Femmes en cage (Caged, John Cromwell, 1950)

Une jeune femme se retrouve emprisonnée à cause d’un vol à main armé tenté par son mari.

Lénifiant, caricatural et didactique jusqu’à la dernière partie, étonnante dans son pessimisme quoique toujours démonstrative. Eleanor Parker a ici deux expressions: avec des cheveux (gentille)/sans cheveux (méchante). C’est une actrice trop limitée, manquant trop de nuances, pour tenir le film sur ses épaules. Sorti la même semaine mais injustement tombé dans l’oubli à cause de la petitesse de son budget, So young so bad fut, sur le même sujet, un film nettement plus audacieux et percutant.

La taularde (Audrey Estrougo, 2016)

Pour avoir aidé son mari braqueur gauchiste à s’évader, une prof de lettres se retrouve condamnée à deux ans de prison.

La projection est éprouvante. Les rebondissements autour de la cavale du mari ne sont que des prétextes pour étudier les réactions d’une bourgeoise plongée dans ce milieu très particulier qu’est la prison. L’intégralité du film s’y déroule. Pour montrer sa brutalité, les séquences-chocs se succèdent, parfois insoutenables.

Pourtant, derrière ce naturalisme qui en met plein la figure, il n’y a aucune gratuité des effets et le découpage d’Audrey Estrougo est impeccable: percutant mais dénué de complaisance. Par exemple, l’éborgnement est d’autant plus frappant qu’il est relégué dans un coin du plan. D’une façon générale, le format large est utilisé avec une rare intelligence. La cinéaste clarifie le chaos carcéral avec des travellings à la souplesse premingerienne. In fine est retracé, sans prêt-à-penser déformant mais avec une justesse de chaque instant (ou presque car l’évolution du fils aurait gagné à être développée), l’infernal retour d’une civilisée à une sauvagerie primitive, une sauvagerie non dénuée de certaine morale (cruelle) ni de certaine solidarité.

Sophie Marceau porte ce grand film sur ses épaules bien que ses renfrognements semblent parfois de convention. Autour d’elle s’agite une galerie d’actrices épatantes de vitalité, inquiétantes et gouailleuses. Eye Haïdara, la belle Nailia Harzoune, Marie-Sohna Condé…La finesse de la caractérisation de leurs personnages est pour beaucoup dans la complexité dialectique d’une oeuvre dans la droite lignée du Mizoguchi des Femmes de la nuit et de L’élégie de Naniwa; parenté accentuée par le fatalisme ambigu et impitoyable de la fin.

Au royaume des cieux (Julien Duvivier, 1949)

Une jeune fille arrive dans une prison pour femmes régie depuis peu par une odieuse directrice…

Les personnages sont très stéréotypés et le propos sur l’éducation des jeunes délinquantes est sans intérêt car développé de façon simpliste mais cela importe peu car ce n’est pas le réalisme social qui préoccupe Julien Duvivier, également auteur du scénario. Le carton en exergue précise d’ailleurs que Au royaume des cieux n’est aucunement un « reportage romancé ». Le cinéaste a en fait utilisé les maisons de redressement comme contexte et prétexte pour une allégorie sur la pureté introduite en milieu vicié.

Se plaçant sur le terrain du mythe, il déploie au cours de son récit toutes les combinaisons du jeu dialectique entre vice et vertu. Ainsi, au contact de la nouvelle arrivante, les détenues impressionnées par la pureté qui guide son amour s’amadoueront…Dans le même temps, la directrice, produit d’une pureté dévoyée, leur fera subir les pires horreurs. Evidemment, la subtilité n’est guère de mise et, quoique soucieux de logique psychologique dans sa narration, Duvivier ne craint pas de forcer le trait. En virago refoulée, Suzy Prim s’en donne à cœur joie, agrémentant sa composition de quelques gestes homosexuels qui épicent la sauce.

Plus inspiré qu’il ne le sera jamais après-guerre, le réalisateur se donne les moyens stylistiques d’une telle outrance. Quelques coquetteries comme il les a toujours affectionnées n’empêchent pas que dans l’ensemble, sa virtuosité sert merveilleusement le drame et l’atmosphère. Le découpage fluide et le foisonnement d’idées plastiques compensent l’épaisseur de certaines ficelles. La superbe photographie charbonneuse et les décors à la fois réalistes et insolites, tel les catacombes qui servent de mitard, insufflent un lyrisme visuel rare dans le cinéma français d’alors. Plusieurs images inoubliables relèvent de la poésie pure: ainsi le village inondé avec les barques confectionnées à partir de bancs d’église voguant vers l’horizon.

Paramatta, bagne de femmes (Detlef Sierck, 1937)

Par amour pour son amant de la haute-société victorienne, une chanteuse de cabaret falsifie un chèque. Elle est envoyée au bagne en Australie…

Qu’est ce qui distingue Paramatta de La habanera, deux mélodrames tournés par le même réalisateur la même année avec la même vedette? Assurément plusieurs aspects essentiels puisque Paramatta est un film aussi réussi que La habanera était ennuyeux. D’abord, il y a la question essentielle de l’unité dramatique. Dans La habanera, les auteurs s’apesantissaient sur les ignominies du tyran portoricain, ce qui alourdissait la connotation raciste tout en parasitant inutilement le récit féminin. Au contraire, dans Paramatta, les péripéties romanesques s’enchaînent sans que l’on ne s’éloigne jamais très longtemps du point de vue de l’héroïne.

Ce qui contribue à faire du film un superbe portrait de femme amoureuse victime d’une société injuste. Or quelle matière plus cinégénique que celle-ci pour un maître du mélodrame ? Paramatta est une sorte d’essence du genre. Sublimant une Zarah Leander aussi belle et digne que Greta Garbo, le metteur en scène enchaîne les beaux moments avec une élégance jamais démentie, aussi inspiré dans l’intime que dans le collectif. Un seul exemple suffit à comprendre en quoi le style de Paramatta est supérieur à celui de La habanera: l’utilisation de la musique. Les chants récurrents insufflent un supplément d’émotion significatif. Le choeur des prisonnières en particulier transcende de la plus belle des manières les séquences de bagne.

Girls in chain (Edgar G. Ulmer, 1943)

Un film fauché, certainement encore moins que B, produit par un studio inconnu au bataillon (Atlantis Pictures), les comédiens sont médiocres. Devant certaines séquences qui ne durent qu’une seconde et demi, on se demande même si une partie du métrage ne s’est pas perdue depuis toutes ces années malgré la restauration effective de la copie… Et pourtant…Pourtant quelque chose dans ce film fonctionne, grâce au génie réel d’Edgar G.Ulmer, à ses mouvements de caméra toujours pertinents, à la stylisation de certains éclairages (pas tous non plus, il ne faut pas exagérer), à l’originalité du lieu de l’action (des maisons de correction pour filles) et à un scénario qui n’y va pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il s’agit de s’en prendre à la corruption municipale incarnée dans un seul méchant qui tient toute la ville entre ses mains (un peu comme dans cette autre film noir très féminin qu’est Deux rouquines dans la bagarre). Le film n’a pas peur de l’outrance mélodramatique, il n’a pas le temps de faire des fioritures ou de s’embarrasser du bon goût. Bref, Girls in chain est plusieurs crans en dessous des petits chefs d’oeuvre que constituent les réussites majeures du cinéaste (Le bandit, Détour, Le démon de la chair…) mais c’est un film qui arrive à tirer parti de son contexte de production qu’on imagine aisément lamentable.