goût de l’auteur pour les surprises dialectiques (les retournements finaux), son refus du champ-contrechamp, des intermèdes chantés concoctés avec le fidèle et toujours aussi inspiré Roland Vincent et des citations d’Achard/Ophuls. Mais par rapport aux productions Diagonale, Humeurs et rumeurs apparaît théorîque, froid, désincarné. Le statisme de la mise en scène, l’abondance de dialogues, le jeu anti-naturel des acteurs (certes pas nouveau chez Vecchiali) créent une impression de fausseté et d’arbitraire. L’histoire d’amour centrale n’est guère rendue sensible en dehors certes de quelques fulgurances stylistiques tel ce sublime mouvement de caméra sur le port de Saint-Tropez. A noter aussi que la lumière du Var est magnifiquement captée.

Count the hours (Don Siegel, 1953)

Un avocat se démène pour innocenter un employé de maison accusé du meurtre de ses patrons.

La rapidité de cette petite série B de la RKO (Benedict Bogeaus à la production) fait oublier les quelques invraisemblables facilités du scénario. Ce scénario contenait la matière d’une satire de la bêtise provinciale ainsi que d’une critique contre le système accusatoire américain mais Don Siegel est dans l’esprit plus proche d’un Phil Karlson que d’un Fritz Lang et il se contente d’emballer ça durement et prestement, quoique son film ne soit pas strictement dénué de petites lourdeurs (le jeu de l’accusé est quelque peu appuyé). Bon film en définitive.

Louisiana story (Robert Flaherty, 1948)

Une société pétrolière s’installe dans les marais cajuns pour forer un trou.

Commandé à Robert Flaherty par la Standard Oil Company pour mettre en valeur le travail de ses foreurs, Louisiana story est en fait, comme les autres films du réalisateur, un poème dédié aux peuplades primitives qui, vivant au plus près de la Nature, sont quotidiennement aux prises avec elle pour survivre. En l’occurrence, l’auteur de Nanouk s’intéresse aux cajuns, ces descendants de colons français qui vivent dans les marécages de Floride. On suit un enfant cajun dans ses déambulations sur la rivière.  C’est une sorte de Tom Sawyer qui attrape des poissons, adopte un raton-laveur, tente de capturer un crocodile, rencontre les foreurs qui envient son adresse à la pêche… Comme toujours chez Flaherty, les caractères ne sont pas fouillés et l’environnement social des personnages inexistant.

Seul compte le rapport de l’homme à la nature. La beauté de cette dernière est chantée grâce à des images d’une époustouflante beauté. Les champs de blé rappellent City girl de Murnau, les nombreux plans sur les animaux sauvages rappellent Tol’able David et annoncent La nuit du chasseur. La lumière est globalement sublime. Moins âpre que L’homme d’Aran, Louisiana story n’en contient pas moins des séquences de suspense terrifiantes avec des crocodiles, séquences qui rappellent le caractère foncièrement artificiel, spectaculaire et dramatisé du cinéma de Flaherty. S’il contient des longueurs dues aux scènes inintéressantes avec les foreurs, s’il est moins équilibré que Nanouk et L’homme d’Aran, ce dernier film de Flaherty est peut-être celui où ses qualités plastiques et dramatiques sont les plus éclatantes.

Exodus (Otto Preminger, 1960)

La naissance d’Israël en 1947 vue à travers le destin de plusieurs personnages.

Exodus est le premier des films « à grand sujet » qu’Otto Preminger réalisa dans les années 60. C’est une ample fresque de 212 minutes. Selon une technique de narration maintes fois éprouvée par le cinéaste autrichien, le foisonnement romanesque des points de vue assure une certaine objectivité quant au traitement d’un sujet encore brûlant d’actualité. Exodus est d’abord un grand film didactique. Personnages et situations sont là pour schématiser le complexe contexte politique ayant présidé à la création d’Israël. Réductibles à deux ou trois caractéristiques génériques, les protagonistes d’Exodus sont donc dépourvus du mystère qui fait par exemple le sel d’un Lawrence d’Arabie (ce sont deux films comparables sur bien des points). Preminger et son scénariste Dalton Trumbo ont cependant pris soin de ne caricaturer aucun de ces personnages à haute dimension symbolique. Par exemple, le jeune chien fou aura droit à sa -terrible- scène de trauma éclairant son comportement névrotique.  Ce didactisme de la narration n’est pas exempt de facilités ni de raccourcis. Les intrigues intimistes, traitées avec de grosses ficelles, ne sont pas toujours des plus convaincantes. Ainsi, l’infirmière américaine, auquel le spectateur est censé s’identifier puisqu’elle est d’abord étrangère au drame juif,  épouse la cause sioniste après être tombée amoureuse du beau chef de la Haganah joué par Paul Newman. C’est une convention éculée qui jure avec la rigueur de l’ensemble. Dans ses deux films suivants -ses deux chefs d’oeuvre-, Tempête à Washington et Le cardinal, Preminger nous épargnera ce genre de romance frelatée.

