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En 1956, avec l’aide de sa fidèle Nelly Kaplan, Abel Gance a remonté son J’accuse de 1938 dans une version d’une heure en utilisant le procédé de polyvision qu’il avait inventé en 1927 pour son célèbre Napoléon. Trois courts-métrages et des extraits de Napoléon ont été adjoints au programme qui fut exploité huit semaines au Studio 28 sous le nom de Magirama. Le CNC et Serge Bromberg ont restauré la partie « J’accuse » du Magirama qui a ainsi été montrée pour la première fois depuis 60 ans mercredi soir à la Cinémathèque de Bercy (à quelques projections exceptionnelles près telle celle à l’Exposition universelle de Bruxelles).
Première chose à préciser: pour ne plus s’encombrer du complexe appareillage nécessaire à la triple-projection, le support du film a été numérisé. Pratiquement, on a maintenant le DVD d’un film en Cinémascope avec du noir en haut et en bas de l’image pour maintenir la juste proportion entre hauteur et largeur dans le cas où trois plans s’affichent simultanément. De ce fait, et également du fait que la projection a eu lieu dans la salle de taille moyenne Georges Franju*, j’ai eu l’impression de voir un timbre-poste s’animer et, quand l’oeuvre passe en « mode polyvision », trois timbres-postes juxtaposés. L’effet de gigantisme souhaité par Abel Gance en a pris un coup.
Toutefois, je ne pense pas que ces limitations techniques soient les principales responsables de ma déception. J’ai eu la triste impression d’un poète à bout de souffle, recyclant une énième fois ses morceaux de bravoure (la fameuse résurrection des morts de Verdun) sans que son nouveau moyen d’expression n’ajoute quoi que ce soit à la splendeur funèbre de la version précédente. Au contraire. D’abord, le nouveau montage d’une heure réduit le récit à une succession de vignettes uniformément plaintives, en dehors d’une scène gentiment comique. Ensuite, les panneaux latéraux sont désormais pléonasmes plus que contrepoints. Est-ce parce qu’ils sont soumis à l’expression d’un message? Le fait est que, perpétuellement englués dans la litanie pacifiste, ils forment une surenchère (d’images macabres) et non une polyphonie telle que la séquence de la campagne d’Italie dont j’ai un souvenir sublime d’abstraction.
* parce que la Cinémathèque française a préféré réserver son plus grand écran à L’aventure intérieure de Joe Dante qui, ne passant guère plus d’une fois par semaine sur les chaînes de la TNT, est aussi un film très rare