Adieu Lady (William Wellman, 1956)

Dans un bayou, un orphelin qui vit avec son vieil oncle recueille une chienne.

Un beau noir et blanc met bien en valeur les décors naturels mais l’histoire, qui tire sur la corde sensible en mêlant (et séparant) enfant et petit chien, est des plus lénifiantes. Walter Brennan est agaçant. La musique appuie la mièvrerie, ce qui est étonnant pour un film signé Wellman.

Carousel (Henry King, 1956)

Remake musical de Liliom.

L’histoire tirée de Ferenc Molnar est toujours aussi artificielle, poussiéreuse et moralement sinistre. Mais cette adaptation, musicale, est dix fois pire que les films de Lang et Borzage car elle est une fois et demi plus longue. Les numéros musicaux ne font que ralentir l’action même s’il faut reconnaître qu’un sacré standard a été composé pour l’occasion: You’ll never walk alone. Gordon McRae, qui reprend le rôle qu’aurait dû tenir Frank Sinatra, fait regretter Frank Sinatra. L’écran large (obtenu avec l’éphémère procédé 55 mm) redouble le statisme de la mise en scène et le kitsch visuel. Bref, Carousel est une indigeste choucroute.

Pleine de vie (Richard Quine, 1956)

Pour des travaux dans sa maison, un jeune couple fait appel au père du mari.

Une pépite de justesse que cette comédie méconnue de Richard Quine, écrite par John Fante d’après un de ses propres romans. Si la fin résout un peu trop facilement et démagogiquement le conflit entre le personnage et les valeurs de son père, c’est avec finesse et sensibilité que ce conflit est présenté et développé, avec un regard savoureux sur une famille italo-américaine. Tous les acteurs sont bons mais Judy Holliday s’avère encore une fois une des actrices les plus géniales qui aient existé au cinéma, sachant suggérer, avec son visage et son regard, l’ouverture d’abîmes existentiels dans ses dialogues de comédie.

Le chant de la brume (Hiroshi Shimizu, 1956)

Retournant dans un chalet des Alpes japonaises avec sa fille et son gendre, un botaniste se souvient y avoir été dix ans auparavant avec sa secrétaire, alors qu’il était en froid avec son épouse…

La théâtralité de la construction est transfigurée par la justesse de l’interprétation, la délicatesse du ton et l’inscription du drame dans un décor cosmique. Plusieurs séquences dénotent le génie intact du metteur en scène, insufflant un puissant lyrisme mélancolique par le seul truchement de ses acteurs et des distances entre ces derniers, les décors et la caméra. Shimizu est certes aidé par la musique, qui rappelle le troisième mouvement du quatuor n°15 de Beethoven, et par le beau « gris et blanc » de la photographie. Le bouleversant et grandissime travelling final est de ces plans qui appellent tous les superlatifs à l’échelle de l’histoire du cinéma.

Les enfants qui ont besoin d’une mère (Hiroshi Shimizu, 1956)

Une mère dont le fils a disparu se met à travailler dans un orphelinat…

L’intrigue mélodramatique n’est guère convaincante, surtout dans sa désolante dernière partie, mais celle-ci a en fait peu d’importance. Hiroshi Shimizu s’attache à une succession de moments qui montrent ce qui lui tient à coeur: le travail éducatif, la détresse affective des orphelins et, surtout, le lien d’implication entre tragédie intime et dévouement à autrui. Si on fait abstraction des excès sentimentaux de la musique, il le fait avec la grâce propre à ses plus beaux films: délicatesse des travellings, inscription du drame dans des paysages accueillants, finesse du jeu des comédiens, humour jamais tout à fait absent. Certains moments, tel les adieux avortés du fils à son père, sont parmi ce que Shimizu a filmé de plus émouvant.

Guerre et paix (King Vidor, 1956)

Entre 1807 et 1812, deux amis de l’aristocratie russe sont confrontés à l’invasion de Napoléon.

