L’ami de mon amie (Eric Rohmer, 1987)

A Cergy-Pontoise, une étudiante en informatique et une fonctionnaire de mairie se lient d’amitié. La première entreprend d’arranger un coup à la seconde…

C’est le début d’un marivaudage complexe dans lequel Eric Rohmer ausculte les coeurs avec sa remarquable clairvoyance. On peut souvent réduire les films de ce moraliste à une phrase. L’interrogation « Est-ce que ce que  je veux me convient? » me semble résumer correctement le propos de L’ami de mon amie. Effectivement, le chassé-croisé s’articule autour du fossé entre la nature des personnages et l’image qu’ils se font de leurs désirs. Comme à son habitude, l’auteur a réalisé ça à travers de longues scènes de dialogues. L’écriture dramatique est plus ciselée et plus rigoureuse que jamais. Le déroulement de l’intrigue, qui fait penser à celui d’une pièce du XVIIème siècle, est implacable mais son déterminisme est largement contrebalancé par la fraîcheur des actrices et la sensualité de la mise en scène.

En effet, L’ami de mon amie est un film ravissant. C’est à dire que c’est un film qui ravit les sens. La lumière y est extraordinaire. Rohmer arrive à créer une délicieuse sensation de vacances en filmant les jardins publics de Cergy-Pontoise. Mieux encore, en insérant judicieusement dans son découpage des plans du ciel ensoleillé, des arbres ou de l’herbe, il auréole d’un souffle panthéiste les épanchements de ses protagonistes. Et c’est aussi bouleversant que dans Une partie de campagne. De plus, Rohmer nuance considérablement sa réputation de réactionnaire en faisant du beau avec la nouvelle cité de Cergy-Pontoise. Les couleurs sont agencées avec toute la science plastique d’un esthète aussi à l’aise avec les intérieurs épurés des appartements neufs qu’avec les tableaux bucoliques.

Le génie de Rohmer, c’est également celui d’un cinéaste capable de sublimer des actrices au physique apparemment banal. Dans L’ami de mon amie, ce don est particulièrement éclatant. Au début, Emmanuelle Chaulet n’est franchement pas très désirable avec sa veste aux épaules trop large qui colle parfaitement à son personnage de petite fonctionnaire guindée et peu sûre d’elle. Et puis, les 90 minutes que durent le film, en même temps qu’elle font oublier les oripeaux sociaux qui caractérisaient superficiellement le personnage, lui révèlent petit à petit un charme fou. A la fin, Emmanuelle Chaulet est simplement la plus belle fille du monde. Cela contribue grandement à la magie de ce chef d’oeuvre, peut-être le plus attachant d’Eric Rohmer.

N.B: Une page perso dédiée à un film d’Eric Rohmer, c’est assez rare pour être signalé. Je la signale donc: http://lamidemonamie.free.fr/

7 commentaires sur “L’ami de mon amie (Eric Rohmer, 1987)

  1. Vous allez m’en vouloir mais autant Pauline à la plage et Conte d’été m’avaient emballé, autant L’amie de mon amie m’a terriblement déçu. La faute à Emmanuelle Chaulet d’abord dont la vacuité du regard et de la conversation ont peu d’égal. La faute au plan d’eau de Cergy aussi artificiel que le jeu des deux principales protagonistes. La faute enfin à une lumière grisâtre qui rend la ville nouvelle de Cergy aussi chaleureuse et attractive qu’une ville pionnière dans l’ex-URSS. Désolé mais nous n’avons pas du voir le même film.

  2. ha mince Eric, moi qui était sûr que ce film vous emballerait !! comme quoi…
    l’artifice du plan d’eau, c’est évident mais ce qui est génial, c’est que Rohmer exploite son caractère artificiel, il le filme un peu comme Renoir et Duvivier filmaient la Marne dans leurs films populistes des années 30, il y insuffle une atmosphère de week-end populaire qui vaut bien l’ambiance de vacances de Pauline à la plage…
    La lumière grisâtre en revanche, je ne vous comprends pas. Quid de la séquence centrale dans la clairière ??? Quid de l’agencement « Cris et chuchotements meets Hélène et les garçons » du rouge et du blanc dans l’appartement d’Emmanuelle Chaulet ??
    Emmanuelle Chaulet d’ailleurs, je ne comprends pas comment vous avez pu rester aussi insensible à sa beauté…ces épaules…vous qui je crois aimez Amanda Langlet. Elles sont du même type, non?

  3. Votre dernier paragraphe est très juste, le génie de Rohmer est en effet là, dans sa capacité à transfigurer aussi bien une jeune comédienne banale qu’un lieu à priori sans attrait (cf « Les nuits de la pleine lune »)

  4. Bon, Christophe, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je n’aime pas Emmanuelle Chaulet car elle me rappelle le type d’étudiantes qui pullulaient sur les bancs qu’autrefois je fréquentais. Centrées sur leurs études, sérieuses jusque dans leur mise (ah, l’odieuse veste à épaulettes!), incapable de voir plus loin que le bout de leur F2. Amanda, ça n’a rien à voir, c’est la fantaisie, le mystère, un côté lunaire qui me ravit. Non, vraiment, Christophe, elles ne boxent pas sur le même ring!

  5. en fait, tu as la même impression que j’avais au début du film. tu n’as pas été sensible à l’épanouissement du personnage. du coup je comprends que tu sois passé à côté du film.

  6. Comme j’ai toujours peur de passer à côté de la vraie valeur d’un film, j’ai regardé à nouveau l’amie de mon amie et oui, je reconnais le panthéisme réussi de la scène de la clairière, oui, le quiproquo final est très joliment agencé mais, je persiste et signe, si le personnage de Blanche a évolué, l’actrice nettement moins, qui minaude à qui mieux…mieux. Désolé…

  7. il n’y a pas de mal hein!
    je suis au contraire flatté que tu ais redonné une chance au film suite à mon enthousiasme.
    Même si tu n’adhère pas au film à cause de ta répulsion envers Emmanuelle Chaulet, et c’est quelque chose que je comprends (pas la répulsion mais le fait de ne pas aimer à cause de cette répulsion), on est finalement assez d’accord puisque tu as vu plusieurs qualités que j’ai mentionnées, ça me fait plaisir.

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