J’accuse (Abel Gance, 1938)

Un survivant de la guerre de 14/18 s’interdit de toucher à la veuve de son camarade dont il est pourtant amoureux.

Les deux versions de J’accuse préfigurent deux beaux films sortis en 1978. Le premier J’accuse était en effet, avec sa structure avant-pendant-après, une sorte de Voyage au bout de l’enfer de la Grande guerre. Ce remake parlant dont le substrat est la mélancolie d’un vétéran hanté par ses camarades morts annonce La chambre verte. Cela ne m’étonnerait pas que François Truffaut se soit souvenu des scènes de Jean Diaz dans son bunker-mémorial pour la liturgie de Julien Davenne. La belle musique de Henri Verdun s’inscrit aussi dans la même tradition que celle de Maurice Jaubert.

C’est d’ailleurs cette maladive mélancolie du héros qui sauve le film de Gance du ridicule. S’il épousait complètement le point de vue de Jean Diaz, J’accuse serait irrémédiablement plombé par la naïveté de son message. Or présenter sa fièvre comme une forme de folie en l’inscrivant dans un environnement rationnel, bienveillant et s’échinant à le comprendre sans y parvenir introduit une dialectique narrative qui transfigure -mais n’élimine pas- le propos pacifiste de J’accuse. La lourdeur des chromos symboliques et l’épaisseur des ficelles du mélo s’effacent devant la performance hallucinée de Victor Francen et la sincérité de l’auteur.

L’aveu d’impuissance en exergue de l’oeuvre, d’une modestie aussi touchante que rare chez Abel Gance, montre combien refaire son pamphlet antibelliciste à l’aube de la deuxième guerre mondiale importait à son coeur. Ce retour à un de ses sujets de prédilection permet également à l’artiste de renouer avec une inspiration poétique qui ne trouvait guère à s’épanouir dans  Lucrèce Borgia, Louise et autres Roman d’un jeune homme pauvre. La séquence finale, quoique inutilement délayée par rapport à l’originale, n’a pas manqué hier soir de susciter les applaudissements du public de la Cinémathèque française, public pourtant blasé s’il en est.

3 commentaires sur “J’accuse (Abel Gance, 1938)

  1. Je ne sois pas sûr qu’à cette époque, après la Première Guerre mondiale, en plein traumatisme donc (je ne crois pas que les années 1930, malgré la crise, efface si vite les horreurs de 1914-18) il s’agisse d’un message naïf. Simple et sincère oui, mais quand on voit le film, le message semble être dit avec violence et quasi désespoir. (la naïveté du message me semble plus contemporaine, parce que répétée à tout va et par n’importe qui, mais j’ai aussi conscience que c’est peut-être une simple vue de l’esprit)

    Sinon, J’accuse, c’est l’apparition des premiers zombies du cinéma, non ?

    • Bien vu pour les premiers zombies au cinéma (pour le J’accuse de 1918).
      Vaste question que la naïveté de Gance, à mon avis consubstantielle à son cinéma. Je pense comme vous que dans ce film, cette naïveté est transfigurée par la virulence désespérée de l’expression.

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