Plutôt une réussite. Les qualités l’emportent sur les défauts. Si Henry Fonda est trop vieux pour le rôle de Pierre Bezoukhov (il en aurait été l’interprète parfait vingt ans plus tôt), si les deux personnages très secondaires que sont le père Bolkonsky et Napoléon tombent dans la caricature, si certains décors (tel Moscou) manquent étrangement d’ampleur, si la musique de Nino Rota n’est pas à la hauteur du projet et si les séquences de bataille ne peuvent rivaliser en envergure et en violence avec celles de la version de Bondartchouk, la retraite est riche en trouvailles réalistes du metteur en scène et, surtout, Audrey Hepburn est sublime dans le rôle de Natasha qui a gagné en importance dans une adaptation qui a fait le choix judicieux de se focaliser sur l’éclosion d’une femme. Le découpage classique de King Vidor, non exempt de belles images et d’inventions au service des personnages et de l’action, et l’intelligibilité de la narration qui assume ses différences avec le roman sont infiniment préférables au formalisme saugrenu de Bondartchouk.

Tu seras un homme mon fils (The Eddy Duchin story, George Sidney, 1956)

L’histoire du pianiste Eddy Duchin, pleine de succès et de malheurs.

Si le mélodrame est le genre destiné à faire pleurer le spectateur en lui rendant sensible la tragique ironie du destin, The Eddy Duchin story en constitue la quintessence. Aucune connotation sociale ou psychologique ici; uniquement la confrontation, dans une logique purement sentimentale, de l’homme à des évènements dévastateurs sur lesquels il ne saurait avoir de prise. La somptuosité visuelle et sonore, la science du cadrage qui inscrit physiquement les enjeux dramatiques dans l’image, la souplesse presque ophulsienne des mouvements d’appareil, l’interprétation stupéfiante de Tyrone Power dont le réalisateur se fait fort de nous montrer qu’il n’a pas été doublé pour les plans où il joue du piano et le tact non pusillanime avec lequel les rebondissements lacrymaux sont présentés (la fin!) font partie des qualités qui permettent à George Sidney d’atteindre une vraie grandeur, typiquement hollywoodienne.

Durch die Wälder, durch die Auen (G.W Pabst, 1956)

Sur la route de Prague, Carl Maria von Weber et la chanteuse de son dernier opéra tombent dans une embuscade manigancée par un comte amoureux de la femme.

Intitulé d’après un air du Freischütz (A travers les forêts, à travers les pâturages), ce dernier film de Pabst n’est pas un biopic classique. Se focaliser sur cet épisode de la vie du maître permet de montrer l’angoisse amoureuse qui suscite l’inspiration et de jouer avec la notion de simulacre, très proche de la notion de mise en scène. Chaque personnage est présenté avec dignité et le découpage, qui préfère les mouvements d’appareil au champ-contrechamp, est élégant et fluide. Il manque simplement un minimum de sensibilité, notamment dans la direction d’acteurs, et de goût, dans l’utilisation de la couleur, pour faire vibrer une matière qui eût idéalement convenu à un Max Ophuls. Nonobstant, la dernière séquence clôt joliment l’oeuvre de Pabst grâce à son mélange de pudeur et de lyrisme musical.

Le bataillon dans la nuit (Hold back the night, Allan Dwan, 1956)

En Corée, un officier chargé d’une périlleuse mission se souvient de plusieurs moments avec sa femme.

La maigreur du budget dont découle notamment une abondance de mauvaises transparences altère la vérité spectaculaire des batailles tandis que la vulgaire convention des ressorts dramatiques et les mimiques exagérées de John Payne empêchent la vérité humaine d’affleurer malgré deux flash-backs intéressants (sur trois) dans lesquels Dwan retrouve un tout petit peu de la justesse intimiste de Iwo Jima.

Le tueur s’est évadé (The killer is loose, Budd Boetticher, 1956)

Un caissier complice d’un hold-up s’évade de prison et veut se venger du policier qui tua accidentellement son épouse lorsqu’il fut arrêté.

