La rue de la honte (Kenji Mizoguchi, 1956)

Le dernier film de Mizoguchi est évidemment un très grand film. D’une terrible crudité et d’une implacable noirceur. Par rapport aux précédents films du cinéaste sur le même thème, on pourra peut-être regretter un propos un peu trop explicite, avec des personnages symbolisant chacun un aspect du drame de la prostitution (reprise et approfondissement d’une technique narrative déja utilisée dans Une femme dont on parle). Mais ce serait du pinaillage que de s’arrêter à cette légère impression de redite. Même si c’est avant-tout un constat engagé du caractère dévastateur de la prostitution tourné à une époque où le débat sur la fermeture des maisons closes au Japon était brûlant, La rue de la honte n’a pas la lourdeur des mauvais films à thèse grâce au talent de Mizoguchi et son équipe. Les personnages et leurs histoires ont beau être très typés, on y croit sans problème grâce à la précision du scénario, à la rigueur de la mise en scène et surtout grâce à la vérité des comédiennes. Les idées sont essentielles mais la dramaturgie qui les révèle est sans faille. Enfin, on admirera une dernière fois le génie stylistique de Mizoguchi, capable de transcender ce qu’il filme avec la pertinence qui n’appartient qu’aux plus grands, comme s’il révélait un aspect caché de la réalité plutôt qu’il ne l’ornait. Ainsi du célèbre dernier plan, leçon de mise en scène à lui tout seul, où le maître insuffle grâce entre-autres à la bande sonore et à la gestion du hors-champ un caractère quasi-fantastique à un film d’inspiration néo-réaliste.

Une femme dont on parle (Kenji Mizoguchi, 1954)

Encore un très grand film du maître qui traite de la prostitution. Le film tourne autour des rapports tendus entre la tenancière d’une maison de geishas et sa fille. Un scénario aux ramifications multiples et brassant de nombreux personnages secondaires permet aux auteurs de montrer les différentes conséquences humaines de la prostitution, sans faire tomber l’oeuvre dans le misérabilisme. Les héros ne sont pas réduits à des archétypes, même la mère maquerelle n’a justement pas grand chose d’un personnage de mère maquerelle…La mise en scène est l’oeuvre d’un immense artiste qui se refuse à toute dérive ostentatoire. Il faut voir la discrète aisance avec laquelle la caméra se déplace dans cette maison, lieu quasi-unique de l’action, microcosme qui permet aux auteurs de cristalliser les multiples intrigues de l’histoire qui est par ailleurs d’une richesse et d’une concision inouïes (bravo également aux scénaristes Yoda et Narusawa). Il faut voir aussi l’étonnante crudité de certaines scènes, une crudité toujours frappante (les séquences les plus violentes arrivent souvent sans préambule) mais jamais complaisante. Les acteurs sont tous excellents, en particulier la jeune Kinuyo Tanaka.

Si le propre de l’art des grands maîtres est de montrer la complexité du monde avec la plus apparente des simplicités, alors Une femme dont on parle est le film d’un grand maître.