Dans une cité française déchirée par le communautarisme, un jeune homme tombe amoureux d’une fille d’origine algérienne…
La raideur de la mise en scène maintient une certaine distance entre le drame et le spectateur mais elle va de pair avec une hauteur de ton qui insuffle une sublime dignité aux protagonistes et évite par là même deux écueils qui vous tendent les bras lorsque vous traitez un sujet aussi délicat: la dérive haineuse d’une part et le manque d’intégrité dans la représentation des communautés d’autre part.
De plus, l’épure du style n’exclut pas un certain lyrisme, un lyrisme de la litote. Le vent dans les cheveux de Djemila, la lumière du soir sur les deux amoureux dans les dunes de Dunkerque, les promenades au bord de l’eau…Gérard Blain filme les jeunes tourtereaux et les prosaïques paysages dans lesquels ils évoluent avec un amour respectueux qui le distingue très nettement de ses collègues français. Leurs déambulations clandestines ont quelque chose de véritablement poignant.
La confrontation entre l’amour d’une pureté exemplaire que se portent Pierre et Djemila et le pessimisme des auteurs quant au multiculturalisme hausse le récit au niveau de la tragédie. Enfin, si les dialogues expriment souvent des intentions littérales, Blain révèle quel grand cinéaste il est en concoctant, en marge de la narration, des plans d’une grande puissance émotionnelle et symbolique: ainsi celui sur le petit garçon seul dans la mosquée après que celle-ci ait été saccagée.
[…] On aurait pu craindre caricature exotique et manichéisme mélodramatique mais la hauteur de vue surprend agréablement. De même que son homme de main dont l’évolution étonne, le mari arabe n’est pas du tout chargé par le scénario. Plusieurs cartons didactiques montrent la volonté documentaire des auteurs. Comme souvent chez André Hugon, les extérieurs sont bien filmés mais ils sont ici trop rares. La majorité de l’action se déroule dans de grandes demeures de style oriental où la large vacuité des pièces inspire quelques jolis plans à l’auteur du Roi de Camargue. C’est certes trop long mais c’est agrémenté par un érotisme rare: on voit pas mal de paires de seins (parfois plusieurs dans le même plan!). Bref, c’est pas mal. Dans le cinéma français, je ne connais qu’un film à avoir traité aussi franchement du fossé culturel entre les deux rives de la Méditerranée: Pierre et Djemila. […]