Malgré l’artifice de certains rebondissements sans lesquels le film se serait conclu aux deux tiers de sa durée, l’impression de concision demeure. Les séquences n’ont pas un plan en trop, ça file vite mais l’épaisseur humaine est préservée grâce à la formidable densité de la mise en scène qui occasionne de surprenantes mais cohérentes ruptures de ton. Les acteurs sont excellents et la photo de Lucien Ballard marie impeccablement la crudité documentaire à la stylisation contrastée. Sans être aussi virtuose que La chute d’un caïd, Le tueur s’est évadé est donc une pépite du film noir de série B.

Le quarante-et-unième (Grigori Tchoukhraï, 1956)

Leur bateau s’étant échoué sur une île déserte, une révolutionnaire bolchevik chargée d’amener un blanc au comité central tombe amoureuse de son prisonnier.

Cette nouvelle adaptation de la nouvelle de Lavrenec convainc moins que le film de Protozanov parce que le schématisme est moins acceptable dans un film parlant que dans un film muet. Et en trente ans, le cinéma soviétique n’a guère gagné en finesse: le film de Tchoukraï est plus lourd et moins concis (la durée a presque doublé) que celui de Protzanov et Izolda Izvitskaya est moins jolie que Ada Voïtsik. Les images en Sovietcolor sont assez belles sans être les plus impressionnantes qu’ait capturées le grand Sergueï Ouroussevski.

Storm center (Daniel Taradash, 1956)

Dans une petite ville américaine, la bibliothécaire est soumise à la pression du conseil municipal qui veut lui faire retirer « Le rêve communiste » de ses rayons.

Leçon d’éducation civique assez bien menée dans ses deux premiers tiers; la dernière partie sent l’artifice de scénariste à plein nez. Bette Davis fait son numéro. La mise en scène est terne à tel point que, jusqu’à l’évocation des Pères fondateurs, j’ai cru qu’il s’agissait d’un film anglais.

Les truands (Carlo Rim, 1956)

Doyen des Français, le patriarche d’une famille de truands se voit remettre la Légion d’honneur…

Dépourvu de fermeté narrative et construit avec des flashbacks narrés par divers truands, Les truands est un film à sketches qui ne s’avoue pas. La tendresse burlesque de l’ancien caricaturiste Rim, patente dans sa façon de croquer des gendarmes en équilibre sur un toit parisien ou dans celle de filmer un pickpocket en action pendant la Commune, contribue plus au charme de la comédie qu’une distribution prometteuse mais décevante faute de constance dans le niveau des dialogues. Sympathique, sans plus.

 

Un homme sur la voie (Andrzej Munk, 1956)

En Pologne, les derniers instants d’un cheminot sont retracés par différents collègues après que son cadavre a été trouvé sur la voie.

Scolaire imitation de Rashomon où la grisaille des rails polonais, renforcée par une photographie des plus sinistres, remplace la lumière solaire des clairières nippones. Un intérêt: le vernis documentaire qui permet notamment de voir l’importance de la compétition et de l’appât du gain dans l’organisation du travail d’une république socialiste.

Magirama-J’accuse (Abel Gance & Nelly Kaplan, 1956)

En 1956, avec l’aide de sa fidèle Nelly Kaplan, Abel Gance a remonté son J’accuse de 1938 dans une version d’une heure en utilisant le procédé de polyvision qu’il avait inventé en 1927 pour son célèbre Napoléon. Trois courts-métrages et des extraits de Napoléon ont été adjoints au programme qui fut exploité huit semaines au Studio 28 sous le nom de Magirama. Le CNC et Serge Bromberg ont restauré la partie « J’accuse » du Magirama qui a ainsi été montrée pour la première fois depuis 60 ans mercredi soir à la Cinémathèque de Bercy (à quelques projections exceptionnelles près telle celle à l’Exposition universelle de Bruxelles).

Première chose à préciser: pour ne plus s’encombrer du complexe appareillage nécessaire à la triple-projection, le support du film a été numérisé. Pratiquement, on a maintenant le DVD d’un film en Cinémascope avec du noir en haut et en bas de l’image pour maintenir la juste proportion entre hauteur et largeur dans le cas où trois plans s’affichent simultanément. De ce fait, et également du fait que la projection a eu lieu dans la salle de taille moyenne Georges Franju*, j’ai eu l’impression de voir un timbre-poste s’animer et, quand l’oeuvre passe en « mode polyvision », trois timbres-postes juxtaposés. L’effet de gigantisme souhaité par Abel Gance en a pris un coup.