Ces quelques réserves qui empêchent que je considère Exodus comme un chef d’oeuvre de Preminger ne doivent cependant pas vous induire en erreur: il n’en reste pas moins un très bon film pour plusieurs raisons. D’abord, malgré les schématisations citées plus haut, ses auteurs ont effectué un extraordinaire travail de narration, clarifiant, synthétisant et surtout rendant sensible les divers enjeux d’un instant très délicat de l’Histoire. Le tout sans simplification abusive. Exodus est tout de même un film de plus de 3 heures et demi où le rythme est si savamment géré que l’on ne s’ennuie pas une seconde. Ce n’est pas rien. Ensuite, ces auteurs ont haussé cet instant de l’Histoire au rang d’épopée grâce notamment à de beaux morceaux de bravoure (quoique mal justifiée dramatiquement parlant, l’attaque de la prison d’Acre est magistralement mise en scène). En partant du destin d’une communauté précise, le cinéaste a réalisé une fresque généreuse et humaniste dont la portée est universelle. Enfin, nul doute qu’Exodus, premier des films « à grand sujet » d’Otto Premigner, fut un jalon important dans l’oeuvre du cinéaste viennois, jalon qui le mena directement aux réussites pleines et entières qu’allaient être Tempête à Washington et Le cardinal.

Beaux temps mais orageux en fin de journée (Gérard Frot-Coutaz, 1986)

A Belleville, un couple de jeunes retraités reçoit leur fils avec sa nouvelle copine.

Cette petite merveille signée par le regretté Gérard Frot-Coutaz est la preuve qu’un cinéaste peut traiter d’angoisses métaphysiques graves sans être aussi plombant qu’Ingmar Bergman. Gorgé de savoureux effets comiques, ce film, qui respecte pour ainsi dire les unités de temps (une journée) et de lieu (l’appartement des deux retraités), est d’abord un joyau d’écriture. Entre l’épluchage des patates et la cocasse cuisson du poulet, les peurs existentielles refoulées sous les oripeaux du vernis social (alors que les invités sont la plus proche famille) ressurgissent très violemment. Cette alternance des tons n’est pas artifice de fabricant de spectacle mais bouleversante restitution de l’essence des personnages. En effet: quoi de plus tragicomique que la vieillesse?

Cela aurait pu se limiter à une mécanique théâtrale parfaitement huilée, c’est un film plein de vie et de mystère. C’est un film plein de vie grâce à la présence des immenses Claude Piéplu et Micheline Presle, grâce au naturel discrètement fantasque de leur jeu. C’est un film plein de vie grâce à la fantaisie contrôlée du style. Ainsi du chant collectif, pari du cinéaste osé mais tenu. C’est un film plein de mystère du fait des notations étranges introduites par le metteur en scène tel ces gestes de tendresse quasi-incestueuse entre le fils et sa mère, des instants où Frot-Coutaz se garde bien d’être bêtement explicatif (la mélancolie de la mère ne saurait être réduite à un unique traumatisme) mais reste toujours juste quant à l’évocation des états d’âme des personnages.  C’est enfin un film plein de mystère parce que l’environnement bellevillois des personnages ne sert pas uniquement à les situer socialement (excellente scène du poulet halal): des plans magnifiques sur le feuillage des arbres du parc soufflés par le vent insèrent dans la chronique de discrètes embardées cosmiques. Il y a ici un fantastique analogue à celui du Rayon vert.

Beau temps mais orageux en fin de journée est donc un film aussi grand qu’oublié. Dans la belle tradition des meilleurs auteurs Diagonale, l’empathie de Gérard Frot-Coutaz pour tous ses personnages en même temps que l’effacement de son ego au profit de son récit lui ont permis de réaliser un des films les justes qui soient sur son sujet. A savoir la folie ordinaire d’une jeune retraitée.

J’étais une aventurière (Raymond Bernard, 1938)

Une aventurière qui vole de riches messieurs tombe amoureuse d’une de ses proies…

J’étais une aventurière est sans doute le film français le plus lubitschien qui n’ait jamais été tourné. Tout le début où l’on voit le trio d’escrocs voler la haute-société grâce à des plans plus sophistiqués les uns que les autres est comme une sorte de Haute-pègre revu par un scénariste -Jacques Companeez- découvrant le principe des séries américaines avec trente ans d’avance. Il y a en effet du Mission:impossible dans cette écriture qui mise sur la surprise créée par l’intelligence diabolique de professionnels de la manipulation mondaine pour faire jubiler le spectateur. Comme dans une série, plusieurs variations autour de ce thème sont présentées et à chaque fois, la virtuosité des personnages/auteurs est telle que le spectateur s’y laisse prendre.

