Carmen Jones (Otto Preminger, 1954)

Transposition du Carmen de Bizet chez des G.I noirs.

Carmen Jones d’Otto Preminger est en fait une adaptation d’une adaptation, l’opéra de Bizet ayant été transposé dans un contexte contemporain par Hammerstein à Broadway. C’est de ce spectacle que le film tire son nom. Ce qui frappe d’abord, c’est la maîtrise de la mise en scène. Pas un élément du cadre qui ne semble avoir été savemment pensé. C’est une force du film mais c’est aussi sa principale limite. Cela manque de respiration. La vie n’apparait que sous forme d’élans lyriques or l’opéra s’accomode difficilement de l' »effet de réel » propre au cinéma. Au contraire de la comédie musicale où la danse est essentielle et où l’art du cinéaste qui est celui d’organiser le mouvement peut s’épanouir, il n’y a généralement que du chant dans les numéros musicaux de Carmen Jones. D’où le fait que plusieurs d’entre eux interrompent assez gravement le mouvement général du film. Powell et Pressburger avaient résolu cette contradiction dans Les contes d’Hoffman en allant jusqu’au bout dans la fantaisie au mépris même de l’idée de continuité spatio-temporelle. Ce n’est pas le choix de Preminger qui reste (tant que faire se peut) réaliste. Il n’y a qu’à voir la photographie, d’une sobriété qui confine à la banalité.

Heureusement, cette rigueur dans l’artifice parvient aussi à produire de l’émotion. Carmen Jones est en quelque sorte un film froidement lyrique. La fougue de plusieurs séquences est tellement bien calculée qu’elles donnent paradoxalement un sentiment de joie débridée. De l’art de la mise en scène…Ainsi Carmen Jones ne manque pas de vitalité. Ni de désir. En effet, le film est exceptionnellement érotique compte tenu du fait qu’il a été réalisé à Hollywood dans les années 50. Le laxisme des différentes ligues de censure a t-il été dû au fait que les acteurs étaient noirs? Quoiqu’il en soit, plusieurs passages sont vraiment audacieux pour l’époque et les acteurs ne manquent pas de sensualité. A commencer par Dorothy Dandridge. Bref, sans être aussi convaincant que les chefs d’oeuvre de Preminger, Carmen Jones est un film intéressant, ne manquant pas de qualités qui lui sont propres.

2 commentaires sur “Carmen Jones (Otto Preminger, 1954)

  1. Froidement lyrique. Ça décrit assez bien le cinéma de Preminger dans son ensemble. A la découverte de ses films, on est souvent impressionné par l’utilisation du cadre et de la couleur le cas échéant, les passions tourmentées des personnages, les enjeux dramatiques classicisants des histoires, le lyrisme quoi… et à la seconde vision, c’est la froideur qui se révèle sous les braises. Ça donne donc des souvenirs inoubliables et des révisions douloureuses. »Carmen Jones » ne fait pas exception à la règle, s’en est même un exemple. Dans le même registre, j’aimerais beaucoup, mais vraiment beaucoup découvrir son « Porgy and Bess » (avec Dandridge aussi, mais Poitier remplaçant Belafonte), malheureusement invisible depuis des décennies, pour des questions juridiques sans doute.

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