Toutefois, je ne pense pas que ces limitations techniques soient les principales responsables de ma déception. J’ai eu la triste impression d’un poète à bout de souffle, recyclant une énième fois ses morceaux de bravoure (la fameuse résurrection des morts de Verdun) sans que son nouveau moyen d’expression n’ajoute quoi que ce soit à la splendeur funèbre de la version précédente. Au contraire. D’abord, le nouveau montage d’une heure réduit le récit à une succession de vignettes uniformément plaintives, en dehors d’une scène gentiment comique. Ensuite, les panneaux latéraux sont désormais pléonasmes plus que contrepoints. Est-ce parce qu’ils sont soumis à l’expression d’un message? Le fait est que, perpétuellement englués dans la litanie pacifiste, ils forment une surenchère (d’images macabres) et non une polyphonie telle que la séquence de la campagne d’Italie dont j’ai un souvenir sublime d’abstraction.

* parce que la Cinémathèque française a préféré réserver son plus grand écran à L’aventure intérieure de Joe Dante qui, ne passant guère plus d’une fois par semaine sur les chaînes de la TNT, est aussi un film très rare

La ligne du destin (Lester James Peries, 1956)

Des villageois sri-lankais croient qu’un jeune garçon a rétabli la vue d’une enfant aveugle par miracle…

Ce premier long-métrage de Lester James Peries est un titre fondateur du cinéma sri-lankais car ce fut le premier à être tourné en dehors des studios indiens. Il n’en demeure pas moins plus ancré dans le cinéma populaire sous-continental que les films de Satyajit Ray ou Ritwik Ghatak. En effet, les décors naturels et le milieu pauvre (mais pas misérable) où se déroule l’intrigue n’empêchent pas séquences chantées, scènes de danse et effets mélodramatiques. D’où une certaine hétérogénéité mais, aussi, une vitalité certaine.

Si le scénario de cette sorte de fable manque de rigueur à plusieurs endroits, Lester James Peries a déjà un sens du cadre particulièrement développé. L’harmonie entre les hommes, la terre et le ciel qui émane de ses belles images laisse à penser que le réalisateur a vu plusieurs films de John Ford et a su en tirer profit. Lorsque, dans la deuxième partie, le récit trouve enfin son sens en se focalisant sur l’enfant victime de l’âpreté au gain de son père et des superstitions de ses voisins, La ligne du destin se hisse près des grands films de Luigi Comencini où l’enfance était le réceptacle de la misère sociale et morale des hommes. Par ailleurs, le lyrisme quasi-surnaturel avec lequel le cinéaste filme la pluie torrentielle donne une ampleur cosmique à son magnifique dénouement.

Les vampires (Riccardo Freda, 1956)

Un journaliste et un policier enquête sur des meurtres de jeunes gens à Paris…

Les somptueux décors de Beni Montresor aussi bien que la photo et les trucages ingénieux de Mario Bava alimentent une fascinante atmosphère gothique. Réinventant le genre du film d’horreur délaissé depuis une bonne dizaines d’années, Riccardo Freda ne lésine pas sur les gargouilles, les rideaux qui frémissent et les couvercles de pianos qui tombent. Ce bric-à-bric morbide est l’écrin d’un récit tragique: celui d’une femme que son refus de vieillir conduit à un flirt de plus en plus rapproché avec la Mort. La sublime Gianna Maria Canale prête ses traits hiératiques et mélancoliques à cette héroïne. Il est dommage que le reste de la distribution ne soit pas à la hauteur et que le scénario n’exploite guère le potentiel dramatique de la relation entre le journaliste et la criminelle éperdument amoureuse de ce dernier. Bref, Les vampires est un beau film où l’inventivité et le raffinement plastiques (d’autant plus admirables que le budget fut minuscule) compensent la faiblesse de la dramaturgie. Il est en ceci typique de Freda.