Cette fascinante mécanique dérape à partir du moment où des sentiments naissent chez l’héroïne. Ce décisif basculement vers l’irrationnel (ses compères ne comprennent évidemment pas leur collègue) est rendu sensible par le talent du cinéaste qui ose et réussit une séquence d’un lyrisme juste et grandiose. Grâce à leur inventivité, à la justesse de leur ton et à leur inébranlable respect des situations et des personnages (à l’exception du dernier plan un brin démagogique), Jacques Companeez, Raymond Bernard et les acteurs -tous parfaits- ont su donner du corps aux diverses conventions narratives qui régissent leur ouvrage. Léger et brillant, J’étais une aventurière est ainsi un parfait exemple de la belle santé du cinéma français d’avant-guerre.

Abus de confiance (Henri Decoin, 1938)

Une étudiante en droit désargentée se fait passer pour la fille naturelle d’un riche notaire.

Ni comique ni franchement dramatique, ce Decoin/Darrieux peine à trouver son ton. Les facilités du scénario, la superficialité de la caractérisation des personnages ainsi que la réalisation de Decoin en pilotage automatique n’en font pas un très bon film. A noter cependant un beau dernier plan dans lequel le metteur en scène insuffle, enfin, un peu d’ambigüité à la convention (celle du happy end en l’ocurrence).

Entrée des artistes (Marc Allégret, 1938)

L’arrivée d’une nouvelle élève sème le trouble entre deux jeunes amoureux du Conservatoire.

Plutôt qu’un marivaudage, Entrée des artistes est un triangle amoureux. Sa relative originalité tient au fait que ses protagonistes, à force de se jouer la comédie, ne savent plus distinguer la vérité de leurs sentiments. Comme les personnages sont en perpétuelle représentation et rarement naturels, on peut même pour une fois tolérer les (mauvais) bons mots de Jeanson. Il est cependant dommage que le metteur en scène soit aussi peu investi dans ce qu’il filme. De ce fait, Entrée des artistes n’est guère plus que le déroulement de son script, un script calculé de bout en bout par des fabricants préoccupés par l’application de recettes parfois idiotes (voir l’intrigue policière finale complètement hors de propos) plus que par le traitement de leur sujet profond qui, d’après la tirade finale du professeur, aurait pu être l’analogie entre représentation théâtrale et comédie de la vie. Heureusement, Louis Jouvet, quoique finalement peu présent, est magnifique dans un rôle quasi-biographique et ses quelques scènes ont un cachet réaliste qui fait défaut au reste du film. Quant à la frêle Janine Darcey, elle est touchante. Bref, Entrée des artistes est un divertissement correct mais loin d’être un classique du cinéma français.

Le rosier de madame Husson (Bernard-Deschamps, 1932)

Dans une petite ville, comme ils ne trouvent pas de jeune fille suffisamment vertueuse pour être choisie comme « rosière », des notables couronnent l’idiot du village « rosier ».

Cette adaptation de Guy de Maupassant est une fantaisie satirique qui affirmait l’originalité d’un cinéaste rare: Bernard-Deschamps. La mise en scène est inventive et très stylisée: il y a peu de paroles mais beaucoup de chansons ainsi que des séquences quasiment muettes dont le découpage est particulièrement expressif. L’humour est corrosif mais le propos ne peut être réduit à une charge univoque. A ses débuts et dépourvu des tics sur lesquels il capitalisera plus tard, Fernandel est littéralement monstrueux dans le rôle du rosier.

This is Korea! (John Ford, 1951)

Documentaire de propagande américaine sur la guerre de Corée.

Les quelques belles images où la sentimentalité mélancolique de John Ford s’exprime indéniablement n’altèrent guère la profonde débilité de ce film de propagande extrêmement virulent (« fire them! burn’em out! cook’em! »). On est loin de la grandeur élégiaque de La bataille de Midway réalisé dans le même cadre quelques dix ans auparavant. A noter que, distribué par Republic, This is Korea! est un film en Trucolor.

L’équipage (Maurice Tourneur, 1929)

Pendant la première guerre mondiale, un pilote d’avion et son jeune observateur sont amoureux de la même femme.

Cette adaptation du premier roman de Joseph Kessel pêche par édulcoration: le fait que Jean ne couche pas avec Hélène durant sa permission désosse proprement le drame et ôte toute espèce d’intérêt à ce film convenu et académique.